Françoise Héritier est l'une des grandes figures de l'anthropologie mondiale contemporaine, successeur de Claude Lévi-Strauss au Collège de France.
Elle publie cet été, aux côtés de la politologue Nicole Bacharan, de l'historienne Michelle Perrot et de la philosophe Sylviane Agacinski, un essai passionnant : La Plus Belle Histoire des femmes.
Ce bouquin nous raconte la génèse et l'évolution de la condition féminine depuis Cro-Magnon(ne) jusqu'à aujourd'hui. Ouvrage réjouissant et salutaire, qui permet de prendre la hauteur nécessaire pour saisir l'importance et les enjeux du combat féministe, loin des débats à la petite semaine que nous imposent depuis deux mois les rebondissements de l'affaire DSK.
Dans une interview accordée récemment à Marie-Laure Delorme, journaliste au JDD, Françoise Héritier a livré l'essence de sa pensée.
Extraits :
JDD : vous avez découvert que, partout et toujours, le masculin est considéré comme supérieur au féminin.
Françoise Héritier : il y a des différences selon les cultures et les époques. Mais il n?existe pas de société humaine qui soit fondée sur l?idée de pouvoir entre les mains des femmes. Je pose la question de manière anthropologique : pourquoi cela s?est-il produit ? On s?aperçoit vite que la version essentialiste, qui justifie la hiérarchie par une nature, masculine et féminine, est fausse. Nous avons affaire à la création d?un modèle par l?esprit. Nos ancêtres voulaient comprendre le monde et lui donner du sens avec les moyens dont ils disposaient. Leur pensée butait sur des faits irrécusables : 1) le monde animal est marqué par la différence des espèces mais il y a, pour chacune, deux sexes ; 2) il faut la copulation pour qu?il y ait des enfants ; 3) seules les femelles ont la capacité de faire des enfants des deux sexes. Elles reproduisent à l?identique leur corps et elles reproduisent également un corps différent d?elles. Il s?ensuit qu?un rôle premier a été attribué aux hommes dans la fécondation : s?il faut le coït, c?est que les hommes mettent les enfants dans les femmes.
JDD : il y a donc un lien entre fécondité féminine et domination masculine.
FH : oui. Cette réflexion, au fil des millénaires, a entraîné la domination masculine. Si les hommes mettaient les enfants dans les femmes, il importait que chaque homme ait à sa disposition une femme pour lui faire les enfants qu?il souhaite avoir. Cela suppose une appropriation du corps des femmes, et comme ce corps donne en plus du plaisir, cela devient important. Il s?est produit, en même temps, une prise de conscience collective décrite par Claude Lévi-Strauss : la nécessité d?accepter l?Autre en se mariant avec lui pour avoir une société pacifiée. L?humanité se dote ainsi de la prohibition de l?inceste qui oblige à se marier à l?extérieur du groupe. Les hommes gardent filles et soeurs pour les échanger avec les filles et les soeurs d?hommes appartenant à d?autres groupes consanguins. On crée ainsi la société. La valence des sexes existait donc déjà puisque ce sont des hommes qui échangent filles et soeurs et non pas le contraire. La mainmise en esprit et en réalité du frère et du père va passer au mari. Cette mainmise sur les corps et les destins est assurée, au fil du temps, par des privations (d?accès au savoir et au pouvoir) et par une vision hiérarchique marquée du sceau du mépris et de la condescendance.
JDD : comment voyez-vous l?avenir des femmes ?
FH : le modèle archaïque masculin est universel mais pas éternel. L?humanité actuelle procède des mêmes souches qui ont donné aux mêmes questions les mêmes réponses. Mais c?est un modèle créé par l?esprit. Il n?est pas là par nécessité biologique. Il peut donc être remplacé. Il a été créé par nos lointains ancêtres à partir de données vraies mais superficielles. Ils en ont tiré des conclusions fausses parce qu?ils ne pouvaient pas connaître l?existence cachée des ovules et des spermatozoïdes. Il a fallu attendre le début du XXe siècle pour qu?on accepte, dans les milieux biologiques, l?idée qu?il fallait pour la fécondation la coopération de l?homme et de la femme. Le savoir et la contraception ont été essentiels dans la libération des femmes.
JDD : l'histoire des femmes est une histoire douloureuse.
FH : c?est objectivement plus dur d?être une femme que d?être un homme parce que les hommes ont pris l?habitude de se faire servir. La Plus Belle Histoire des femmes montre que les femmes intériorisent leur état de dépendance mais, aussi, qu?il s?est toujours trouvé des hommes et des femmes pour réfléchir et lutter.
L'intégralité de l'interview est à lire ici.
La Plus Belle Histoire des femmes est éditée au Seuil et coûte 18?53 à la Fnac
Que pensez-vous de ce que nous dit Françoise Héritier ? Comme elle, êtes-vous convaincues que "c'est objectivement plus dur d?être une femme que d?être un homme" ? Pensez-vous que votre génération parviendra à bousculer la donne ?
