A
AnonymousUser
Guest
Elles étaient toutes les deux côte à côte dans cette voiture depuis au moins quatre heures. Quatre heures de route, et pas un mot. La fille regardait par la fenêtre, à s'en faire mal aux yeux.
Et puis d'un coup, la mère l'a entourée du regard, comme on dépose une couverture sur les épaules de quelqu'un qui a froid.
"Tout passe, tu sais", a-t-elle lancé en cherchant la main de sa fille.
Marie retira sa main. Elle savait. Elle s'en était rendue compte, en vingt ans. Mais aujourd'hui, elle ne voulait pas que ça passe. Elle ne souhaitait qu'une seule chose : que le temps s'arrête. Les choses ne semblaient ne pas vouloir, ou pouvoir, s'arranger ; alors à quoi bon regarder les minutes, les heures, les jours s'écouler ?
Des larmes roulèrent sur les joues de la jeune fille. Elle les essuya promptement, mais sa mère les avait déjà vues.
? Il ne mérite pas tes larmes, ma chérie...
? Je ne pleure pas.
Toujours se montrer forte. Toujours. En toutes circonstances. Même lorsqu'on vous arrachait le c?ur de la poitrine ; même lorsqu'on s'acharnait à vous le broyer, sans s'apercevoir qu'il est déjà en charpie.
? Tu verras, ces vacances te feront le plus grand bien ! Je suis sûre que tu vas rencontrer plein de filles de ton âge ! Tu verras, ça sera très amusant !
Marie avait mal à la tête. Sa mère n'apprendrait donc jamais à se taire ? Et cette fichue auto-radio qui ne marchait plus...
Un « bip » retentit. La jauge du réservoir d'essence était presque en bas. Automatiquement, sa mère ralentit. De cent trente kilomètres à l'heure, elles passèrent à quatre-vingt dix, puis à cinquante. Fenêtres fermées malgré la chaleur étouffante, elles continuèrent de rouler ainsi, attendant la prochaine station essence.
Elles venaient de passer la sortie de Bolbec quand la voiture cessa tout simplement d'avancer. Sa mère soupira, mit les warnings, son gilet fluo, sortit le triangle, et, enfin, demanda à sa fille de l'aider à pousser la voiture sur la bande d'arrêt d'urgence. Quand elles eurent terminé, Marie s'assit à nouveau à l'intérieur de l'habitacle, regardant sa mère avancer jusqu'au téléphone orange, à moins de cent mètres de là. Elle la regarda s'agiter, s'énerver, et raccrocher violemment.
? Qu'est-ce qui se passe ?
? Il se passe qu'ils ne veulent pas se déplacer. Une station essence à moins de trois kilomètres... ils jugent qu'on peut se faire l'aller-retour. Pfff...
Marie accompagna sa mère. Marchant derrière la barrière de sécurité, elles conservèrent leur rôle respectif : la mère parlait de tout et de rien -mais surtout de rien- tandis que la fille regardait ses pieds.
? Bon maman ça suffit !
Madame Deflessel n'avait pas l'habitude qu'on lui parle sur ce ton, et elle réagit plutôt violemment :
? Tu vas parler correctement à ta mère oui ?
? Mais maman...
? Excuse-toi ! Tout de suite !
? Ah ?! M'excuser ? De quoi ? De m'inquiéter pour lui, alors que dans ton monde tout est rose ?! Mais ouvre les yeux bordel ! Il est parti ! Ça fait deux mois, et on n'a toujours aucune nouvelle !! Il pourrait tout aussi bien être mort, ça serait pareil !
? Je t'interdis ! Il est parti de son plein gré. Il nous a abandonnées. Et s'il tente de te recontacter, tu choisis : c'est lui ou c'est moi. Mais ça ne sera pas les deux !
? Comment tu peux me demander ça ? Comment tu peux me demander de choisir entre ma mère et mon frère ?
? Ça suffit maintenant ! Ou je reprends la voiture toute seule, et tu te démerdes pour rentrer !
? Ah ouais ? Ben tu sais quoi ? Puisque tu tiens tant à ce que je prenne position c'est ce que je vais faire. Et tu sais très bien que c'est lui que je vais choisir. Parce que lui, contrairement à toi, il a prit le temps d'apprendre à me connaître. Il n'a pas juste tenté de me formater à la façon dont il voulait que je vive ma vie. Parce que lui, contrairement à toi, il me fait confiance, et je lui fais confiance aussi.
? Elle est belle la confiance tiens ! T'as pas plus de nouvelles que moi je te rappelle !
? C'est pas parce qu'une personne ne donne pas de nouvelles après une dispute qu'on ne peut pas lui faire confiance.
? Qu'est-ce que tu peux être naïve ! Tiens, t'auras qu'à réfléchir à ça, pendant que tu marcheras jusqu'au Havre : ta naïveté époustouflante ! Vingt ans, et aussi naïve, aussi dupe, aussi conne qu'une gamine de treize ans !
? Je suis peut-être naïve, mais tout à fait entre nous, je préfère ça à ton aigreur.
