Bon je me lance
j'espère que je suis pas hs
Trois jours dans un arbre/
Certains partent en vacances dans les îles à l'étranger, d'autres personnes plutôt rares comme moi cherchent de nouvelles idées. Je voulais petit budget, tranquillité et beauté en trois jours. Trois jours c'est court me direz-vous, mais quelques fois, à rester trop longtemps au même endroit on finit par s'ennuyer ! J'ai réfléchi , feuilleté des magazines, marché de long en large et j'ai finalement trouvé. Je passerai trois jours entiers dans un arbre, l'idée me semble merveilleuse, je sautille intérieurement d'impatience et je liste les choses à préparer pour ces drôles de vacances. Je prendrais un sac à dos de taille moyenne pour ne pas avoir la tentation de tout emmener. Quelques vêtements indispensables : sous-vêtements, pulls, kaway, casquette et un change. Des jumelles et mon appareil photo. Un crayon et un carnet pour y coucher mes réflexions. Un oreiller et une couverture pour dormir.
Ne me reste plus qu'à trouver l'arbre dans lequel je vais loger pour mes trois jours de vacances. Et je pars sans prévenir personne. Ce seront trois jours de liberté sans comptes à rendre à personne.J'ai déjà choisi la forêt, je m'y rends en voiture. Le temps est magnifique, le sol est sec, mes vacances s'annoncent radieuses. Je souris, je vais peut-être passer ici l'un des plus beaux moments de mon existence, si ce n'est pas déjà le plus original. Je gare ma voiture, je ferme la portière de ma voiture à clé, et je prends mon sac de randonnée. Je quitte bientôt le sentier pour suivre le chemin que je me suis choisie. Je repousse délicatement, bâton à la main, les ronces et les buissons sur mon passage.
J'avance silencieusement, j'écoute les bruits alentours, c'est la première fois depuis des mois que je me promène tous endroits confondus sans écouteurs branchés à mes oreilles. Je profite déjà de mes vacances, je grimpe sur un talus en me retenant aux racines du sol. Je continue mon chemin et je cherche autour de moi L'arbre. Je le veux : haut, solide, fier, pas trop difficile à escalader et assez grand pour que je puisse étendre un petit peu mes jambes, parce qu'elles sont longues et qu'elles ont l'habitude de bouger.
J'aurais pu amener une scie et des clous pour me construire un toit à me mettre au-dessus de la tête ou encore rajouter des planches pour m'asseoir mais je veux vivre comme un naturaliste de l'ancien temps dans l'époque moderne. J'ai éteint mon portable. Je vivrai en oiseau perché sur son arbre, j'observerai, j'écouterai les bruits de la nuit, je dormirai trois nuits dans mon arbre, puis je me réveillerai oiseau, un peu comme le passage à l'âge adulte dans certaines tribus indiennes. Si je racontai mon aventure à quelques amis, ils me diraient que je suis fou et que c'est beaucoup plus intéressant de partir en vacances dans les grandes villes et de réserver un hôtel! Personne n'aime comme moi la nature, les films dépeignent injustement la forêt comme un lieu de danger et de psychopathes en liberté, pour moi c'est un havre de paix, où se trouve la vérité vraie ?
Je m'arrête pour boire un peu dans ma bouteille, je ne suis pas parti avec l'idée de recueillir l'eau de pluie dans des récipients pour la boire ensuite.
Je lève les yeux et je le vois, mon arbre. Il est difficile à décrire mais il correspond en tous points à mes critères, il a même tellement d'appuis en bas que je vais pouvoir m'installer assez haut à l'intérieur. Et que dire de l'environnement autour ? Ici, la nature est luxuriante, verte, jaune et mordorée. L'arbre est tendrement et solidement penché sur une parcelle traversée de toutes parts par de très grands pins, et là où le sol n'en était pas recouvert, des fougères brunies par les saisons fleuraient paisiblement. Je retirai mes chaussures par respect, après tout, on met au minimum ses chaussons quand on rentre chez soi et posai mon pied sur le premier appui, j'aimai le contact de mes pieds sur l'écorce rugueuse de l'arbre, voilà qui change de l'effet tongs sur le sable fin et brûlant.
