Salut à toutes, voici ma modeste contribution (qui m'a pris trois jours ^^) à cet atelier écriture. C'est une histoire purement inventée, qui paraîtra sans doute cucul à certaines d'entre vous mais que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire. Mon récit comporte probablement des anachronismes et interprétations un peu trop libres, n'hésitez pas à me donner votre avis !
Le vent soufflait sur la plaine, faisant doucement onduler l'herbe jaunie devenue haute en cette fin d'été. Le spectacle était semblable à un océan doré dansant au rythme imposé par l'air. Au loin, le cri perçant d'un aigle m'arracha à ma rêverie. J'avais oublié depuis combien de temps j'étais là. Probablement tout l'après-midi, puisque je voyais au loin le soleil qui entamait sa course ascendante, plus rougeoyant que jamais. Mes parents allaient probablement me punir. Peu importe. Même Featherdance, mon cheval Pinto, semblait absorbé par l'apaisante scène qui se tenait sous nos pieds, une immense prairie à flanc de falaise qui semblait interminable.
Monter à cheval était pour moi naturel. Moi qui avais toujours été un peu gauche, qui ne savait pas faire un pas sans trébucher, à cheval je me sentais invincible. C'était un de mes rares talents et j'en profitais. Chaque jour je passais plusieurs heures à cheval, y consacrant tout mon temps en dépit des reproches de mes parents.
"Si tu crois que tu vas réussir à l'école avec les fesses sur ton canasson à longueur de temps !" ou encore "le jour où les interrogations écrites porteront sur les chevaux tu auras peut-être enfin de bonnes notes !" étaient mon lot quotidien. Et avec ça on me reprochait également de ne jamais être à la maison.
D'un imperceptible mouvement de rênes, j'indiquais à Feather qu'il était maintenant temps de faire demi-tour et de reprendre le chemin de la maison, qu'il connaissait par c?ur maintenant. Je venais ici quasiment tous les jours, sur cette falaise que j'avais surnommée Indian Rock, après y avoir une fois retrouvé des pointes de flèches. D'ici, j'avais une vue imprenable sur le coucher de soleil et j'avais ainsi tout le loisir de réfléchir. Réfléchir aux choses de la vie, aux problèmes graves, comme par exemple le fait que Cody ne me regardait jamais à l'école.
Après avoir dépassé la colline de Fort Peaks, j'apercevais déjà le ranch au loin. La pénombre étant déjà bien installée, je distinguais la fenêtre donnant sur le salon qui brillait, et j'en déduis que mes parents devaient sans doute déjà être en train de dîner. Aïe, je sentais les embrouilles à plein nez. Même si ce soir là les embrouilles avaient une bonne odeur de poule au pot, j'appréhendais leur réaction.
Après avoir en vitesse frictionné Feather pour le sécher de sa sueur, je tachais de m'épousseter grossièrement pour faire bonne figure.
J'eu à peine actionné la poignée de la porte que le rugissement de mon père retentit déjà dans toute la pièce :
"Kate ! Où étais-tu passée, tu as vu l'heure ?!"
J'avais beau avoir l'habitude, les remontrances de mon père m?impressionnaient toujours autant. Il faut dire qu'il y a de quoi. Un mètre quatre vingt dix de muscles, une peau tannée par le soleil et le travail du bétail et des cheveux sombres toujours en bataille.
Le contraste avec ma mère était d'ailleurs saisissant et me frappait chaque fois que je les voyais côte à côte. Elle si fine et gracile, des longs cheveux blonds et raides, des yeux bleus aux cils fournis et une taille si serrée qu'on se demandait si elle ne portait pas un corset permanent. La perfection en somme.
Et bien évidemment je n'ai pas tiré d'elle. Je suis pulpeuse, brune et très grande. Les méchantes langues me disent que je suis mon père au féminin. Les autres me disent que je suis une "fille de caractère", sans doute une manière détournée de me dire que ne suis pas très gracieuse.
Je m'assis sans mot dire et commençait à manger aussitôt pour me donner une contenance.
"Encore passé la journée sur ton foutu cheval hein ?!" tempêtât mon père.
Je ne me donnais même pas la peine de répondre, de toute manière cela n'aurait rien changé à la haine permanente qu'il me vouait. C'est simple, quand il s'adresse à moi, c'est soit pour me crier dessus, soit pour me demander de faire quelque chose.
Ce qui me fait le plus mal dans tout ça, ce n'est pas qu'il hurle sur moi parce que je ne me comporte pas comme il le voudrait, mais parce que je sais pertinemment que mon père espérait un garçon. Un garçon qui deviendrait un fort gaillard, qui l'aiderait avec les vaches et les chevaux, qui couperait le bois. Un garçon avec qui il partagerait tout, les grandes chevauchées et les grivoiseries sur les filles du bureau de poste.
Mais voilà, moi je suis bien là, et je subis chaque jour le deuil de ce garçon qui n'est jamais né.
Mon assiette était encore aux trois-quarts pleine quand je me levais pour monter dans ma chambre.
J?ignorais la énième remarque de mon père, sans doute au sujet de mon assiette encore pleine ou du fait que je me levais sans attendre la fin du repas, je ne saurais dire. J?avais fini par prendre cette habitude d?ignorer ses réflexions désobligeantes. C?était ma soupape, mon unique moyen de ne pas craquer. Je m?appliquais à transformer les sentences cinglantes de mon père en un flou auditif, de sorte que je saisissais tout juste le sens de ses phrases. Cette technique m?avait déjà valu maintes réflexions, comme quoi j?étais toujours dans la lune et qu?on ne ferait rien de moi. Une sorte de cercle vicieux.
