L’échappée belle.
Le jour ou l’on s’est rencontré, sur ce pont, la nuit était parsemée d’infimes étoiles qui brillaient toutes plus intensément que jamais. Il faisait froid cette nuit la. Moi, emmitouflée dans une grosse écharpe, j’attendais. Quoi ? Je ne le sais pas. Peut-être attendais-je un déclic, quelque chose pour me tirer de la vie que je menais, que sais-je. J’avais trouvé l’endroit paisible. Un pont sous les étoiles. Un seul banc en bois défraîchi posé en plein milieu du trottoir. Personne à l’horizon, seulement une simple rivière qui faisait clapoter son eau. L’endroit rêvé. Je m’accoudais à la rambarde et allumais une cigarette sous la lumière d’un lampadaire. Ici, seule, les yeux clos, j’avais l’impression que le monde m’appartenais.
Un léger bruit me fit alors soudainement sortir de mes pensées. Je rouvris les yeux et regardais à droite. Une ombre que je distinguais à peine, à quelques mètres de moi , se mit à bouger. Je remarquais alors que cette ombre était un homme qui avançait vers moi. Il entra alors tout entier dans la lumière, puis s’arrêta. Je le scrutais, remarquant sa grandeur et la minceur de ses cuisses sous son jean délavé. Il s’approcha encore plus près, jusqu’à ne plus être qu’a quelques centimètres de moi. Je me surpris à lui tendre mon paquet de cigarettes que je tenais froissé dans ma main gauche. Ce geste était comme un appel à le communication, une sorte de liaison naissante. Il en prit une, s’accouda à la balustrade et l’alluma.
Ses mains étaient délicates, on eu imaginé leur douceur rien qu’en les regardant. Je remontais mon regard et le fixais alors sur son visage. Fin et très beau, il semblait s’allier parfaitement avec le décor, magnifiques tous deux. Sa bouche était ténue et paraissait aussi sensible qu’endurcie, entourée d’une barbe de trois jours. Son nez, quoique légèrement aquilin, rajoutait une expression charmante à son visage. Je fixais dés à présent ses yeux et ne pouvais détacher mon regard du sien. Ils regardaient intensément au loin, perçants et noirs comme ceux des félins durs et vifs. Les cils longs et noirs tranchaient parfaitement avec la blancheur pure de sa peau. Je ne sais toujours pas pendant combien de temps je l’avais contemplé ainsi. Il m’a semblé être une éternité.
Soudain, il ouvrit la bouche et me dit: «-*Ferme les yeux.*» Je m’exécutais alors et ressentis une étrange impression. Un léger frisson parcouru mon corps tout entier. Était-ce le froid ou le son de sa voix ? «*- Tu ressens ce que je ressens ?*» renchérit-il. Moi, toujours muette, ne pouvant prononcer un seul mot, une seule parole, je me demandais si l’homme que j’avais à côté de moi était bien réel, tant sa voix et sa présence semblait m’atteindre au plus profond de moi.
«*-Le soleil est sur le point de se coucher. Tu es au bord de la mer, tu me regarde. L’eau est d’un bleu si profond et balayée par les reflets blancs du soleil. Il n’y a pas un seul nuage dans le ciel magnifique. Le vent fait voleter ta fine robe rose pâle, tes cheveux longs et si noirs suivent le mouvement en s’entremêlant. Je ne suis qu’à quelques centimètres de toi, mais une plénitude m’envahit, j’ai l’impression d’être présent partout. Sous nos pieds, les particules infimes du sable jaune sont noyées sous le mouvement saccadé des vagues. Nous sommes seuls au monde dans le paysage le plus idyllique qu’il puisse exister. La chaleur nous envahit peu à peu, nous nous allongeons dans le sable chaud. Le calme règne parfaitement. Les yeux clos, nous nous laisserons emporter petit à petit par le roulis des vagues…*»
Il marqua une pause, puis ajouta : «*-Toutes les fois ou tu iras mal, ou les choses de la vie seront trop dures à supporter, retrouve moi sur cette plage. J’y serai. J’en fais la promesse.*»
Un souffle parcouru mon dos, et c’est seulement à ce moment là que je rouvris les yeux.
Un inconnu avait traversé mes pensées, mon âme, suspendu à mes sens, s’accrochant à mon esprit.