Se détournant, Marie planta sa mère, son bidon à la main. Elle rejoignit l'aire de jeux réservée aux enfants, se posa sur l'herbe fraîche, et sorti son portable de sa poche.
*
* *
Et puis d'un coup, la mère l'a entourée du regard, comme on dépose une couverture sur les épaules de quelqu'un qui a froid.
"Tout passe, tu sais", a-t-elle lancé en cherchant la main de sa fille.
Marie retira sa main. Elle savait. Elle s'en était rendue compte, en vingt ans. Mais aujourd'hui, elle ne voulait pas que ça passe. Elle ne souhaitait qu'une seule chose : que le temps s'arrête. Les choses ne semblaient ne pas vouloir, ou pouvoir, s'arranger ; alors à quoi bon regarder les minutes, les heures, les jours s'écouler ?
Des larmes roulèrent sur les joues de la jeune fille. Elle les essuya promptement, mais sa mère les avait déjà vues.
? Il ne mérite pas tes larmes, ma chérie...
? Je ne pleure pas.
Toujours se montrer forte. Toujours. En toutes circonstances. Même lorsqu'on vous arrachait le c?ur de la poitrine ; même lorsqu'on s'acharnait à vous le broyer, sans s'apercevoir qu'il est déjà en charpie.
? Tu verras, ces vacances te feront le plus grand bien ! Je suis sûre que tu vas rencontrer plein de filles de ton âge ! Tu verras, ça sera très amusant !
Marie avait mal à la tête. Sa mère n'apprendrait donc jamais à se taire ? Et cette fichue auto-radio qui ne marchait plus...
Un « bip » retentit. La jauge du réservoir d'essence était presque en bas. Automatiquement, sa mère ralentit. De cent trente kilomètres à l'heure, elles passèrent à quatre-vingt dix, puis à cinquante. Fenêtres fermées malgré la chaleur étouffante, elles continuèrent de rouler ainsi, attendant la prochaine station essence.
Elles venaient de passer la sortie de Bolbec quand la voiture cessa tout simplement d'avancer. Sa mère soupira, mit les warnings, son gilet fluo, sortit le triangle, et, enfin, demanda à sa fille de l'aider à pousser la voiture sur la bande d'arrêt d'urgence. Quand elles eurent terminé, Marie s'assit à nouveau à l'intérieur de l'habitacle, regardant sa mère avancer jusqu'au téléphone orange, à moins de cent mètres de là. Elle la regarda s'agiter, s'énerver, et raccrocher violemment.
? Qu'est-ce qui se passe ?
? Il se passe qu'ils ne veulent pas se déplacer. Une station essence à moins de trois kilomètres... ils jugent qu'on peut se faire l'aller-retour. Pfff...
Marie accompagna sa mère. Marchant derrière la barrière de sécurité, elles conservèrent leur rôle respectif : la mère parlait de tout et de rien -mais surtout de rien- tandis que la fille regardait ses pieds.
? Bon maman ça suffit !
Madame Deflessel n'avait pas l'habitude qu'on lui parle sur ce ton, et elle réagit plutôt violemment :
? Tu vas parler correctement à ta mère oui ?
? Mais maman...
? Excuse-toi ! Tout de suite !
? Ah ?! M'excuser ? De quoi ? De m'inquiéter pour lui, alors que dans ton monde tout est rose ?! Mais ouvre les yeux bordel ! Il est parti ! Ça fait deux mois, et on n'a toujours aucune nouvelle !! Il pourrait tout aussi bien être mort, ça serait pareil !
? Je t'interdis ! Il est parti de son plein gré. Il nous a abandonnées. Et s'il tente de te recontacter, tu choisis : c'est lui ou c'est moi. Mais ça ne sera pas les deux !
? Comment tu peux me demander ça ? Comment tu peux me demander de choisir entre ma mère et mon frère ?
? Ça suffit maintenant ! Ou je reprends la voiture toute seule, et tu te démerdes pour rentrer !
? Ah ouais ? Ben tu sais quoi ? Puisque tu tiens tant à ce que je prenne position c'est ce que je vais faire. Et tu sais très bien que c'est lui que je vais choisir. Parce que lui, contrairement à toi, il a prit le temps d'apprendre à me connaître. Il n'a pas juste tenté de me formater à la façon dont il voulait que je vive ma vie. Parce que lui, contrairement à toi, il me fait confiance, et je lui fais confiance aussi.
? Elle est belle la confiance tiens ! T'as pas plus de nouvelles que moi je te rappelle !
? C'est pas parce qu'une personne ne donne pas de nouvelles après une dispute qu'on ne peut pas lui faire confiance.
? Qu'est-ce que tu peux être naïve ! Tiens, t'auras qu'à réfléchir à ça, pendant que tu marcheras jusqu'au Havre : ta naïveté époustouflante ! Vingt ans, et aussi naïve, aussi dupe, aussi conne qu'une gamine de treize ans !
? Je suis peut-être naïve, mais tout à fait entre nous, je préfère ça à ton aigreur.
Se détournant, Marie planta sa mère, son bidon à la main. Elle rejoignit l'aire de jeux réservée aux enfants, se posa sur l'herbe fraîche, et sorti son portable de sa poche.
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