C'est marrant parce que je trouve qu'il y a justement chez Pessoa quelque chose qui touche au coeur de la vie. C'est son existence quotidienne qui est morose, banale, sans amours et sans heurts, mais le déroulement incessant de sa pensée et la manière dont elle s'accroche au sensible la rend ultra vivante. Une vie intérieure qui ne peut être contenue dans le corps gris d'un employé de bureau mais qui se démultiplie et qui va par-delà, comme la littérature quoi ahah. C'est précisément dans le développement puissant de ses sens qu'il devient plus vivant que l'homme ordinaire ! Je pense notamment à un passage où il parvient à se détacher réellement de l'humanité : il se promène dans la rue, et comprend subitement que ces gens qui marchent devant lui, qui crient et qui s'aiment, qui chahutent et qui mangent ne sont que des dos, des dos interchangeables. Pessoa est plus vivant que les hommes qui ont une existence "extérieure" riche, parce que sa pensée est un élan vital, alors que la vie des autres qui semble agitée n'est qu'expression de l'espèce dans un environnement fangeux et vulgaire (au sens propre). Donc malgré un propos pessimiste (les gens sont ternes, mon métier m'ennuie, je n'ai jamais aimé) je trouve une grande vitalité et un grand bonheur chez Pessoa, dans sa capacité d'émerveillement et d'écriture !
Edit : je raconte ma vie et grand bien m'en fasse, mais j'avais oublié de préciser que cette chronique était encore une fois vraiment agréable à lire, d'autant plus que c'est un très beau sujet ! Ca serait chouette, d'ailleurs, une série d'articles littéraires, sur les livres qui ont changé notre vie. Certes, ça sonne un peu niais genre j'ai lu l'Herbe Bleue et j'ai compris que les drogues c'est pas bien mais bon.