Et ma mère dans tout ça me direz-vous ? Cela m?attriste, mais c?est pour moi une étrangère. Elle ne s?implique quasiment jamais et ne prend pas parti. Sans doute par peur de s?opposer à mon père, si imposant. Elle ne s?est que rarement occupée de moi, quand j?étais malade ou encore trop jeune pour être livrée à moi-même. J?ai grandi seule, en vadrouille dans les plaines toute la journée avec Feather. C?est lui qui a été le plus présent dans mon enfance. Cela vous forge un caractère au demeurant. Maintenant je n?ai peur de rien ni de personne. Je devrais peut-être. Si j?écoutais mon père je devrais me méfier des Indiens. Selon lui, il y aurait une tribu Lakota qui a établi sa réserve à l?ouest de Fort Peaks, la colline surplombant notre ranch. Je ne pouvais m?empêcher d?en douter, étant donné que je traînais souvent par là bas et que je n?avais jamais rien vu ni entendu. Evidemment que mon père, avec son ouverture d?esprit habituelle, m?avait conseillé de me méfier d?eux comme de la peste. Son discours raisonne souvent dans ma tête : « ils vivent encore à l?âge de pierre, ils font du feu et s?habillent de peaux de bêtes, ils sont sales et transpercent tout ce qui bouge avec leurs flèches mal taillées ».
J?avais préféré tourner les talons en entendant de telles inepties. Nous avions eu un cours sur les Amérindiens à l?école et je savais que tout cela était faux. Leur culture avait au contraire tendance à me fasciner. Leur respect pour la nature et ce qui les entoure forçait mon respect.
Je sais que pour la plupart des américains moyens, ne serait-ce qu?envisager que les Indiens puissent être des personnes respectables relève déjà du crime. Mais personnellement je n?étais pas d?accord. Je pensais que tout individu mérite considération du moment qu?il ne fait de mal à personne. Mais voilà des idées bien révolutionnaires pour la plupart des gens?
Je me glissais dans mon lit en ruminant mes soucis. Je sentais que j?aurai bien du mal à m?endormir ce soir là. L?énorme bille laiteuse et fantomatique de la pleine lune se trouvait au beau milieu de la fenêtre et me gênait même quand je fermais les yeux. Les heures défilèrent sans que je puisse m?assoupir une seconde. Il fallait que je prenne l?air.
Je décidais de m?asseoir sur le rocking chair du porche. Le léger balancement qu?il produisait m?apaisait. Quand soudain Feather poussa un hennissement strident et anormal. Il n?hennissait jamais comme ça au milieu de la nuit. Je fus sur mes pieds en une fraction de seconde. J?étais tiraillée entre courir vers les écuries pour voir ce qu?il se passait et rester clouée sur place par peur de ce que j?allais voir. Je m?emparais de la fourche et marchais doucement vers la stalle de Feather, quand un rugissement à glacer le sang retentit. N?écoutant que mon désir de protéger mon cheval, je courais vers la grange, fourche en avant, le c?ur prêt à exploser tant il battait vite. C?est là que je l?aperçu, un énorme puma, debout contre la porte du box, essayant d?attraper ce pauvre Feather qui se débattait comme il pouvait dans sa stalle trop petite. La sale bête balançait ses pattes aux immenses griffes, et avant même que j?ai eu le temps de réagir, un sifflement fendit l?air et une flèche vint se ficher à toute vitesse dans l?abdomen du félin qui tomba inanimé sur le coup. Je regardais autour de moi totalement paniquée, mais je ne vis et n?entendis rien. Pour moi cette flèche ne pouvait avoir été tirée que du dense bosquet de sapins qui bordait les écuries. Ailleurs, tout était à découvert et il n?y avait personne.
Quelques secondes s?écoulèrent et j?entendis des froissements de feuilles et branches qui provenaient des sapins, signifiant clairement que quelqu?un s?éloignait. Je n?avais pas besoin de plus pour me décider à regagner ma chambre au pas de course.
Je me réveillais tard dans la matinée, avec la sensation étrange du rêve mêlée à la réalité de ce que j?avais vécu cette nuit.
Comme tous les dimanches ma mère avait préparé un petit déjeuner plus copieux qu?à l?accoutumée, composé de pain frais qu?elle faisait elle-même accompagné de babeurre. L?odeur me mettait l?eau à la bouche mais j?avais plus important à faire aujourd?hui.
Je filais harnacher Feather et me retrouvais sur le versant ouest en moins de temps qu?il ne faut pour le dire, bien décidée à enfin repérer cette fameuse réserve indienne dont on m?avait temps parlé mais que personne n?avait jamais vu. J?allais de plaines en plaines, de clairières en clairières, mais tout était totalement dépeuplé mis à part la horde de bisons qui paissaient paisiblement en contrebas.
Lassée par ces investigations hasardeuses qui ne donnaient rien, je décidais de me rendre à Crystal Waters que je savais non loin d?ici. Le spectacle qui m?y est offert est un enchantement chaque fois renouvelé. C?est une petite clairière verdoyante avec une cascade dont les bouillons viennent se jeter dans un bassin rond au centre. Cet endroit féerique semble presque incongru en plein c?ur de l?aride état du Dakota.
