Ca ne devait être qu?une farce. Rien de plus.
Chaque détail était pensé, chaque action répétée, chaque parole intériorisée, chacun des gestes mémorisé.
Comment les choses ont-elles pu tourner ainsi ?
C?était notre anniversaire. Ce soir-là, nous allions avoir 3 ans. Depuis que je l?avais rencontrée, j?étais comme? Revenu à la vie. Comme je n?ai jamais été doué pour le romantisme exacerbé, les rimes tendres, les mots doux, les poèmes, j?ai pensé me mettre en scène. Mettre en scène ces ressentis brouillons mais si puissants. Longtemps, je n?ai eu que de vagues intentions. Je voulais qu?elle me trouve allongé, comme mort. Qu?elle s?approche de moi, et qu?au contact de ses doigts, de son souffle, je fasse mine de m?éveiller à la vie. Une seconde fois.
Si seulement j?avais su manier les mots, comme elle. Si seulement je ne m?étais pas laissé entraîner dans cette histoire plus folle à mesure que s?amoncelaient les détails de mon plan scabreux. Comment ais-je pu croire que cette surprise ne finirait pas en farce tragique ?
Le matin de la farce, à l?aube du drame, je me suis rendu chez le fleuriste. Je lui ai acheté d?immenses bouquets de roses rouges. Celles dont les tiges étaient les plus longues, les pétales les plus sombres. Je voulais que tout soit parfait. L?un des bouquets a orné la table du salon, sur laquelle l?attendrait bientôt un repas mémorable. L?autre, je l?ai découpé minutieusement. Tout le salon était recouvert de pétales épars. C?était très beau. La lumière des bougies tamisait l?ambiance.
Je pense que c?est à ce moment-là que j?aurais du comprendre. Je touchais au romantisme le plus classique. Dans la poche de ma veste se trouvait une bague, - une bague de fiançailles, pour faire mentir l?adage, celui qui veut qu?un couple périme dès la troisième année consommée-, qui lui plairait, j?en étais sûre. Notre bonheur était presque perceptible, il était à portée de mains.
Mais, j?ai continué. J?ai persévéré.
Je suis le roi des cons.
Je suis monté, j?ai lacéré ma chemise. J?ai couvert mon torse du sang obtenu à la boucherie, et dessiné des entrailles qui semblaient profondes, juste au niveau du c?ur.
Quand elle m?a trouvé, vous savez, mon c?ur brisé battait à peine. J?espérais que le parallèle lui saute aux yeux.
Comment ais-je pu être aussi bête ?
Je me suis allongé dans le salon, et j?ai attendu. Elle a téléphoné, trois fois. Je ne pouvais pas répondre, il fallait à tout prix rester cohérent. Elle a eu une heure de retard, et à son pas chancelant, j?ai vu quelle était saoule. Elle a crié après moi, et s?est mise à baragouiner des mots que je n?ai pas compris. Je pense qu?elle parlait d?un ami, et de la voiture. D?un grand choc, aussi.
Elle m?a vu, étendu sur le sol. Elle s?est mise à hurler.
Elle a couru, sans avoir ouvert les yeux, je le sais. Le sol a tremblé, mon corps a vibré. Elle a gémi, et j?ai entendu ce bruit atroce, monstrueux, que je n?oublierai jamais. Celui d?une fenêtre qui se brise en mille morceaux, emporté par le poids d?un corps.
Nous habitions au 5ème étage.
Comme elle m?a fait naître, je l?ai fait mourir.
Tout ça ne devait être qu?une farce, vous savez.
Une métaphore, un chant d?amour.