"Regardez autour de vous et regardez-vous vous même : le monde grouille d'assassins, c'est-à-dire de personne qui se permettent d'oublier ceux qu'ils ont prétendu aimer. Oublier quelqu'un : avez-vous songé à ce que cela signifiait? L'oubli est un gigantesque océan sur lequel navique un seul navire, qui est la mémoire. Pour l'immense majorité des hommes, ce navire ce réduit à un rafiot misérable qui prend l'eau à la moindre occasion, et dont le capitaine, personnage sans scrupules, ne songe qu'à faire des économies. Savez-vous en quoi consiste ce mot ignoble ? A sacrifier quotidiennement, parmi les membres de l'équipage, ceux qui sont jugés superflus. Et savez-vous qui sont jugés superflus ? Les salauds, les ennuyeux, les crétins ? Pas du tout : ceux qu'on jette par-dessus bord, ce sont les inutiles - ceux dont on s'est déjà servi. Ceux-là nous ont donné le meilleure d'eux-mêmes, alors, que pourraient-ils encore nous apporter? Allons, pas de pitié, faisons le ménage, et hop ! On les expédie par-dessus le bastingage, et l'océan les engloutit, implacable. Et voilà, chère mademoiselle, comment se pratique en toute impunité le plus banal des assassinats."
Amélie Nothomb, Hygiène de l'assassin