Rainer;1616288 a dit :
Je ne sais pas. Je pense surtout à l'axe savoir-pouvoir. Les auteurs mis en avant sont tous les mêmes, les autres sont passés sous silence (tellement que l'on a même pas accès à ces-derniers). Il y a un effet politique clair. Comme je le disais, c'est très blanc, bourgeois, straight. Je ne crois pas une seconde que les minorités (de dite race, de dite classe, de dit genre, de dite sexualité, de dite identité) n'aient rien produit d'efficace et de pensé littéraire depuis plusieurs siècles. Ce sont toujours les mêmes auteurs qui parlent, invariablement, même des siècles après leur mort... ! Et puis en effet, je ne conçois pas que la culture littéraire populaire n'investisse pas la scolarité française (elle est clairement dénigrée). Ni que la littérature contemporaine, post-moderne ne soit pas étudiée avec sérieux.
Oui, enfin tout dépend de ce que tu entends par "culture littéraire populaire". Je suis pour l'introduction de romans
plus contemporains
dans une certaine mesure, puisque pour des profs de littérature bien souvent un roman contemporain ça s'arrête à Beckett (donc les années 50 puisque même s'il est mort en 89, on étudie surtout des pièces et textes écrits à cette époque). Tout dépend de ce que tu entends par populaire. J'ai un peu peur que populaire ne glisse rapidement vers le "grand public" et par un autre glissement, certes malheureux, ne devienne vite "mauvaise qualité". On veut du littéraire contemporain fun, mais pas du Marc Lévy (pardon aux lectrices : c'est sympathique, mais niveau qualité littéraire, on a vu mieux.) Pour moi la qualité c'est surtout quelque chose d'original, dont le propos laisse ... rêveur, qui donne cette impression d'un regard neuf sur un thème souvent ordinaire.
On peut avoir du populaire et du qualitatif. Les romans de Camus ou Sartre ont été très populaires en leur temps ; Sartre surtout représente à mes yeux le romancier et intellectuel populaire par excellence, qui a apporté une nouvelle perspective sur la littérature, tout en étant très médiatisé, très engagé, très apprécié par une partie assez large de la population. Bon, il a vieilli, c'est évident et je le prends comme exemple de popularité/qualité, pas comme exemple de contemporain devant être davantage mis en valeur !
Je glose un peu sans savoir ce que tu veux dire par populaire, toutefois.
Pour le côté "blanc, bourgeois, straight", oui, mais ça va de pair avec une histoire qu'on ne peut pas changer. La littérature classique est blanche, hétérosexuelle et bourgeoise parce que les modèles de la vie de cette époque le sont, parce que les personnages de l'Histoire de cette époque le sont. A l'époque, on réprime l'homosexualité, on prône la bourgeoisie et son confort et la suprématie blanche : la littérature s'en ressent. C'est reflété dans toute la littérature classique et je ne trouve pas ça "mal" en ce sens que c'est simplement un reflet d'une époque : tant qu'on explique la transition de cet âge-là au nôtre, heureusement plus tolérant et divers, tout va bien. La littérature du peuple, colorée et aux sexualités diverses, est encore timide parce que l'acceptation de cette culture est récente. Dans cinquante ans on aura sans doute des livres plus diversifiés.
C'est aussi pour ça que le roman contemporain dans les classes dès maintenant pose problème : c'est tentant, mais comment savoir aujourd'hui quel roman sera
toujours un roman remarquable demain ? Des romans que nous lisons aujourd'hui et étudions comme des classiques sont parfois passés inaperçus (l'?uvre de Kafka, par exemple !) à l'époque de leur écriture, voire n'ont jamais été publiés. Il faut du temps avant que le livre ne fasse son chemin dans la société, qu'il devienne une évidence, qu'il saute aux yeux comme un témoignage de son époque et, à sa façon, une révolution. Pour le moment on lit Zadie Smith (
Sourires de loup) ou Dany Laferrière (
Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer) comme de très bons romans contemporains ; dans cinquante ans ils seront peut-être reconnus comme des classiques parce qu'ils sont révolutionnaires dans leur approche de l'écriture et les thèmes qu'ils abordent.
Il faut laisser le temps aux livres. On commence à étudier des livres de Virginia Woolf sur l'homosexualité, parce que c'était révolutionnaire à l'époque (trop pour les institutions) et qu'aujourd'hui ça ne choque a priori plus grand-monde.
Je ne sais pas si on doit blâmer les institutions. Elles ralentissent les choses pour ce qui est du système éducatif ; en dehors de ce système elles n'empêchent sans doute personne de lire quelque chose et de s'en faire son idée propre. Pour le système éducatif, elles ont au moins le mérite d'empêcher l'étude d'?uvres de piètre qualité sous prétexte qu'elles ont été bien vendues. Elles permettent justement cette maturation de l'?uvre et de ses idées. Elles laissent le temps au temps. Vouloir des livres plus divers, c'est bien, mais la société doit être prête à les entendre. La société fait les livres, les livres font la société : un livre est le reflet d'une société, mais un très bon livre la transgresse (et devient un classique) et la dépasse. Pour être étudié, il faut que ce soit "à froid" - que son propos ait été absorbé et finalement accepté par la société elle-même ...
Pour les "autres littératures" dont tu parles Rainer, je suis d'accord avec toi globalement ; je me suis focalisée sur les romans parce que c'est généralement reconnu comme une éducation littéraire classique. Il va de soi que les autres types de littérature - les romans de voyage, les ouvrages sociologiques, les livres politiques ... etc - sont tout aussi valables mais plus pointus sans doute, plus spécialisés. Je me suis focalisée sur les romans, qui me semblent être justement LE genre populaire, qui s'adresse à tous, par excellence.
Silencio, je suis d'accord avec toi : le caractère révolutionnaire des ?uvres ne saute pas toujours aux yeux.
Madame Bovary a choqué en son temps - elle a des amants, on évoque un coït, elle se suicide ... - mais plus maintenant. C'est pour ça que les profs de littérature ont pour tâche de nous faire voir ce qui choquait, dans quel contexte, et pourquoi le livre est devenu un classique.