Je suis allée faire un tour sur le site du Nouvel Obs, et j'ai trouvé très intéressant de lire les diverses réactions des professionnels de la justice interviewés.
La question était: "le fait de commenter les procédures en cours est-il choquant?"
S'ils répondent oui, dans leur grande majorité, certains témoignages m'ont particulièrement marquée.
Gilbert Collard, avocat au barreau de Marseille :
- "Une personne en charge d'une fonction politique de niveau gouvernemental n'a pas à commenter une affaire, quelle qu'elle soit. Il doit y avoir séparation médiatique des pouvoirs. Ce que Montesquieu ne pouvait pas prévoir, c'est qu'il y a aujourd'hui un fait moderne nouveau, un quatrième pouvoir : le pouvoir médiatique. Or les hommes politiques parlent des affaires parce qu'il y a un pouvoir médiatique, et profitent de ce pouvoir pour influencer l'opinion. Il est facile de tout mettre sur le dos des politiques : si leurs propos sont répercutés, c'est qu'il y a des journalistes pour le faire. La justice, déjà protégée de l'influence politique, doit également l'être de l'influence médiatique. Certains journalistes sont aux ordres de Nicolas Sarkozy, d'autres à ceux de François Hollande, ou d'intérêts du capital? Ce n'est pas normal qu'ils n'aient de comptes à rendre à personne, parce qu'il n'y a pas de conseil de l'ordre des journalistes."
En effet, on a tendance à oublier le pouvoir médiatique, dans le débat, indissociable du pouvoir de l'opinion. Le pouvoir judiciaire est protégé, constitutionnellement, du pouvoir politique. On pourrait donc penser que les commentaires - regretables certes - des membres du gouvernement voire du Président lui-même n'ont aucun effet sur les décisions des juges.
Mais la justice est-elle protégée du pouvoir des médias?
Vaste sujet... Je n'y ai pas de réponse. En tout cas rien de documenté. L'une d'entre vous aurait-elle déjà travaillé là-dessus?
Thierry Lévy, avocat au barreau de Paris, ancien président de l'Observatoire International des Prisons (OIP) :
- "Que les décisions de l'autorité judiciaire fassent l'objet d'un débat public, c'est normal. Ce qui ne l'est pas, c'est que des dirigeants politiques, qui ont le pouvoir d'avoir une influence directe sur le fonctionnement de l'autorité judiciaire, commentent des faits, avant même que ceux-ci ne soient établis. C'est une influence pernicieuse, et je dirais malhonnête. Les politiques ne peuvent plus avoir réellement une influence directe sur le travail des juges, mais, en revanche, peuvent manipuler l'opinion pour faire voter une loi, ce qui est très dangereux. Surtout quand ils diffusent des informations fausses : Rachida Dati avait prétendu, pour illustrer la nécessité d'une loi sur la rétention de sûreté, qu'un détenu, condamné dans une affaire d'agression sexuelle, avait déclaré qu'il récidiverait dès sa sortie. C'est un mensonge : il n'a jamais tenu de tels propos, est sorti, et n'a pas récidivé. [...]"
Bon là, on sort légèrement du sujet, vu qu'il ne s'agit pas vraiment de l'influence de ces commentaires sur les décisions judiciaires, mais sur la popularité des lois. Mais il me semble que ça reste tout de même dans la cadre de "Justice et pouvoir". Ainsi, s'il semble difficile pour le pouoir politique d'interférer dans les affaires en cours (du moins officiellement, après je ne suis pas convaincue que tout soit toujours "clean", mais la corruption est un autre débat) en revanche il influence directement la Justice par les lois qu'il vote.
En effet, le pouvoir politique a bel et bien une influence, parfaitement constitutionnelle cette fois-ci, sur le fonctionnement de l'autorité judiciaire, à travers les lois votées, concernant non seulement les peines, mais l'organisation même du monde judiciaire (rappelons par exemple la réforme de la carte judiciaire, ou le projet de loi permettant à des couples de divorcer sans passer devant la justive, via notaire, toussa toussa).
Et manipuler l'opinion par le mensonge, sur ce sujets-là, en ne permettant pas un débat libre et éclairé sur ces questions, voilà qui est également choquant.