Je laissais mon esprit vagabonder tandis que Feather broutait avec délectation l?herbe grasse et juteuse qu?on ne trouvait qu?à cet endroit. Je regardais l?eau tomber à grand fracas dans le bassin quand quelque chose de brillant attira mon ?il au pied de la cascade. Je me levais pour voir de quoi il s?agissait, et plus je m?approchais, plus l?éclat s?intensifiait. Je me penchais pour ramasser l?objet, une chose assez étrange, jamais vue auparavant. Cela devait probablement être une sorte de talisman, d?amulette, composée d?un anneau central en bois tissé de fil et de perles en son centre et d?où pendaient de nombreuses plumes. Une perle, probablement taillée dans une matière précieuse, brillait plus que les autres. Cela m?avait tout l?air d?un objet indien, ce qui me fit naïvement penser que j?étais peut-être sur leur piste.
Mais mis à part cette trouvaille, il n?y avait nulle trace d?Indien en ce lieu.
C?est là que je fus traversée par un éclair de folie. Mon désir d?avoir enfin la preuve de l?existence de cette tribu Lakota était si intense que je décidais de dormir dans la clairière. Enfin plutôt d?y veiller toute la nuit, même si je savais pertinemment que je finirai tôt ou tard par tomber de sommeil.
Je n?avais rien avalé de la journée mais j?étais si excitée que je ne sentais même pas la faim qui me vrillait l?estomac. Je bus juste quelques gorgées de l?eau claire du bassin et m?adossais contre le tronc accueillant d?un arbre centenaire. L?espace d?une seconde je fus envahie de remord de découcher sans que mes parents soient prévenus. Mais après tout je ne suis plus à ça près. Ils en ont vu d?autres et en verront encore des pires.
La nuit était déjà bien entamée et mes paupières commençaient à se faire terriblement lourdes.
Je luttais de toutes mes forces pour ne pas sombrer mais le sommeil a fini par l?emporter sur moi.
Au petit matin, mon esprit commençait à s?éveiller tandis que mon corps était encore engourdi dans un demi-sommeil. L?air ambiant était si frais que je me blottis avec délectation dans les bras chauds qui m?entouraient. Des bras chauds ?! L?éveil fût instantané mais pas assez rapide pour voir à qui appartenaient ces bras si accueillants, car la disparition fût encore plus furtive que le laps de temps qui me fallut pour ouvrir grand les yeux. J?étais trop troublée pour avoir peur et cet évènement me laissa comme un amer goût de frustration. Je ne saurais l?expliquer mais le reste de la journée se déroula dans une torpeur déroutante. Avais-je rêvé ? Je ne distinguais même plus les songes de la réalité. J?étais de plus dans un état de fatigue extrême qui n?aidait en rien. Seul le talisman indien que j?avais accroché aux crins de Feather donnait encore un semblant de réalisme aux évènements de la veille.
Je fis stoïquement face à la terrible gifle que me donna mon père et filais dans ma chambre sans même accorder un regard à ma mère qui sanglotait sur le fauteuil de la salle à manger.
J?attrapais l?encyclopédie illustrée en haut de mon étagère et ouvrait directement au chapitre sur les Amérindiens. Une image semblable en tout point à l?amulette trouvée quelques heures plus tôt décrivait l?objet comme un « Attrape Rêves » que les Indiens fabriquent afin de se préserver des mauvais esprits qui viennent hanter le sommeil. Je fus très sensible à cette signification que je trouvais joliment métaphorique. Je l?accrochais donc au dessus de mon lit et m?endormis aussitôt sans demander mon reste.
****
Les vacances d?été touchaient à leur fin et je devais reprendre les études à l?école d?Holy Creeks.
Dès mon arrivée j?aperçois Cody, sa peau parfaite brunie par le soleil et sa musculature surdéveloppée, sans doute fruit d?un été de travail avec son père. Je le vois se diriger vers moi et mon c?ur manque un battement. Sa voix chaude et grave fraîchement muée m?hérisse les poils des bras et je me focalise sur ma respiration pour essayer de ne pas rougir.
« Tu as passé un bon été Kate ? Tu as bien changé en deux mois? » me susurre t?il en fixant mon chemisier d?un drôle de manière.
Ma gêne étant à son paroxysme, j?essaye tant bien que mal de balbutier une réponse audible mais ma voix en décide autrement.
« Je?je...tu?tu as fait quoi cet été ? » parvins-je enfin à articuler.
« Mon père m?a emmené au saloon, je suis un homme maintenant » fanfaronna t?il.
Du moment qu?il s?agit de Cody, il pourrait me déblatérer les pires âneries du monde que je le trouverais encore merveilleusement fin et intelligent.
« Tu veux que je te montre ce que j?y ai appris ? » me dit-il.
J?étais incapable de fournir une réponse cohérente ou même d?exprimer ce que je voulais ou non, je me contente donc d?un hochement de tête, le seul geste qui ne me demandait pas un effort de concentration surhumain. Il me prend la main et m?emmène derrière le bâtiment de bois dans lequel les élèves de la classe commençaient à entrer. Totalement tétanisée, je suis incapable de réfléchir et d?imaginer ce qui pourrait m?attendre.
« Laisse toi faire » me souffle t?il à l?oreille.
