Bernard et les kiwis : "L'enfer des kiwis."

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AnonymousUser

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Et la grand mère, parlons-en de la grand mère. Sa femme s’était esquintée à lui entrer dans le crâne qu’étant le géniteur de ses merveilleux enfants, et étant donc devenu une « famille », il héritait en bonus de sa chère maman. N’allez pas croire, il avait aimé sa femme.. Malgré les kiwis, malgré les tomates.
Mais la grand-mère.. Non, c’en était trop. Il était même persuadé qu’elle était à l’origine de tout. Dès le début, quand ils avaient 16 ans, et qu’il venait voir sa tendre et douce en cachette, elle lui avait fait comprendre que « mon coco, elle est trop bien pour toi, ma fille », et son dégoût des kiwis, ah ça, elle avait sauté dessus, croyez le. Pourtant, il était amoureux, amoureux fou ! Un peu voyou, peut-être, mais ça mettait du piment, parce que sa (future) femme, son délire à elle, c’était plutôt « petite maison dans la prairie ». Ils étaient délicieusement complémentaires, seuls les mesquins (et la grand-mère, évidemment) osaient affirmer qu’ils s’étaient juste complètement plantés d’histoire. Il l’aimait comme un dingue, et il aimait encore plus balader ses mains pleine de doigts sous ses longs jupons démodés. Sa femme, hein, suivez un peu, pas la grand mère. L’autre, là, elle avait toujours été vieille, et moche. Lui avoir annoncé tout de go dès le troisième rancard, s’avouait-il parfois, avait peut-être été une vilaine erreur tactique, mais quand même, ça ne méritait pas ces horribles tomates à chaque repas..Impossible d’y échapper, les rares fois ou il s’y était risqué, il avait fini dehors, sans manger, et surtout, sans avoir pu balader ses mains pleine de doigts vous savez ou.


Les années ont passé, il s’est habitué aux jupons, aux remontrances de la grand-mère, et même, il s’est assagi. Fini de se battre dans la rue, fini de faire honte aux femmes de la famille. Tout allait bien, hormis les kiwis.
Oh il en avait parlé à sa femme. A table, il n’osait plus..
Il avait vite compris, le Bernard. Il avait donc tenté de lui expliquer, gentiment, que les dattes, les pommes, les courgettes, et à peu près tout le reste des végétaux que cette sacro sainte terre avait porté valait le coup qu’on s’y attarde. Ma mine, des tomates, on peut en manger. Mais pas tous les jours. Et ce kiwis, tu veux vraiment que je chie vert ou quoi ?
Mais rien n’y avait fait. Chaque jour était un nouveau kiwi, chaque soir une nouvelle tomate. Il trouvait de moins en moins de qualités à sa femme des prairies, avec le temps. Il était de la vieille école, de celle qui pensait qu’un homme, ça se chouchoute par le ventre et plus bas. Le ventre, on en a déjà parlé, je crois. Et plus bas.. ah, il pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois qu’elle s’y était intéressée ces six derniers mois. Et encore, en fronçant le nez. Encore un peu qu’il se vexerait, le Bernard, s’il ne se savait pas si propre sur lui. Non, vraiment, elle exagérait.

Il allait la quitter. Demain. Ca ne peut plus durer. Il était tout bonnement incapable de s’imaginer avoir encore une fois à avaler ces choses.
Demain, quand le coucou de l’entrée sonnera midi, il allait dégager. Fini les sacrifices, les compromis, ah ça oui. Au fond, tout était de la faute de sa femme. Il l’avait installée, confortablement, dans une jolie maison (en centre ville, mais quand même, il avait toléré ces affreuses robes d’un autre temps), il lui avait même acheté un chiot. D’accord, il l’avait empêché d’aller travailler, mais c’était pour son bien, non ? Par les temps qui courent, les hommes violent même les femmes mariées, même celles qui se cachent derrière des frusques informes. Valait mieux l’enfermer, en plus, c’est à la maison qu’elle était la plus efficace. Ménage, éducation, on a beau dire, c’est une affaire de femmes, hein. Comme s’il avait mérité un sort aussi cruel, comme s’il avait à supporter ces fruits détestés. Lui qui était si bon, si prévenant. Vraiment, elle exagérait. Oui, il aurait peut-être du lui laisser sa voiture, mais vraiment.. en avait-t-elle tant besoin ? Il ne pouvait pas voir ses amies, et elle ne les voyait plus, comme ça. Mais il s’occupait bien d’elle, il rentrait tout les soirs. Il ne méritait pas ça.
 