Elle publie cet été, aux côtés de la politologue Nicole Bacharan, de l'historienne Michelle Perrot et de la philosophe Sylviane Agacinski, un essai passionnant : La Plus Belle Histoire des femmes.
Ce bouquin nous raconte la génèse et l'évolution de la condition féminine depuis Cro-Magnon(ne) jusqu'à aujourd'hui. Ouvrage réjouissant et salutaire, qui permet de prendre la hauteur nécessaire pour saisir l'importance et les enjeux du combat féministe, loin des débats à la petite semaine que nous imposent depuis deux mois les rebondissements de l'affaire DSK.
Dans une interview accordée récemment à Marie-Laure Delorme, journaliste au JDD, Françoise Héritier a livré l'essence de sa pensée.
Extraits :
JDD : vous avez découvert que, partout et toujours, le masculin est considéré comme supérieur au féminin.
Françoise Héritier : il y a des différences selon les cultures et les époques. Mais il n?existe pas de société humaine qui soit fondée sur l?idée de pouvoir entre les mains des femmes. Je pose la question de manière anthropologique : pourquoi cela s?est-il produit ? On s?aperçoit vite que la version essentialiste, qui justifie la hiérarchie par une nature, masculine et féminine, est fausse. Nous avons affaire à la création d?un modèle par l?esprit. Nos ancêtres voulaient comprendre le monde et lui donner du sens avec les moyens dont ils disposaient. Leur pensée butait sur des faits irrécusables : 1) le monde animal est marqué par la différence des espèces mais il y a, pour chacune, deux sexes ; 2) il faut la copulation pour qu?il y ait des enfants ; 3) seules les femelles ont la capacité de faire des enfants des deux sexes. Elles reproduisent à l?identique leur corps et elles reproduisent également un corps différent d?elles. Il s?ensuit qu?un rôle premier a été attribué aux hommes dans la fécondation : s?il faut le coït, c?est que les hommes mettent les enfants dans les femmes.
JDD : il y a donc un lien entre fécondité féminine et domination masculine.
FH : oui. Cette réflexion, au fil des millénaires, a entraîné la domination masculine. Si les hommes mettaient les enfants dans les femmes, il importait que chaque homme ait à sa disposition une femme pour lui faire les enfants qu?il souhaite avoir. Cela suppose une appropriation du corps des femmes, et comme ce corps donne en plus du plaisir, cela devient important. Il s?est produit, en même temps, une prise de conscience collective décrite par Claude Lévi-Strauss : la nécessité d?accepter l?Autre en se mariant avec lui pour avoir une société pacifiée. L?humanité se dote ainsi de la prohibition de l?inceste qui oblige à se marier à l?extérieur du groupe. Les hommes gardent filles et soeurs pour les échanger avec les filles et les soeurs d?hommes appartenant à d?autres groupes consanguins. On crée ainsi la société. La valence des sexes existait donc déjà puisque ce sont des hommes qui échangent filles et soeurs et non pas le contraire. La mainmise en esprit et en réalité du frère et du père va passer au mari. Cette mainmise sur les corps et les destins est assurée, au fil du temps, par des privations (d?accès au savoir et au pouvoir) et par une vision hiérarchique marquée du sceau du mépris et de la condescendance.
JDD : comment voyez-vous l?avenir des femmes ?
FH : le modèle archaïque masculin est universel mais pas éternel. L?humanité actuelle procède des mêmes souches qui ont donné aux mêmes questions les mêmes réponses. Mais c?est un modèle créé par l?esprit. Il n?est pas là par nécessité biologique. Il peut donc être remplacé. Il a été créé par nos lointains ancêtres à partir de données vraies mais superficielles. Ils en ont tiré des conclusions fausses parce qu?ils ne pouvaient pas connaître l?existence cachée des ovules et des spermatozoïdes. Il a fallu attendre le début du XXe siècle pour qu?on accepte, dans les milieux biologiques, l?idée qu?il fallait pour la fécondation la coopération de l?homme et de la femme. Le savoir et la contraception ont été essentiels dans la libération des femmes.
JDD : l'histoire des femmes est une histoire douloureuse.
FH : c?est objectivement plus dur d?être une femme que d?être un homme parce que les hommes ont pris l?habitude de se faire servir. La Plus Belle Histoire des femmes montre que les femmes intériorisent leur état de dépendance mais, aussi, qu?il s?est toujours trouvé des hommes et des femmes pour réfléchir et lutter.
L'intégralité de l'interview est à lire ici.
La Plus Belle Histoire des femmes est éditée au Seuil et coûte 18?53 à la Fnac
Que pensez-vous de ce que nous dit Françoise Héritier ? Comme elle, êtes-vous convaincues que "c'est objectivement plus dur d?être une femme que d?être un homme" ? Pensez-vous que votre génération parviendra à bousculer la donne ?