@Tubbs
Je comprends pas ce que tu veux dire... En fait le terme "oppression systémique" me gêne, surtout quand on dit qu'elle s'applique à une personne ou à une autre. En soi, le patriarcat est un système et il s'applique sur tout le monde (y compris les hommes cis het), mais tout le monde n'en tire pas les mêmes bénéfices, et tout le monde n'en subit pas les mêmes violences.
Donc pour moi il n'y a pas de question de savoir quelle oppression s'applique selon notre identité en fait, parce que ça n'a pas de sens de comparer les bonus et malus tirés par chacun du patriarcat, ça ne dépend pas forcément de l'identité déclarée mais ça dépend de ce que le patriarcat nous a ôté. Et honnêtement je trouve que tu parles un peu vite en disant qu'être Non-binaire et ne pas décider de transitionner d'une manière ou d'une autre nous place en dehors d'une oppression systémique alors qu'on est nous-mêmes pris dans un système, dans des rapports de force qui s'exercent aussi sur nous.
En tant que personne concernée (j'adore me prendre comme exemple c'est très pratique car je maîtrise) je suis une personne trans, et non-binaire, et qui pour l'instant a décidé de ne pas transitionner. Pourtant, j'estime avoir mon mot à dire, parce que si j'ai eu l'extrême chance de ne pas avoir eu de besoins matériels ça ne veut pas dire que je ne subis pas la transphobie. La transphobie c'est aussi avoir passé 20 ans dans le placard. Franchement c'est long 20 ans à souffrir et à ne pas comprendre ce qui tourne pas rond chez soi, surtout quand on a rien connu d'autre. La transphobie c'est aussi les rires quand je dis mon prénom masculin à une assemblée lors d'une hospitalisation en psychiatrie (rires qui ne sont pas méchants, mais les questions sont compliquées et fatigantes). C'est vraiment multiple. La transphobie elle est aussi dans mon mal-être avec mon corps, elle est aussi dans ma décision de ne pas transitionner par peur du regard des autres et d'être déçu des réactions de ceux que j'aime. Le système est aussi présent dans le fait que je n'arrive pas à me concevoir comme androgyne et avec un peu de gras, parce que c'est comme ça qu'on représente l'androgynie, parce que l'androgynie est un concept qui a grandi dans le patriarcat. En vérité je crois même que le système patriarcat est présent jusque dans la manière dont on se voit nous-mêmes comme non-binaires, justement parce que la binarité sert le patriarcat (je n'ai pas l'assise théorique nécessaire pour démontrer que la binarité et le patriarcat c'est la même chose mais Monique Wittig dans
la Pensée Straight explore cela très bien).
Je suis d'accord avec toi qu'on ne peut pas comparer les problèmes. J'ai moi-même un certain nombres de privilèges (sur d'autres axes d'oppression) qui m'ont permis d'échapper aux versants les plus graves, aux malus les plus concrets du patriarcat infligés aux personnes trans. Et c'est pour cela que je suis personnellement très critique envers l'idée qu'on est tous "dans le même bateau" et que toutes les paroles se valent car non, on est pas tous égaux au sein du patriarcat ; il y a un jeu très fin de bénéfices et de violences auquel il faut être attentif. Néanmoins, il faut aussi garder à l'esprit que même si ces violences ne sont pas toutes les mêmes, elles sont présentes pour tout le monde dans le fait même que la binarité existe comme cadre et que le simple fait de concevoir une existence en dehors de la binarité naturalisée (homme-pénis vs femme-vulve) est déjà difficile dans ce cadre ; que
le cadre binaire est déjà une violence et que cette violence s'exerce sur toutes les personnes queer dans le genre car elle les empêche de se concevoir et de se réaliser pleinement ; et même si "ton plus gros problème dans la vie c'est que l'on ne peut pas te genrer en ul" c'est déjà un problème. Ce n'est pas un problème qui donne le droit de s'exprimer sans retenue sur l'horreur des crimes transphobes contre les femmes trans de couleur qui déciment la communauté certes ; mais c'est déjà un problème.