Je n?ai même pas le temps de réaliser ce qui est en train de m?arriver qu?il colle sa bouche à la mienne et y enfonce sa langue de force. Totalement déboussolée, je suis incapable d?esquisser le moindre geste. Sa main gauche plaque mon épaule au mur tandis que de la droite il saisit ma cuisse et l?amène au niveau de sa hanche, ce qui a pour effet de soulever ma jupe pourtant longue et d?amener mon intimité en contact direct avec son pantalon où je sens un imposant renflement qui m?inquiète. Tout en arrachant mon chemisier, il baisse son pantalon qui se retrouve à ses chevilles en une fraction de seconde. Et là, la vision qui s?offre à moi me fait horreur. Bien évidemment j?avais déjà eu vent de ce genre de chose, mais je n?avais jamais vu ça de mes propres yeux. Un sexe en érection. Je n?en avais jamais eu devant moi auparavant et ça me fait peur. Mais plaquée contre le mur, je suis incapable de bouger. La crainte me cloue au sol en opposition à mon esprit qui me supplie de fuir. Je suis gênée par ma poitrine mise à nu de ses mains sauvages, et il ne se passe pas quelques secondes avant qu?il s?en empare à pleines mains. Tout en s?affairant dessus, je sens sa main s?approcher de mon intimité. Ma position ne devant pas lui convenir, il m?assoit par terre et m?écarte les cuisses d?un geste vif. Je me trouve devant Cody, poitrine nue et jambes écartées, mon intimité offerte face à la lui, je me sens terriblement vulnérable et pleine de culpabilité. Je me retiens pour ne pas crier et ameuter toute la classe.
« Tu es prête à devenir toi aussi une femme ? » me dit-il dans un râle essoufflé.
Et là, ma lucidité disparue pendant tout ce temps revient d?un seul coup, comme un flash.
Je ne veux pas faire ça - quelque chose que je considère comme particulièrement précieux ? avec un pareil imbécile, prêt à tout pour satisfaire ses pulsions. Je le pousse de toutes mes forces et pendant qu?il tombe en arrière cela me laisse le répit nécessaire pour m?enfuir à toutes jambes vers la classe, qui heureusement vient tout juste de commencer. J?arrive essoufflée tout en balbutiant une excuse peu crédible mais qui semble faire son effet puisque le pasteur m?autorise à aller m?asseoir. J?attends avec angoisse l?arrivée de Cody mais il ne semble pas décidé à se montrer au cours. Le pasteur nous adresse ses encouragements et ses v?ux pour l?année à venir.
Je scrute la classe pour voir qui s?y trouve cette année. Sensiblement les mêmes têtes que celles de l?an passé, excepté quelques fils de paysans qui ne sont plus là, sans doute réquisitionnés par leur père pour travailler aux champs. Quand la voix du pasteur me tire de ma réflexion :
« Cette année, notre école a décidé de rendre l?éducation accessible à tous, c?est pourquoi je vous demanderai de faire preuve de tolérance et d?ouverture d?esprit et d?accueillir parmi nous Hakan, qui vient de la réserve Lakota de Fort Peaks ».
Il n?en fallu pas plus pour que la classe s?emplisse d'une bruyante rumeur. Et pour que je tombe des nues. Donc cette tribu Lakota existe bel et bien ! Mais où peut-elle dont être ? Je n?eu pas le temps de réfléchir plus longtemps que le pasteur demanda à l?Indien de se présenter devant la classe.
« Je suis Hakan, ce qui veut dire Le Feu en Lakota ancien » dit-il d?une voix sombre, presque murmurée, avant de se rassoir précipitamment.
« Hé bien Hakan, explique nous ton histoire, d?où tu viens, ne fais pas le timide » le semonça le pasteur.
« Vous le savez d?où je viens, de Fort Peaks, mais avec votre foutue conquête de l?Ouest et votre folie des grandeurs, un rail de chemin de fer traverse maintenant notre réserve et nous avons du déporter notre camp ailleurs, et nous ne vous dirons pas où cette fois » dit-il sur un ton sans appel.
« Bien hum très bien, cette année donc nous allons étudier l?algèbre et la gramm? »
Je n?écoutais déjà plus les paroles du pasteur, tant j?étais absorbée par ce qui venait de se passer. Un Indien parmi nous ! Ma fascination allait peut-être enfin être assouvie, et mes questions trouveraient peut-être enfin des réponses. Le reste de la leçon s?écoula à toute allure sans que j?aie pu saisir un seul mot de ce qui a été dit. Tandis que je sortais de la classe, je sentis une présence à mes côtés et entendis ces mots chuchotés à mon oreille :
« J?ai vu ce qu?il t?a fait. S?il recommence, je me chargerai de ficher une flèche en plein dans son totem, sois en sure ».
Le temps de prendre conscience du sens de cette phrase je le voyais déjà s?éloigner d?un pas sur, ce qui me permit de l?étudier de la tête aux pieds. Très grand, délicatement musclé, de longs cheveux de jais caressaient ses omoplates. Sa peau avait une couleur surréaliste, à mi-chemin entre la terre ocre des rocheuses et la plume d?or mêlée à ses cheveux. Un aigle majestueux ornait son mollet, accentuant le galbe de ce dernier. Si on m?avait dit de représenter un dieu indien, je ne l?aurais sans doute pas imaginé autrement.
La seconde d?après je fus envahie d?une immense gêne. Dire qu?il m?avait vue dans cette honteuse situation ! Mais peu m?importait, puisqu?il m?avait dit qu?il me protégerait. Je ne le connaissais pas, il ne m?avait dit que quelques mots, et j?ignore pourquoi mais je lui faisais confiance. Ses paroles raisonnaient en moi comme un mantra et me faisaient me sentir en sûreté, comme un talisman inclus en moi pour toujours.
De cet instant, une obsession sans faille pour cet Indien s?insinua dans mon esprit et ne me quittait plus. Bien qu?aller à l?école ne m?ai jamais enchanté, la perspective de le voir chaque jour me rendait l?idée d?étudier plus douce. Cela me réjouissait même.
J?arrivais chez moi sur un nuage, ce qui ne passa pas inaperçu en comparaison de mon habituelle carapace d?indifférence.
Je ne sais pas ce qui me surprit le plus, que mon père ne me fasse aucun reproche aussitôt le seuil franchi ou bien que ma mère me demande avec douceur comment s?était passé la reprise de l?étude.
