Grâce à une amie, j'ai eu l'opportunité de voir Nearly 90² par le Merce Cunningham Dance Company au Théâtre de la Ville. J'en ressors troublée, touchée d'une certaine manière comme un néophyte complet peut l'être (c'est seulement la seconde manifestation de danse contemporaine que je vais voir, et la première véhiculait des émotions de manière relativement claire et directe), mais surtout avec l'impression d'être passée à côté d'une multitude de choses. C'était un peu comme lire un texte en chinois, on peut facilementêtre admiratif devant l'esthétique des idéogrammes, sans pour autant comprendre quoi que ce soit au texte.
J'ai eu l'impression d'une construction sociale, d'un développement, à partir d'un schéma apparemment immuable. Dès l'ouverture, j'ai ressenti un rapprochement très fort avec les katas au sens large du terme (et donc sociétal), progressivement brisés par l'apparition d'imperfections, présentes dès le début mais de manière tellement imperceptibles que seule la forme paraissait présente, concrétisées par l'affranchissement du mouvement codifié pour le groupe au profit d'un mouvement personnel, individuel. Certes, on retrouve des schémas, des mouvements partagés, mais ils semblent spontannés, compris par rapport au cycle du début, comme subi, installé. Le moment où une danseuse arrive du fond de la scène en marchant simplement, brisant le cercle des gestes collectifs, m'a particulièrement frappé. Je m'attendais à un cri, enfin je ne m'y attendais pas mais ça me semblait évident, logique, et son mouvement, accompagné de l'ultime levée du ciel, m'a paru encore plus fort, comme si elle brisait l'existant, qu'elle ouvrait une ère éclairée, que seul son message valait quelque chose et que plus rien après ne serait pareil. Cette impression a été confortée, plus loin dans la performance, par la distinction croissante entre l'apparence des corps - d'abord presque uniformes, du moins de même nature, seulement dissociables par l'emplacement de leur ligne blanche et leur aileron noir, lignes fines, comme une marque apposée par souci pratique, puis cette ligne se développe pour devenir une forme à part entière. Les derniers 'tableaux', totalement collectifs, étaient chargés d'une telle énergie, explosive, lumineuse, qu'au final chaque corps avait une importance plus grande qu'au début.
J'ai aussi été intriguée par le rôle du genre, danseurs hommes et femmes semblant avoir des rôles strictement définis, bien qu'ils aient une apparence quasi impossible à distinguer au premier abord. Leur place dans les schémas collectifs, en particulier de couple, m'a semblé réellement importante. Egalement, la question, du temps représenté, l'évolution était-elle inscrite dans le temps? Cela ne m'a pas paru évident. Et surtout, la dissociation apparente d'avec la musique, les mouvements créant leurs propres rythmes, imperturbables lorsque le son s'arrête, et pourtant des effets décuplés par le son à certains moments.
Bon, j'ai eu d'autres pensées pendant la représentation, mais globalement je me suis à peu près arrêté là.
J'aimerais vraiment que quelqu'un qui soit familier de la danse contemporaine puisse m'éclairer sur le sujet. Tout ce que j'ai pu lire au sujet de Merce Cunningham m'a donné l'impression d'être trop poussé pour mon absence de culture sur le sujet. Comment interpréter ce langage corporel, où trouver les clés pour décrypter, les codes pour ressentir avec justesse? Y aurait-il quelque chose qui puisse me mettre sur une piste, sans faire appel à une culture que je n'ai pas? Par où commencer? La danse contemporaine m'intrigue, mais ne me passionne pas suffisamment pour que je me plonge dans la littérature aveuglément.