Commentaire sur la prostitution au sens strict du terme (IRL), un peu hors sujet, je préviens.
@Watou je peux te donner mon avis (qui en plus n'est pas fixé sur la question, ça démarre bien), c'est un sujet qui me passionne pour pleins de raisons, notamment parce que je pense que ce qui concerne les prostituées concerne toutes les femmes. C'est un truc fondamental, au sens réellement "au fondement" de la manière dont vivent les femmes en société.
Déjà, pour le monde idéal on est d'accord, au moins y aurait pas de doute sur la liberté ou non des femmes prostituées (je parle seulement du cas des femmes, mais bien sûr y aussi d'autres personnes qui sont prostituées).
"comment donner et entendre la parole des principaux.ales concerné.es si on part du principe que leur avis est soit négatif soit biaisé" = je précise que je suis pour écouter les prostituées. C'est elles les premières concernées, donc pour moi c'est leurs avis qu'il faut écouter en priorité.
Mais on est face à un problème ici : c'est que la prostitution prend des formes très différentes, de la femme prise dans les réseaux à l'autre qui fait ça pour son plaisir occasionnellement, ou parce que c'est un moyen qu'elle trouve correct pour gagner de l'argent.
Le truc, c'est qu'il est plus facile, pour faire des enquêtes, d'obtenir les informations des femmes qui ne sont pas dans les réseaux, pour des raisons évidentes (ces femmes sont indépendantes, elles présentent bien, elles savent parler français ce qui est un plus pour passer dans les médias).
Par exemple le cas des manifestations contre la pénalisation des clients : les prostituées contraintes ont-elles pu faire entendre leur voix, comme ont pu le faire les prostituées non contraintes ?
Si on considère que non, ça veut dire qu'on a l'avis d'environ 10 à 30-40 % des concernées (je donne les chiffres environ, vu qu'on a pas accès à des chiffres certains vu le caractère mafieux et autres d'une partie du phénomène).
Et là ça produit un biais : les voix de certaines prostituées, qui sont minoritaires (dans une proportion qu'on ignore, mais l'aspect minoritaire lui est statistiquement sûr) sont plus fortes que celles de leurs consœurs. Elles sont plus écoutées (
je pense au STRASS, qui est une association connue, qui est pas abolitionniste, si tu veux des info). Ce qu'elles disent est essentiel, mais, pour reprendre les données des enquêtes, elles ne représentent pas la majorité des personnes prostituées.
Et pour moi, par principe, les règles de protection doivent prendre en considération la majorité d'une population. Elles doivent être adaptées pour protéger le plus grand nombre.
Y a un autre élément qu'il faut voir : l'entrée dans la prostitution se fait souvent à un âge jeune (j'ai plus la source, mais je pense que c'est facilement trouvable sur internet) : et le problème, c'est qu'on n'écoute pas non plus la voix des jeunes (qui sont donc un certain nombre parmi les personnes prostituées). Je cite une
étude canadienne de 2001 (le résumé, mais c'est détaillé dans le doc) : "’l'étude révèle que les travaux de recherche en sciences sociales sur la prostitution chez les jeunes sont limités et qu’
on ne s’efforce guère de faire appel aux expériences des jeunes qui se prostituent (ou qui se sont prostitués) pour l’élaboration d’une politique en matière de prostitution. Les ouvrages illustrent clairement l’écart entre les réalités vécues par les jeunes qui se prostituent et les approches actuelles adoptées dans de nombreuses initiatives stratégiques récentes"
Du coup, on a qu'une partie des avis de concerné.es sur la question.
Donc perso, je dois faire avec ce que j'ai, c'est-à-dire les résultats quantifiés des politiques menées, en ayant en tête l'avis dont je dispose, et en sachant qu'il est minoritaire. Qu'est-ce qui est mieux pour protéger le plus grand nombre ? L'abolition ou l'encadrement ?
Franchement, je ne pourrais pas te dire clairement si je suis ou non abolitionniste, je te laisse te faire ta propre opinion, mais un truc qui m'a marqué et m'oriente plutôt vers l'abolitionnisme, c'est les résultats concrets des politiques menées. Parce que les pays ont testé les deux politiques :
- dans les pays qui ont mis en œuvre des politiques abolitionnistes, comme la Suède, le taux de femmes se prostituant a baissé, et les réseaux se sont détournés du pays. En soit, c'est toujours pas décisif, on peut tout à fait supposer que les prostituées ont dû se cacher, que leur vie est devenue plus compliquée/dangereuse etc..
Attention, je dis pas du tout que la Suède c'est trop bien.
La réalisatrice Ovidie a fait un documentaire où elle en parle, notamment les manquements des services sociaux. Ça reste un pays patriarcal, avec des spécificités qui ne sont pas celles qu'on a en France.
- là où pour moi c'est plus décisif, c'est que dans les pays qui ont appliqué une politique d'encadrement (Allemagne), les réseaux ont pris de l'ampleur, et la prostitution "contrainte" s'est beaucoup développée.
Si tu veux y a cet article sur le sujet (
le site est clairement abolitionniste). Et ça, pour moi, c'est vraiment pas le but. Le but c'est que les femmes soient libres.
Donc si je me fie seulement aux résultats connus, l'abolitionnisme semble moins destructeur, mais effectivement le risque c'est de restreindre la liberté des femmes non contraintes, ce qui est aussi un truc très important. Enfin si tu veux mon avis, dans le système patriarcal on est coincées, à tous les coups on perd. Je préfère, je crois, que la majorité des femmes soient (un peu) protégées.
Pour plus d'éléments, y a encore ce
podcast arte radio, avec des sociologues, le site mets des liens en bas, je te les mets directement ici (y a de tout, ça permet d'avoir un bon point de vue sur le sujet) :
-
Mouvement du Nid
- « Prostitution, une guerre contre les femmes »,
Claudine Legardinier
-
Prostitution et Société
-
Le blog de Christine Delphy
-
STRASS Syndicat du travail sexuel
- «
La fin du tapin » Lilian Mathieu
- «
Prostitution, quel est le problème ? » Lilian Mathieu
- «
La traite des êtres humains en France » Milena Jaksic
-
Grisélidis
-
Cabiria
-
SNAP !
edit : suppression d'un tic d'écriture, je mets des "du coup" partout