Je commence mon ascension, ce n'est pas aussi simple que ça en avait l'air au début que je voyais cet arbre et je décide d'alléger mon sac à dos et de faire quelques aller et retours pour récupérer le reste de mes affaires. J'arrive enfin au bout de mon périple, il n'y a évidemment pas une place folle mais suffisamment pour tenir trois jours sans bouger car je ne prévois pas de descendre de mon arbre avant la durée que je me suis fixé. Je redescends sûr de moi, un petit peu trop rapidement et je m'érafle le genou contre une excroissance de l'arbre, je grimace un peu et je continue plus prudemment ma descente. Je saute, j'attrape mes affaires et je retourne dans mon nouveau logis, tenant entre mes dents mon pull. Et je m'arrête enfin de gesticuler en tous sens, de suivre une direction, de faire quoi que ce soit. La vie des hommes n'a plus prise sur moi, il n'y aurait plus de civilisation que ça ne m'inquiéterait vraiment pas. Je détache ma montre de mon poignet. Le temps semble s'être arrêté pour moi, il n'a pour moi pas de tactique (tac-tic).
Ce sont les autres qui sont fous de passer leurs vacances ailleurs, alors que le bonheur est de proximité et le calme souverain. J'observe tout sans m'ennuyer le moins du monde. Je ressens la puissance du vent qui mugit bien à l'abri dans les bras de mon arbre. Mon regard se perd indéfiniment jusqu'à l'orée des bois. Je me tiens silencieux, je ne bouge que très peu, en fait ce que j'espère c'est m'être assez fondu dans le paysage au bout de quelques jours pour voir des animaux m'approcher un peu plus et pouvoir les contempler dans leur beauté sauvage. Je pose mon regard le plus loin que je peux, à ce moment précis je me sens le roi du monde, et d'où je suis installé je surplombe les collines environnantes, mon nouveau monde. Je vois le jour disparaître peu à peu pour faire place nette à la nuit. Je me rends alors compte que je n'ai encore rien avalé, je viens d'adopter la première loi du règne animal : « Mange quand tu as faim » ! Je sors un paquet de chips, l'homme a gagné sa pitance, j'ai juste oublié un détail, les chips ce n'est pas très discret pour un homme des bois.
Je me réveille en même temps que le soleil, peu habitué que je suis à dormir baigné de lumière, les feuilles de mon arbre laissant une ouverture au soleil.
Je me frotte les yeux et j'étire un peu mes jambes engourdies, mon corps me fait souffrir. Je bâille, ce n'est pas encore le pépiement d'un oiseau. Et j'apprends à m'habiller accroupi dans un arbre, prendre le pantalon, tendre une jambe dans le vide, se tenir d'une main à l'arbre et de l'autre enfiler le vêtement, puis adapter le mouvement à l'autre jambe. Tout est dans la nature, même le French Cancan !
Je me rassois, j'ai pris cette fois mes jumelles, mes jambes se balancent dans le vide. Je perçois dans l'objectif un animal, c'est un jeune faon. Je jubile, je viens de voir mon premier animal du haut de mon perchoir. Sa mère arrive, ils font quelques pas côte à côte et tout à coup, il y a un bruissement de feuilles, la mère regarde très rapidement du côté du bruit, puis elle donne un petit coup de museau à son protégé pour lui signifier le danger et ils partent tous les deux en dehors de mon champ de vision. Je me penche en avant pour tenter de voir le danger qui a éloigné la petite famille, j'aperçois une forme qui se meuve dans un buisson, je plisse les yeux mais je glisse de ma branche sans m'en inquiéter au début, trop accaparé que je suis par ma vision, puis je tombe complètement.
Heureusement, il y a de nombreuses branches en dessous, je tombe brutalement, me cogne le genou, mais je ne descends que d'un étage. Et malheureusement, le bruit de ma chute a fait fuir les belligérants, c'est un peu agacé que je remonte sur ma branche. Je suis comme le corbeau dans la fable, je viens de voir partir mon fromage.
