Les chansons d'amour : Un film de bobos pour les bobos.
D'abord, un trio : Louis Garrel, Ludivine Sagnier et Clotilde Hesme. Je devrais dire "Ismaël, Julie et Alice", mais ma conception du comédien est la même que celle de Diderot en 1773 dans son
Paradoxe sur le comédien, qui affirme que « l'acteur n?est pas le personnage, il le joue et le joue si bien que vous le prenez pour tel ; l?illusion n?est que pour vous ; il sait bien, lui, qu?il ne l?est pas ». Et ici on se demande même si les acteurs "jouent" le personnage tant ils sont mauvais : on verrait presque les répliques défiler sur l'écran ! Louis Garrel est très mignon, d'ailleurs je suis la première à le dire. Seulement quand il apparaît dans un film, on sait tout de suite quoi en penser : monsieur est fils de, on peut le croiser à La Femis et il ne joue que dans des pseudos films d'auteur français bons à raffler toutes les statuettes en or du monde. C'est un choix. D'ailleurs il n'est pas le pire acteur dans ce film. Son côté beau gosse rêveur fait qu'on adhère plus ou moins à son jeu théâtral, on le voit bien comme ça dans la vraie vie, et en cela, rien d'étonnant quand on est issu d'une famille de cinéastes. Bref, si vous n'avez jamais fait de karaoké, allez voir ce film. On m?expliquera sûrement que c?était une référence à
Robert Bresson.
Car parlons-en, Christophe Honoré en fait des références, et même des tas. Son film est une réponse en mouvement à un questionnaire : quels sont vos réalisateurs préférés ? et vos musiques préférées ? vos écrivains préférés ? Ce qui pourrait être fort intéressant s'il y avait une petite justification, mais non, au contraire, en 1h40 on voit passer : les éditions
l'Olivier, le coffret
Jean Renoir, les
affiches Sarkozy (va savoir pourquoi on voit défiler cette image au beau milieu du film juste "comme ça", non non c'est vrai il est beau notre président), le CD de
Bloc Party,
Louis Aragon, et j'en passe. Derrière tout ça se trouve une bonne dose de références aux grands du XXème siècle :
Eustache,
Truffaut,
Demy, parfois même un faux air de
Godard.
Mais puisque le petit Christophe s'est essayé sur le domaine de la comédie musicale et qu'il ose dire : "Jacques Demy a vraiment eu pour moi un rôle fondateur", nous allons le descendre. Car Jacques Demy n'est pas un homme comme les autres : il est l'homme qui a réalisé
Lola,
Les Parapluies de Cherbourg,
Les Demoiselles de Rochefort et
Peau d'Âne. Et il ne travaille pas avec n'importe qui : il travaille avec Michel Legrand. Et il ne fait ni chanter Catherine Deneuve ni Jacques Perrin, car ils sont acteurs et ne se prétendent pas chanteurs. Entre les paroles d'un grand personnage et la musique d'un grand musicien, l'osmose est parfaite, jamais une fois dans Peau d'Âne on ne décolle du film car il y a une réplique en trop, jamais on ne confondrait deux chansons ; par contre, on peut toutes les chantonner, elles font rêver. Depuis que j'ai vu les demoiselles, j'ai hâte d'avoir un homme à quitter pour lui chanter un air de "De Delphine à Lancien" :
Mais que sais-tu de moi toi qui parles si bien, toi qui dis me connaître et pourtant ne sais rien rien rien rien rien ? (...) Quand au coeur si tu veux, laissons-le de côté, évitons les amours aux lentes agonies, et disons gentiment : toi et moi c'est fini. J'ai retenu la morale :
il faut aimer, aimer la vie aimer les fleurs aimer les rires et les pleurs, aimer le jour aimer la nuit, aimer le soleil et la pluie (...) aimer la Terre pour être heureux. Mon remède, c'est Jacques, et si un jour mon homme part je serai heureuse de lui dire :
mais je ne pourrai jamais vivre sans toi, je ne pourrai pas ne pars pas j'en mourrai, je te cacherai et je te garderai, mais mon amour ne me quitte pas.
Mais Christophe ne fait pas rêver, lui. Quand on lui demande pourquoi il a réalisé une comédie musicale, il répond « (?) C'est mon amitié avec Alex Beaupain. On se connaît depuis nos 17 ans ». Alex Beaupain, comme vous le devinez, est le compositeur et parolier des quatorze lourdes chansons du film interprétées par les comédiens. Il faut savoir que dans une Interview dans Télérama, Honoré cite Delerm et Segara dans ses musiciens préférés ; on aurait préféré qu?il s?en tienne aux Beach Boys, mais on ne peut pas demander à n?importe qui de composer du Brian Wilson, bref.