Forte de cette journée hors du commun, je filais aux écuries seller Feather avec une seule idée en tête : trouver cette réserve Lakota. Je la cherche depuis longtemps mais mon désir de la découvrir avait redoublé d?intensité après les évènements de la journée.
Ce n?est qu?une fois au beau milieu des plaines que je réalisais ne pas avoir la moindre idée d?où chercher. D?après les dires d?Hakan, sa tribu n?était plus à Fort Peaks. Mais où donc ?
On dit que les animaux ont un sixième sens, ça ne coûte rien d?essayer après tout.
« Feather, aide-moi à trouver cette fichue réserve ! » lui dis-je sans trop de conviction ni espoir.
J?eu à peine terminé ma phrase que mon cheval prit naturellement la direction de Crystal Waters. Cela me semblait trop beau pour être vrai mais je voulais y croire. Je me laissais donc porter par l?allure tranquille de Feather jusqu?à ce que nous arrivions dans l?idyllique clairière. A peine eut-il posé un sabot sur l?épais tapis vert que ce maudit équidé baissa la tête et commença à brouter comme si sa vie en dépendait. C?était donc trop beau. Ce sacré Featherdance m?avait amenée jusqu?ici uniquement pour se remplir la panse. J?étais dépitée mais je ne pouvais pas lui en vouloir, j?aimais trop ce petit cheval.
Ma déception surmontée je décidais de m?assoupir quelques instants car je n?avais aucune envie de faire le chemin du retour maintenant. Mais avant même que j?ai pu rejoindre la vallée des songes, un son étrange parvint à mes oreilles. Cela semblait venir de la cascade. J?y prêtais attention quelques instants et ne distinguant plus rien, je me dis que le bruit tonitruant du fracas de l?eau sur la roche me jouait probablement des tours. Il ne s?écoula pas une minute avant que ces sons reprennent, plus clairs cette fois. Cela ressemblait à des rires d?enfants, aussi cristallins que le rideau d?eau qui me masquait la source de ce bruit. Je vérifiais le n?ud d?attache de Feather et décidait d?allait voir de quoi il retournait.
Plus je m?approchais de la cascade et plus le son s?intensifiait. Il était clair que le bruit provenait de derrière le rideau d?eau. On aurait clairement dit que ces rires m?invitaient à le franchir, ce que j?étais résolue de faire. J?enlevais mes bottes et entrais dans l?eau fraîche. Le courant chatouillait mes pieds nus tandis que j?avançais vers la cascade. L?eau qui s?écoulait de la falaise formait un rideau qui semblait si épais que j?hésitais à le franchir, et il m?était impossible de distinguer quoi que ce soit au travers.
Je pris une grande inspiration et me retrouvais de l?autre côté en une fraction de seconde, à peine mouillée. Mes yeux mirent quelques instants à s?accoutumer à l?obscurité ambiante, tranchant radicalement avec la clairière rayonnante de luminosité d?où je venais. Les rires s?étaient brusquement tus au moment même où je franchissais l?eau et seul grondait le tonnerre de la cascade derrière moi. Après une poignée de secondes, je distinguais enfin mon environnement. Je me trouvais dans une sorte de tunnel assez long où une ouverture lumineuse devant moi semblait indiquer une sortie. Une intuition me fit baisser les yeux, et à quelques mètres de moi, deux petits indiens me regardaient avec de grands yeux noirs, chacun tenant un cheval en bois dans sa minuscule main. Ils semblaient à la fois effrayés et intrigués par ma présence. Je décidais de leur adresser une parole qui se voulait rassurante :
« Euh salut ! Euh? je ne vous veux pas de mal, je euh? » bégayais-je, ne sachant pas quoi dire pour justifier ma présence en ce lieu.
« Toi visage pâle pas venir pour piller la réserve s?il te plait » me dit le plus jeune des deux dans un anglais approximatif et les yeux larmoyants.
« Tu viens faire quoi ici ? » me demanda l?autre enfant plus âgé en caressant les cheveux du plus petit.
« Je viens? euh? je viens voir Hakan » répondis-je, ne sachant pas trop que dire d?autre.
« Pourquoi tu veux le voir ? »
« Parce que? je? je l?aime bien je crois » balbutiais-je.
« Aaahhh une visage pâle est amoureuse de mon grand frère ! » se moqua t?il.
« Non ! » me défendis-je mollement. « Je viens juste lui rendre visite, nous sommes en classe ensemble à Holy Creeks ».
« C?est d?accord, suis-moi ».
Tandis qu?il prenait le plus jeune par la main qui le suivait tant bien que mal en claudiquant, je me demandais ce que j?allais bien pouvoir dire à Hakan en le voyant. Tout cela me fit oublier où j?étais l?espace d?un instant. L?ouverture au bout du tunnel débouchait sur une immense prairie baignée de soleil. L?herbe rase et bien verte était parsemée de plusieurs dizaines de tipis, de chevaux appaloosa somnolents et de feux encore fumants. Je venais d?enfin découvrir la réserve Lakota que je cherchais depuis si longtemps ! Ma joie ne connut de limite qu?à l?instant où je me trouvais face à Hakan qui ne m?accueillit pas aussi chaleureusement que je l?avais espéré :
« Que viens-tu faire ici ? » m?interrogea t?il froidement.
Après ce qu?il m?avait dit à l?école, je n?aurais jamais imaginé une telle réaction de sa part.
Ma gêne n?aurait pu être plus intense si on ajoute à cela le fait qu?une demi-douzaine d?autres indiens ? que je supposais être les amis d?Hakan ? me fixaient d?un air réprobateur.
