Elles étaient toutes les deux côté à côté dans cette voiture depuis au moins 4 heures. 4 heures de route, et pas un mot. La fille regardait par la fenêtre, à s'en faire mal aux yeux.
Et puis d'un coup, la mère l'a entourée du regard, comme on dépose une couverture sur les épaules de quelqu'un qui a froid.
"Tout passe, tu sais", a-t-elle lancé en cherchant la main de sa fille.
Mais Lola esquiva la tentative de contact, et comme un réflexe de survie elle enfouit sa main dans les replis de sa robe, là où personne ne pouvait l'atteindre. Sa robe fétiche à laquelle elle aimait attribuer le pouvoir de résorber ses résidus de tristesse, sauf que ça ne marchait jamais. Elle avait l'impression que son coeur aussi se nichait dans les plis et essayait de se réchauffer sous la maille 50% laine, en vain. Elle savait que si elle le laissait là, il finirait par étouffer.
Un coeur ça a besoin d'air, sinon ça se ratatine.
Elle prit alors la décision de tout cracher. C'était maintenant ou jamais, elle ne pouvait plus supporter ce voyage muet où elle voyait le paysage défiler sans le regarder vraiment, tout comme elle était la spectatrice de sa propre vie. Au-dehors d'elle-même, dans le même brouillard qui engluait la voiture.
Alors elle inspira jusqu'à ce que ses poumons lui fassent mal, et elle chercha du regard sa mère, qui avait reposé sa main ballante sur le levier de vitesse.
"Tout passe, vraiment ? C'est quoi, un discours sponsorisé par "Un jour, un cliché" ? Mais arrête de te voiler la face, maman ! Tu te rends compte que tu me ressors la même phrase indigeste à chaque fois que ça merde dans ma vie ? Et tu ne réalises jamais à quel point c'est faux ! Tout passe... Tu le répètes comme si tu y croyais toi-même, peut-être parce que dans le fond tu sais très bien que c'est faux. Mais comment il faut que je te le dise ? Rien ne passe, rien ! Jamais ! Tout reste, évidemment ! Comment tu peux croire le contraire ? Et d'ailleurs tu sais, les choses que tu voudrais faire passer aux oubliettes ?... Comme si ça existait, une décharge d'évènements et de pensées où on pourrait les abandonner une fois qu'on les a vécus et éprouvées... Ces choses, c'est précisément celles qui restent le plus, dont tu ne peux pas te débarrasser, qui te collent à la peau quoi que tu fasses, et plus tu veux les oublier et plus tu t'y raccroches ! Ces choses-là ne passent pas et elles ne passeront jamais. Je sais que tu essayes de te convaincre que si depuis que papa t'a quittée, mais c'est justement la preuve que c'est des conneries : ça fait douze ans maman, DOUZE ANS, et je suis sûre que c'est toujours la première chose à laquelle tu penses quand tu te réveilles. Alors arrête de me mentir et de te mentir, regarde la route et mets-toi bien ça dans la tête : tout reste et rien ne passe."
La mère détourna ses yeux pleins de larmes amères et passa la cinquième, en se répétant comme une prière que ce n'était qu'un mauvais moment à passer.
Et puis d'un coup, la mère l'a entourée du regard, comme on dépose une couverture sur les épaules de quelqu'un qui a froid.
"Tout passe, tu sais", a-t-elle lancé en cherchant la main de sa fille.
Mais Lola esquiva la tentative de contact, et comme un réflexe de survie elle enfouit sa main dans les replis de sa robe, là où personne ne pouvait l'atteindre. Sa robe fétiche à laquelle elle aimait attribuer le pouvoir de résorber ses résidus de tristesse, sauf que ça ne marchait jamais. Elle avait l'impression que son coeur aussi se nichait dans les plis et essayait de se réchauffer sous la maille 50% laine, en vain. Elle savait que si elle le laissait là, il finirait par étouffer.
Un coeur ça a besoin d'air, sinon ça se ratatine.
Elle prit alors la décision de tout cracher. C'était maintenant ou jamais, elle ne pouvait plus supporter ce voyage muet où elle voyait le paysage défiler sans le regarder vraiment, tout comme elle était la spectatrice de sa propre vie. Au-dehors d'elle-même, dans le même brouillard qui engluait la voiture.
Alors elle inspira jusqu'à ce que ses poumons lui fassent mal, et elle chercha du regard sa mère, qui avait reposé sa main ballante sur le levier de vitesse.
"Tout passe, vraiment ? C'est quoi, un discours sponsorisé par "Un jour, un cliché" ? Mais arrête de te voiler la face, maman ! Tu te rends compte que tu me ressors la même phrase indigeste à chaque fois que ça merde dans ma vie ? Et tu ne réalises jamais à quel point c'est faux ! Tout passe... Tu le répètes comme si tu y croyais toi-même, peut-être parce que dans le fond tu sais très bien que c'est faux. Mais comment il faut que je te le dise ? Rien ne passe, rien ! Jamais ! Tout reste, évidemment ! Comment tu peux croire le contraire ? Et d'ailleurs tu sais, les choses que tu voudrais faire passer aux oubliettes ?... Comme si ça existait, une décharge d'évènements et de pensées où on pourrait les abandonner une fois qu'on les a vécus et éprouvées... Ces choses, c'est précisément celles qui restent le plus, dont tu ne peux pas te débarrasser, qui te collent à la peau quoi que tu fasses, et plus tu veux les oublier et plus tu t'y raccroches ! Ces choses-là ne passent pas et elles ne passeront jamais. Je sais que tu essayes de te convaincre que si depuis que papa t'a quittée, mais c'est justement la preuve que c'est des conneries : ça fait douze ans maman, DOUZE ANS, et je suis sûre que c'est toujours la première chose à laquelle tu penses quand tu te réveilles. Alors arrête de me mentir et de te mentir, regarde la route et mets-toi bien ça dans la tête : tout reste et rien ne passe."
La mère détourna ses yeux pleins de larmes amères et passa la cinquième, en se répétant comme une prière que ce n'était qu'un mauvais moment à passer.