Au début, tout va bien. Il y a même une chanson qu?on devine futur tube, avec une jolie mélodie enjouée et quelques gros mots : «
petit salaud ton jeu est clair, tu veux tout sans rancune, le beurre le cul de la crémière? ». Les trois acteurs sont rassemblés à ce moment et forment un joli trio, entre la petite blonde, Ludivine en manteau en toile blanc (qui rappelle énormément le personnage de Geneviève dans Les Parapluies de Cherbourg), le beau garçon cultivé et la fille sympathique qui supporte les ébats amoureux sans broncher, en souriant, même :
je suis le pont sur la rivière qui va de toi à toi. Isolée, cette chanson est drôlement mignonne, mais qu?en est-il du reste ?
Maintenant, réfléchissons à l?histoire du film : c?est donc un trio, deux filles, un garçon, qui font ménage à trois. Pourquoi ? On n?en sait rien. Tout ce qu?on voit c?est que cette partie de l?histoire n?a absolument pas d?intérêt puisqu?elle n?est pas traitée : l?équation reste 2 + 1, le couple et l?électron. En effet, Alice est un personnage totalement dénué d?intérêt car non travaillé. Dès le départ on la sent loin du couple, et en dehors de ses mimiques grimacières et de son omniprésence injustifiée, elle ne fait jamais avancer l?action.
Ce ménage à trois est le premier élément qui révèle combien ce film est fourre-tout et décousu. Ensuite, divers sujets sont traités de façon toujours aussi superficielle. D?abord, la mort. On veut donner la parole à chaque personnage, ce qui pourrait être intéressant, d?autant plus que cette mort soudaine apparaît comme absurde et pourrait préparer à un bon scénario, mais non : les personnages se veulent tristes mais sont heureux ; ils sont mélancoliques et chantonnants, perdus mais sûrs d?eux. Voilà donc un bon nombre d?oppositions que je qualifierai avec mon adjectif subjectif préféré :
bidon.
A partir de là, le film se dégrade. Les chansons perdent leur esquisse de charme, on connaît et la mélodie et les paroles avant de les avoir entendues, ce qui peut d?ailleurs se révéler crispant pour les gens présents dans la salle de cinéma. Car quand je n?aime pas un film que je suis en train de voir, je le fais savoir, et je n?ai pu m?empêcher de composer mes propres paroles pendant la projection : « les
oiseaux chantent au-dessus du ciel gris de Paris, c?est beau c?est moche comme du café dans les rues de l?été, je n?aime que toi dans ta bonté, j?aime ta peau chocolat au lait, mets ta langue dans ma fourchette et je t?embrocherai ». Fastoche.
Puis, un nouveau personnage apparaît, prétexte à l?homosexualité et à une scène entre Grégoire Leprince-Ringuet (Erwann) et Louis Garrel (Ismaël). Hé oui,
Chansons d?amour c?est un film pour les grands. Il fallait bien une scène de sexe pour le faire comprendre.
En conclusion :
Un film très ouvert qui retrace l?évolution d?un personnage qui stagne : Ismaël.
Les morales à en tirer :
- Bloc Party est un groupe pour homosexuels.
- Les pulls rayés font homosexuel.
- « Femme éclipsée, par les hommes intéressé. »
- Les femmes sont toutes des gouinasses.
- L?âge ne compte pas dans l?amour.
- Quand quelqu?un meurt c?est dur de trier ses affaires.
- Louis Aragon est un poète.
- Il ne faut pas aller voir Alex Beaupain en concert sinon on meurt.
La docu :
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http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18730782&cfilm=125076&hd=1.html
Un petit exemple du fabuleux jeu des acteurs et de la beauté du film et de ses références.
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http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18730783&cfilm=125076&hd=1.html
Le seul passage du film qui est acceptable, la jolie chanson dont je parlais tout à l?heure « je n?aime que toi »
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http://www.telerama.fr/cinema/M0705211138381.html
L?interview télérama sur les goûts musicaux de Christophe Honoré.
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http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-913360,0.html
L?interview du Monde sur la façon de (ne pas) mettre en scène de Christophe Honoré.
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http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18729425&cfilm=125076&hd=1.html
Et finalement, la bande annonce, un élément intéressant de propagande qui laisserait presque croire qu?il y a un scénario dans le film !