Ma tendance au bégaiement dans de pareilles situations ne fit que s?amplifier.
« Je?je?je voulais juste te voir »
Un silence plus que gênant semblait emplir la réserve tandis que mes joues en feu auraient pu leur servir de chauffage tout un hiver.
« Pourquoi viens-tu me voir, te l?ai-je demandé ? » finit-il par répondre.
« N-n-non, pas vraiment » dis-je, au comble de l?embarras.
« Pas vraiment, pas du tout tu veux dire. Je pense que tu peux rentrer chez toi, tu n?as rien à faire ici » me dit-il sur un ton qui semblait clore tout échange.
Le choc fut si grand que je ne laissais transparaître aucune émotion. Sans un mot, je tournais les talons et me retrouvais dans la clairière en moins de temps qu?il ne faut pour le dire.
Je fondis aussitôt en larmes. Je n?avais jamais sangloté aussi fort et la peine était si intense qu?une douleur cinglante me vrillait la poitrine. Je ne comprenais pas, je n?avais eu aucune explication et c?est ce qui rendait cette épreuve encore plus insurmontable à mes yeux, moi qui veut toujours tout comprendre. Rejoignant Feather qui n?avait pas bougé, j?enfouis ma tête trempée de larmes dans sa crinière, suffoquant, m?étouffant presque. Je sentais qu?il me donnait des petits coups de nez, comme pour me consoler, mais rien n?aurait pu sur l?instant atténuer mon chagrin. J?aurais été incapable de rentrer chez moi dans un tel état et d?affronter mes parents, surtout mon père, qui est totalement imperméable à mes émotions.
Je choisis de m?étendre sur un tapis de mousse, face contre terre. La fraîcheur de la végétation était salutaire pour mes yeux rougis et gonflés de chagrin.
Je commençais petit à petit à m?apaiser, presque à m?assoupir, quand je sentis une présence à côté de moi. Je me retournais vivement et dans la pénombre du crépuscule, je ne distinguais qu?une imposante silhouette sombre. Etouffant un cri, une main chaude se posa sur ma bouche et j?entendis sa voix grave et rassurante :
« C?est moi, Hakan, ne panique pas, je vais tout t?expliquer ».
Vu la façon dont il s?était adressé à moi quelques heures plus tôt, je n?étais pas dans les meilleures dispositions pour écouter ce qu?il avait à me dire, d?autant plus que j?étais encore sous le choc. Mais mon admiration sans faille pour lui reprit vite le dessus tandis que je détaillais son visage aux traits parfaits, prête à boire ses paroles.
« Tout d?abord, je tenais à m?excuser sincèrement pour tout à l?heure, sache que je ne pensais pas un seul mot de tout ce que j?ai pu te dire »
« Alors pourquoi l?as-tu dit ?! » hurlais-je presque.
« Parce que j?y étais obligé ».
Mon cerveau se torturait en réfléchissant à ce qu?il venait de dire. En quoi pouvait-il bien être obligé de me dire de pareilles choses ?
« Tu sais, vous les visages pâles êtes persuadés que nous les Lakotas jouons aux pauvres victimes recluses dans des réserves alors que nous menons une vie de pacha. Mais pas vraiment. J?ai été forcé de te dire ces choses là car la présence d?un blanc dans une réserve est toujours très mal vue. Ma famille et mes amis me chasseraient s?ils pensent que je sympathise avec vous »
« Mais ils t?envoient pourtant à l?école avec nous ! » essayais-je de comprendre.
« Oui, car ils veulent que j?ai une éducation, et que je suis trop âgé pour les enseignements dispensés au sein de la réserve maintenant. Mais on m?a interdit d?adresser la parole à l?un d?entre vous »
« C?est ridicule. Ils te conseillent donc de faire exactement l?inverse des valeurs qu?ils veulent t?enseigner ! Va t?instruire chez les blancs mais ne leur dit surtout pas merci, c?est donc ça le message qu?ils te font passer ? »
« En quelque sorte oui. Si les oppositions entre les Indiens et les américains sont si marquées de nos jours, c?est parce que ce genre d?état d?esprit a la vie dure, ça en devient un cercle vicieux. Etre détesté rend détestable et inversement, on ne saura jamais qui a commencé mais on entretiendra toujours ce phénomène, consciemment ou non ». Il semblait vraiment navré, et je ne pouvais faire autrement que de le croire sincère. Il enchaînât :
« Met toi à ma place, si un jour ton père me voyait chez toi, que dirait-il ? »
« Il te tuerait probablement avec son colt et te finirait à la fourche à foin » répondis-je dans l?espoir de détendre un peu l?atmosphère.
Il esquissa un sourire et répondit :
« Voilà c?est exactement là où je voulais en venir. Il ne fait pas bon pour nous d?être vus ensemble. Peu importe ce que NOUS voulons vraiment. Si cela ne tenait qu?à moi je voudrais passer tout mon temps avec toi. Et cela depuis l?instant où je t?ai aperçu dans cette clairière, tu dorm? »
Je l?interrompais aussitôt :
« Quoi ?! C?était donc toi, ces bras, quand je dormais? »
« Oui. Cela ne se fait pas, je sais, mais je n?ai pas pu m?en empêcher. Je sentais que tu étais différente, que tu n?avais pas cette haine envers notre peuple. »
Le bonheur qui m?envahit à l?écoute de ses paroles était si intense que je ne savais pas si je devais sauter de joie ou fondre en larme. Tout semblait évident. Tout s?expliquait. J?avais toujours été persuadée que deux personnes faîtes l?une pour l?autre finissent immuablement par se trouver. C?est ce qui était en train de se passer, j?en avais la certitude. Je l'enlaçais aussitôt et collais ma joue contre son torse lisse et chaud. Il sentait le cuir et l?herbe sèche, une odeur ambrée et rassurante que je ne pouvais me retenir d?humer.
