@adita Merci pour ton post, j'avais également l'impression d'un certain glissement de "pratiques bourgeoises" vers "classisme" qui me paraissait un peu trop systématique. C'est là qu'on voit que les grilles d'analyse des différentes oppressions ne sont pas transférables et que s'il y a des similitudes, il y a aussi des fonctionnements propres.
Une pratique bourgeoise n'est pas nécessairement classiste : aller au théâtre ne l'est pas, aller au théâtre et dire "franchement c'est le même prix que pour aller voir
Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu au ciné je comprends pas" ça l'est.
Comme je prends toujours des exemples sur le théâtre, je vais essayer de me renouveler et je pense que l'exemple du bio est particulièrement intéressant. Se tourner vers une alimentation locale et/ou bio est une démarche positive, tant sur le plan environnemental, éthique que sur le plan de la santé. Quand on commence à s'y intéresser, on se rend compte que ce n'est pas forcément plus coûteux. Néanmoins, affirmer que ce n'est pas une démarche qui relève de pratiques de classes me semble complètement à côté de la plaque : c'est une manière de consommer qui relève d'une certaine réflexion, d'une sensibilisation particulière. En fait, ça m'amène à reprendre une distinction que j'ai lue ici et qui est intéressante (je suis désolée de ne plus retrouver le message pour le citer précisément), entre précarité et pauvreté. Par exemple, on peut être étudiant.e et vivre dans la précarité, cela ne nous fait pas appartenir automatiquement à la classe populaire.
Il y a différents niveaux d'analyse de notre situation économique et de notre appartenance de classe : il y a la constatation financière (étudiant.e pauvre, qui va à la fac, a du mal à boucler les fins de mois et à payer ses factures - couple d'enseignants dans une ville où les loyers sont élevés, au hasard... Paris
) et la classe sociale à laquelle on appartient selon nos habitus, nos modes de vie, notre appartenance familiale... Et en plus, l'exemple de l'étudiant.e est mal choisi car c'est le moment de la vie où on est le plus susceptible de changer de classe (soit dans le maintien, soit dans le passage à la classe dite supérieure). Et tout ça ne dépend pas forcément des revenus : on peut être plus pauvre que ses parents mais adopter des pratiques qui nous amènent vers une autre classe sociale, d'où ce sentiment qu'on traverse souvent quand on entame un transfuge durant la jeunesse : "je ne comprends pas comment mes parents vivent/ pourquoi ils mangent du tout prêt alors que moi avec moins d'argent je mange mieux/ pourquoi ils passent quatre heures par jour devant la télé alors qu'ils ont les moyens d'aller au théâtre (non j'avais dit que j'arrêtais)/ d'aller au musée", bref, à ce moment-là de la vie on est simplement en train de constater qu'une classe sociale, ce sont des ressources financières, mais pas que.
D'ailleurs, c'est ce qui explique le mépris qu'on peut avoir, toutes classes confondues, pour les "nouveaux riches" : les bourgeois les méprisent et les réassignent systématiquement à leur statut d'anciennes classes moyennes en les traitant de "beaufs" ou en les trouvant vulgaires car en dépit de leur capital financier nouvellement acquis, ils continuent d'avoir des habitus de leur classe d'origine et d'un autre côté, les classes plus pauvres les méprisent aussi car ils ont "trahi" et "ils se la pètent".
Eeeeet je dirais même que ça explique aussi le mépris qu'on peut avoir pour les "bobos" (deux catégories qui évoluent sur les frontières, sur les marges des classes) : ils ont le capital financier des bourgeois mais refusent de s'assimiler complètement aux pratiques de cette classe - suscitant tant l'incompréhension des plus riches ("hahahaha c'est quoi cette caisse ? t'achètes des fringues d'occasion ?!") que des plus pauvres ("ils font semblant d'être pauvres alors qu'ils sont pétés de fric")
Bref, dans la question des classes comme dans les autres domaines de réflexion, les choses ne sont pas simples, encore moins binaires (ou plutôt ternaires) entre les pauvres, les moyens et les riches. Je me suis écartée de ce que je voulais dire au départ : toute pratique bourgeoise n'est pas classiste, pour autant les manifestations du classisme sont particulièrement forte dans les classes bourgeoises (désolée
) non seulement parce que ce sont les dominants dans la société actuelle mais c'est aussi la catégorie qui a la conscience de classe la plus forte (une fois de plus, je renvoie à
Sociologie de la bourgeoisie de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon), donc qui a la conscience la plus forte de ce qui relève de sa classe et de ce qui n'en relève pas, de ce qui est
convenable et de ce qui ne l'est pas. D'où, finalement, ce glissement, faux mais explicable, de "bourgeois" à "classiste".