Je remonte. J'écoute le bruissement des feuilles, c'est une très belle mélopée, les oiseaux viennent s'y rajouter, je ferme les yeux l'instant est parfait. Je ne fais plus qu'écouter, sentir mon corps, je médite, je suis serein. Je rouvre les yeux, le soleil me tape un peu sur le visage, je le détourne un peu pour ne pas l'avoir dans les yeux et je vois alors quelque chose que je n'avais même pas encore remarqué. De la sève s'écoule de l'arbre, ça peut paraître anodin mais je trouve ça formidable de trouver quelque chose tout près de soi qui était passé jusque-là inaperçu, surtout pour une personne assez observatrice. Combien de temps la sève va-t-elle prendre pour couler jusqu'à ma hauteur ? Quelques heures ? un jour ? un an ? Ce qui est certain, c'est que dans la nature, il n'y a pas de temps puisqu'on le prend, tout fini par arriver et par se faire bien. Les ombres des pins se déplacent.
A quoi servent les vacances ? A passer paisiblement le temps, je pense. Je referme les yeux, les sens exacerbés. Je décompose le bruit ambiant de la forêt, j'entends le craquement de branches, les feuilles tomber, le bruissement du vent, le doux bavardage des oiseaux, quelques mugissements, les pas d'animaux au sol. Ici le bruit est harmonie, non comme en ville où un bruit est créé pour en dissimuler un autre. Le soleil descend, je reprend des forces et j'étends ma couverture autour de moi. C'est merveilleux de s'endormir comme ça mon oreiller sous la tête, et encore plus de se réveiller et de n'avoir absolument rien de prévu. Je sors ma bouteille d'eau et je me lave comme je peux avec.
Je suis maintenant un véritable oiseau à grandeur d'homme. Ce matin, je danse encore pour mettre mes vêtements. Et je sors mon carnet, je note mes impressions, les bons mots qui me viennent à l'esprit, je dessine un peu et je me représente assis sur la branche élevée d'un arbre. Je souris, heureux que je suis. J'ai entre mes mains tout ce que j'aime : la nature et le papier. L'écorce me meurtrit effectivement un peu les coudes mais le reste va si bien que ça n'a pas la moindre importance. Une fourmi s'avance vers moi, je sens bientôt un fourmillement me parcourir le bras droit. J'appartiens à l'immensité de la nature. Si je ne veux plus être homme, si je ne peux devenir oiseau, cette fourmi, elle, pense que je suis un arbre. Je la laisse aller son chemin et je la perds de vue lorsqu'elle choisit un autre embranchement de l'arbre. Peut-être un jour, passerai-je mes vacances à suivre une fourmi ?
Le vent secoue avec plus de vivacité les branches, j'enfile mon pull de secours. Je mange un morceau dans mon sac. J'aimerais me nourrir de la nature, cueillir moi-même les fruits que je dévore mais quand les vacances ont pour seule règle de ne sortir sous aucun prétexte de son logement particulier, on la respecte.
Je change de position sur ma branche car c'est pour moi de plus en plus inconfortable et je regarde de l'autre côté de l'arbre. Une véritable tribu de sangliers passe, le mâle et sa laie encadrant leurs six petits marcassins. Leur passage m'a ému c'est une belle petite famille et le contraste entre l'air féroce des parents et l'innocence de leurs enfants est adorable. Je me laisse emporter par mes rêveries, je touche du doigt l'écorce de l'arbre, et j'imagine que je vis, que je suis arbre et que je vais rester planté ici pour de très longues années. Pour l'instant, ça me convient.
Je me réveille aux aurores le lendemain, c'est aujourd'hui que je pars, la vie humaine reprend ses droits sur l'homme. Je remets la couverture, les jumelles et mon oreiller dans le sac et j'accroche celui-ci sur mon dos. Je suis debout sur ma branche et je contemple une dernière fois la nature du haut de la plus humble des demeures. Je suis l'oiseau dans l'arbre, je suis l'oiseau qui quitte son nid. Et je descends, mais j'ai oublié que j'avais monté en plusieurs fois mes affaires jusqu'au haut. Le poids de mon fardeau, m'attire en bas, je lutte, et mes jambes qui ont perdues l'habitude de faire de l'exercice ne parviennent pas à empêcher ma chute. A quoi ressemble un oiseau qui s'écrase vers la liberté ?
C'est un animal surpris, qui comprend sans penser que la fin vient. Il pourrait juste décrire si il parlait, de la sensation de vertige, de vide attrayant qui s'arrête brusquement. Je tombe en arrière, je suis un oiseau que l'air n'a jamais porté.