Je sentais qu?il posait sa joue contre mes cheveux pendant qu?il répondait à mon étreinte, caressant mon dos de sa main robuste.
« Ne crois pas que ce sera facile pour nous, nous devrons nous cacher, toi de ta famille et moi de la mienne. Heureusement nous pourrons nous voir à l?école, mais en restant prudents, car nous ne sommes pas à l?abri des langues de vipère. »
J?approuvais ses paroles d?un hochement de tête sans vraiment en saisir le sens. Il aurait pu me demander de venir habiter avec lui dans un tipi, seuls au milieu des steppes que j?aurais approuvé. J?étais prête à le suivre n?importe où.
« Tu devrais rentrer chez toi maintenant » me dit-il à mon plus grand regret. J?aurais pu rester toute la nuit blottie dans ses bras.
Je me résolus finalement à m?écarter de lui, et en profitais pour le regarder. Ses grands yeux sombres étaient les plus expressifs que j?ai jamais vus. Sa bouche ourlée et parfaitement dessinée dégageait un souffle chaud tandis qu?il me dévisageait. Je sentais son souffle devenir de plus en plus intense quand il approchait son visage du mien et que sa bouche touchait la mienne. Ses lèvres furent la caresse la plus agréable que je n?ai jamais ressentie. Il m?embrassait doucement, tendrement, et ce baiser n?avait rien à voir avec le seul que j?avais reçu jusqu?à présent, celui de Cody. J?aurais pu faire ça pendant des heures, et au bout de quelques minutes pendant les quelles il m?avait semblé me trouver dans une galaxie parallèle, il mit fin à ce merveilleux baiser et m?aida à remonter sur Feather.
« Sois prudente » me dit-il.
J?arrivais chez moi une heure plus tard, et montais dans ma chambre en essayant de faire le moins de bruit possible.
Le lendemain, j?essayais de faire en sorte de me lever avant mes parents pour ne pas avoir à les affronter dès le réveil. Je sortais à peine de ma chambre quand je vis mon père, assis sur le fauteuil du corridor, en train de rouler son tabac, l?air plus détendu que jamais.
« Où étais-tu hier soir ? Qu?as-tu fait qui puisse justifier le fait que tu sois rentrée à une heure pareille ? » me demanda t-il sur un ton si calme qu?il en était d?autant plus inquiétant.
« Cela ne te regarde pas. »
Je ne sais pas ce qui m?a pris de répondre ça, et j?ai regretté ces paroles au moment même où elles ont franchi mes lèvres. J?ai vu le visage de mon père se décomposer et se préparer à l?explosion.
« Ton insolence ne restera pas impunie, tu peux en être certaine. Tu n?as jamais que dix sept ans Kate et tu as tendance à l?oublier, tu te crois tout permis et je ne supporte pas cette attitude ! »
« C?est sur, si je n?étais jamais venue au monde et que tu avais plutôt eu un fils, lui aurait vraiment pu tout se permettre et tu l?aurais en plus encouragé ! Je ne suis pas bête, je sais très bien que tu me fais payer ta frustration. Tu sais au fond de toi que je n?y suis pour rien, tu culpabilises de me faire souffrir et cela te rend encore plus désagréable. Tu es pitoyable ! »
Je savais pertinemment que j?avais appuyé de tout mon poids là où ça lui faisait vraiment très mal. La sentence ne se fit pas attendre :
« Tu as gagné, demain ta mère et moi comptions aller à la foire pour un nouveau cheval, nous en profiterons pour vendre Featherdance par la même occasion. »
J?avais beau lui hurler qu?il n?avait pas le droit de faire ça, me mettre à sangloter, je voyais bien qu?il ne lâcherait rien. Mon père reste toujours sur ses décisions, même quand il a tort.
« Profite bien de ta dernière journée avec ce sale canasson » me dit-il avant de descendre l?escalier de son pas lourd.
La journée d?étude se passa dans une ambiance plus que maussade, et j?expliquais toute la situation à Hakan en sanglotant sur son épaule. Il me répétait de pas m?inquiéter, que mon père ne ferait jamais une chose pareille, mais je savais très bien que demain, je ne reverrai plus jamais Feather.
Je rentrais chez moi et m?enfermais dans ma chambre avec la ferme intention de ne pas en sortir jusqu?au lendemain, pas même pour dîner. J?ignorais ma mère qui me disait de descendre manger, et je tombais très tôt de sommeil et d?énervement. Je me réveillais quelques heures plus tard et vis un plateau avec du pain et de la viande posé sur mon bureau. L?attention ne me touchais même pas et je me rendormis jusqu?au lendemain.
Quand je me réveillais, la maison était vide et je courus aussitôt aux écuries. Comme je m?y attendais, Feather n?était plus là. Je m?assis dans son box et pleurait une nouvelle fois toutes les larmes de mon corps. Après plusieurs heures passées là, je décidais d?aller manger car je n?avais rien avalé depuis la veille au matin. Puis je passais l?après-midi à errer, dés?uvrée, dans la pleine qui entoure le ranch. Je contemplais le ciel allongée dans l?herbe quand soudain le rythme endiablé de sabots lancés au grand galop fit trembler le sol. Je me relevais précipitamment et vis au loin la silhouette d?un cavalier et sa monture arriver vers moi à toute allure. Ce n?est qu?une fois à quelque mètre de moi que je les ai vus : Hakan, monté sur Feather. Je ne savais pas par où commencer. Sauter au cou d?Hakan ou à l?encolure de Feather.
