Du roman que j'achève.."
Je ne suis pas celle que je suis", de Chahdortt Djavann.
"
Séance
Elle s’allongea sur le divan.
_ Un soir, mon père était devenu fou, il hurlait... J’avais dix-sept ans, et j’allais passer le bac. Tout mon corps tremblait.
(Un silence.)
_ Je me suis approchée de lui, en le regardant droit dans les yeux... Et il s’est passé quelque chose...
... Ce n’était pas seulement moi qui avançais vers lui, mais, avec moi, l’enfant terrorisée qui restait clouée sur place et pissait sur elle-même, celle qu’il soulevait et balançait comme une chaise. J’ai vu dans son regard qu’il avait sous les yeux cette enfant-là.
_Oui.
_ Il hurlait et ... à mesure que mes pas avançaient, sa voix baissait. Je savais que je défiais sa folie.
_Oui.
_ Je me suis plantée devant lui et lui ai dit d’une voix autoritaire : “Asseyez-vous.”
Il m’a crié : “Vous savez à qui vous parlez ? Je suis votre père. “
Je lui ai répondu d’une voix qui sortait de mon coeur : “Je sais que vous êtes mon père. C’est vous qui ne le savez pas. “
Comme une tornade qui disparaît d’un coup, il s’est calmé brusquement.
J’ai fait son procès et il m’a écoutée...
Je ne sais plus exactement ce que je lui ai dit, rien de moi en tout cas, ni des scènes d’enfance...
Je lui ai demandé s’il se rendrait compte qu’il avait abîmé la vie de ses enfants. Qu’il oubliait souvent de se comporter comme un père. Que les horreurs qu’il avait connues dans sa vie ne l’autorisaient pas à infliger les mêmes à ses propres enfants...
Le psy avait noté l’émotion dans sa voix.
Il m’a murmuré qu’il ne savait pas ce que c’était qu’un père puisqu’il n’avait jamais connu le sien.
Là j’ai été très dure, je lui ai répondu qu’un père comme lui, ce serait mieux de ne l’avoir jamais connu.
Il m’a regardée avec tendresse et honte...
Il m’a souri et m’a dit d’une voix admirative que je serais une grande avocate de l’humanité et qu’il était fier de moi. "