Quand j’avais à peu près l’âge de la fille de la Madz, ou peut-être plus jeune, je me souviens avoir demandé à ma mère de s’arrêter au coin de la rue parce que je ne voulais pas que les autres élèves me voient arriver au collège au bras de ma mère et j’avais honte qu’elle m’embrasse devant tout le monde. Elle a eu l’air un peu décontenancée (elle m’accompagnait car je partais en voyage scolaire à partir du collège donc elle aurait voulu me dire au revoir), et ça me faisait mal au cœur de la peiner, mais c’était impossible pour moi de faire autrement : j’avais trop peur pour ma réputation. Je ne sais pas d’où m’est venue cette lucidité mais j’ai réussi à lui expliquer que ce n’est pas que j’avais honte mais que j’avais peur qu’on pense que je suis collée à ma mère et pas capable de faire les choses seule. Et je pense que je me souviens aussi bien de ce moment parce que ma mère m’a répondu « bien sûr, je sais que tu n’as pas honte de moi, ne t’inquiète pas, je comprends très bien ». Elle m’a embrassée et est repartie de son côté sans insister.
Ça a vraiment été un soulagement pour moi car je sortais d’une année de harcèlement scolaire donc franchement « être droite dans mes bottes » comme le conseille d’enseigner la daronne sur un truc qui pourrait m’humilier c’était juste impossible que ce soit psychologiquement ou socialement. Je n’en avais pas la capacité mentale après ce que j’avais vécu, je n’étais pas prête à tenir tête au peuple (ce harcèlement m’a appris à être droite dans mes bottes plus tard car ceux qui s’opposaient aux harceleurs autour de moi m’ont beaucoup marqués et impressionnés et j’ai ensuite essayé de suivre leur exemple, mais encore fallait-il ne plus se sentir en danger immédiat). Si j’avais dû choisir entre ne pas faire de peine à ma mère ou faire ce qu’il fallait pour ma réputation (du moins je pensais car au final en arrivant, beaucoup de parents étaient là et les autres ne semblaient pas avoir honte), ça aurait été un choix terrible mais j’aurais clairement choisi la réputation justement parce que je me sentais suffisamment en sécurité avec ma mère pour penser que lui faire de la peine ne menaçait pas mon bien-être et ma santé mentale. Je lui ai été extrêmement reconnaissante de ne pas m’obliger à faire un choix en réagissant avec autant de compréhension.
Alors peut-être que si je n’avais pas su lui expliquer pourquoi j’avais honte, comme la fille de la Madz, ma mère n’aurait pas du tout compris, mais ce qui était important pour moi c’était vraiment qu’elle me dise que d’une certaine manière, je pouvais la rejeter pour certaines choses sans menacer notre relation. Je pense que c’est très important à l’adolescence car la construction de l’ado passe beaucoup par le rejet des parents et des adultes.
Je pense que c’est important d’apprendre à l’ado de rester empathique (genre si tu veux bitcher sur ta mère soit sûre qu’elle ne l’apprenne pas pour éviter de la blesser gratuitement, donc la porte ouverte on évite), mais c’est aussi important de respecter le besoin pour un ado de se distancier de ses parents, parfois de manière un peu caricaturale et de se défouler sur certains aspects.
Je me souviens avoir dit à mes copines que je ne voyais vraiment aucune qualité à mon père et que je ne comprenais même pas ce que ma mère foutait avec tellement il était naze. Et disclaimer, mon père n’était absolument pas plus problématique qu’un daron lambda. J’adore mon père et je suis contente qu’il n’ait jamais entendu ça, ma à l’époque c’était comme ça que j’exprimais mes frustrations : je n’avais pas la subtilité pour expliquer autrement ce que je ressentais, notamment le fait que je me sentais incomprise parce qu’il supportait mal mes crises d’ado et me disait souvent de baisser d’un ton quand je hurlais ma frustration.
Je pense qu’il ne faut pas prendre ça au premier degré, même entre adultes d’ailleurs. Mais on peut effectivement faire la remarque en passant ou en rigolant.