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AnonymousUser

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Ce qu?il était loin d?imaginer, c?est qu?Estelle, sa femme, en avait plus qu?assez de cette vie morne, et que ça faisait de longs mois que cette petite mesquinerie ne lui suffisait plus. Une vie volée contre quelques kiwis ? Elle ne pouvait plus tolérer ça. Elle allait partir, le quitter, et puis ; elle avait rencontré un homme. Au marché. Oh, elle était une femme honnête, et elle n?avait rien fait de mal. Pas encore, pensait-elle. Et elle rougissait, en imaginant les belles mains de l?homme pour qui elle allait enfin laisser tomber l?enfer des kiwis. Elle partirait demain, à midi. Pas avant. Elle tenait à lui préparer un dernier repas digne de ce nom. Il s?occuperait du jardin jusqu?à onze heures, comme tous les samedi. Ces habitudes lui faisaient horreurs, comme ses vieilles robes dépassées. Mais il était si radin. Il se plaignait, mais au fond, ça devait bien l?arranger. Elle frissonna de dégoût au souvenir de son petit machin rabougri, toujours moite, au fond de son caleçon. Ne plus penser à tout ça, passer une dernière nuit tranquille, et se lancer.


La matinée se déroula dans un calme étrange. Un observateur attentif aurait toutefois remarqué les incessantes allées et venues d?Estelle dans la maison. Tour à tour, elle souriait, puis paraissait angoissée. Aurait-elle assez de fruits ?
Méticuleusement, elle avait entreposé des petits sacs d?une compote rouge/verte dans le congélateur. Ca avait été sa seule extravagance : un congélateur de boucher. Immense. Il était plein à ras bord des restes de tomates et de kiwis que Bernard avait repoussés, dédaigneux. Certains dataient de plus de 5 ans. Les rechercher et les dégeler avait été relativement facile. C?est maintenant qu?elle allait devoir se hâter. Elle pensa d?abord enfiler des gants, mais ça aurait été se gâcher une partie du plaisir primitif qu?elle allait ressentir ensuite.. Pendant les deux heures qui suivirent, elle s?échina à appliquer sur tous les murs de la maison cette drôle de gelée. Ca donnait à la maison un petit côté effrayant, et elle repensa à ce film affreux vu à la télé quelques semaines auparavant. Shining. Secrètement, elle espéra déclencher une folie similaire dans les yeux de son mari.
Il y en avait partout, et elle riait comme une possédée. La gelée s?était logée sous ses ongles, dans ses cheveux, elle en avait dans le nez mais c?était si bon, si libérateur qu?elle exultait.

Midi approchait. Elle rinça sommairement, avant d?enfiler une chemise d?homme. Quand elle se contempla dans le miroir, elle y vit une jolie femme, et un éclat que ses yeux n?avaient plus connus depuis longtemps. Elle se sentit très belle, très femme, dans son accoutrement ridicule, et ressenti un frisson d?une rare charge érotique. Elle descendit les escaliers, et fila enfin, sans un regard en arrière.

Midi sonnait au clocher de l?église du village, quand elle s?aperçut que les villageois la contemplaient avec un air horrifié. Ils devaient la croire en sang, mais qu?importe. Elle avait réussi.

Bernard ne comprenait pas pourquoi sa femme ne l?appelait pas. N?était il pas l?heure de dîner, à la fin ? Il ne voulait pas rater sa dernière grande entrée, alors qu?il maîtrisait son texte à la perfection. Ne voulant plus attendre, il courut dans le salon. Et appela Estelle. Etonné de n?avoir aucune réponse, il ne remarqua tout d?abord pas l?état des murs, mais en atteignant la cuisine, dans un état proche de l?apocalypse, il prit peur. Seul le plan de travail était intact, un post-it délicatement déposé. Il y figurait ces quelques mots :


« Bon appétit, mon chéri. »
 
A

AnonymousUser

Guest
La suite, la suite !! :clap:

Tout d'abord, bravo pour ton courage (oui car... tu es tout de même la première à t'être lancée !). Et je suis bluffée ! Je n'avais pas du tout imaginé ce genre de scénario. J'aime beaucoup ton style d'écriture, c'est fluide, clair, précis, et plein d'émotions.
Ce texte te ressemble, en fait :smile:.

Encore bravo _lilou_ !
 

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