« J?avais comme une envie d?aller à la foire pour m?acheter un nouveau cheval » dit-il l?air rieur.
« Je? je ne sais même pas comment te remercier » lui dis-je emplie d?un incommensurable bonheur.
« Peut-être en m?embrassant. »
Il sauta lestement à terre et m?enlaça tendrement. Nous nous embrassions depuis plusieurs minutes déjà quand j?entendis arriver une charrette devant la maison.
« C?est surement mes parents qui reviennent ! » dis-je, en proie à la panique.
Plus prompt que moi, Hakan enfourcha Feather et disparu dans les bosquets, me laissant seule tandis que mes parents amenaient leur nouveau cheval dans son box. Je décidais d?aller à leur rencontre. J?essayais d?avoir l?air un peu défait en demandant qui avait acheté Featherdance.
« Encore une de ces saletés d?indiens, mais bon il en a donné un meilleur prix que ce qu?on en demandait » répondit mon père.
Je me mordais la langue pour ne pas lui révéler le fond de ma pensée et tournais les talons.
Une fois mes parents rentrés dans la maison, Hakan sorti du bosquet avec Feather pour me rejoindre.
« Je pense qu?il vaut mieux que Feather reste avec moi à la réserve, pour ne pas éveiller les soupçons de tes parents, et je l?amènerai avec moi quand nous nous verrons, ainsi tu pourras le monter quand tu veux. »
« Ce ne sera pas nécessaire ». La voix tonitruante de mon père nous fit sursauter. Il venait de sortir en trombe de la maison.
« Je vous ai vu part la lucarne du cellier » nous dit-il.
Mon père est une brute mais il est vif d?esprit. En nous voyant tous les trois, il avait immédiatement compris qu?on lui avait joué un mauvais tour.
« Je t?avais dit de ne pas t?approcher de ces enflures de peaux-rouges, et toi tu vas jusqu?à me faire l?affront de fricoter avec l?un d?entre eux ! » hurla t-il, vert de rage.
Je voyais qu?Hakan se faisait violence pour garder son calme. Excédée par les réactions de mon père, je fus stupéfaite de ma décision :
« Cette enflure de peau-rouge je l?aime. Je veux rester avec lui, et surement pas avec toi. Vous êtes maintenant libre de transformer ma chambre en bureau pour faire les comptes de l?exploitation, comme vous l?attendiez depuis si longtemps ! ». J?avais hurlé plus fort que lui.
Hakan était déjà sur Feather et m?aida à monter derrière lui. Tandis que nous nous éloignons, je me retournais et vis mon père encore planté au beau milieu de la plaine, l?air parfaitement interloqué.
« Qu?allons-nous faire maintenant ? » lui demandais-je, prenant soudain la mesure de la situation. « Je sais que nous ne pouvons pas aller à la réserve car je ne dois pas être vue là bas? »
Après quelques secondes de silence et de réflexion qui me parurent une éternité, il prit enfin la parole :
« Tu as pris une décision très importante de ton côté, c?est à moi d?en faire autant maintenant. Je vais te présenter à ma famille et à mes amis. S?ils doivent me rejeter, il en sera ainsi, mais au moins nous serons fixés. »
J?étais très heureuse qu?il me dise cela mais j?appréhendais également les réactions de la tribu. Je me demandais ce que nous allions faire si nous étions bannis. Je me voyais mal vivre dans la nature comme une hors-la-loi, une rejetée.
Arrivés à Crystal Waters, nous franchîmes la cascade. L?immense prairie qui constituait la réserve était toujours aussi accueillante. Hakan nous guida jusqu?à un immense tipi qui me semblait être le plus grand de la tribu.
« Attend moi ici » m?ordonna t?il.
Tout en observant ce qui m?entourait, je ne puis m?empêcher de remarquer le regard méfiant et interrogateur de plusieurs indiens qui me fixaient.
J?entendis soudain une voix puissante me dire « entre ! »
Je soulevais le pan de peau faisant office de porte et entrais pour découvrir un véritable petit intérieur coquet en opposition totale au confort sommaire que je m?attendais à voir.
Je fus surprise de me retrouver devant celui qui vraisemblablement était le chef de la tribu, au vu de son imposante coiffe de plumes.
« Kate, je te présente mon père, Pitalesharo, chef de la tribu Lakota de Crystal Waters ».
J?arrivais tout juste à balbutier un bonjour timide.
« Mon fils en qui j?ai une entière confiance m?a venté ta grande sagesse. Il m?a dépeint le sacrifice que tu as fait pour vivre à ses côtés et je pense que nous devons nous aussi ouvrir notre esprit et accepter ta peau de lait parmi nous ».
Il n?y avait pas de mot pour décrire le soulagement que j?ai éprouvé à cet instant. L?acceptation du chef de la tribu en personne était de loin le plus beau cadeau que j?ai jamais reçu.
Je suis retourné voir mes parents quelques fois, mon père a eu du temps pour réfléchir en mon absence, et a admis ses torts. Ma mère a péri des suites d?une maladie rare et incurable et je suis allée avec Hakan et mon père à son enterrement, un moment d'une infinie tristesse mais qui nous a rapprochés, mon père et moi.
Tout ce qui s?est passé ces derniers mois m?a prouvé que j?ai eu raison de croire en mes idéaux et en une entente possible entre deux peuples que tout oppose à première vue.
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Hakan et moi avons construit notre propre tipi et à l?instant même où je narre ces lignes nous sommes plus proches que jamais?