Ça me fascine comment d'une chanson qui démonte la tyrannie des magasines et des diktats de la mode / sociétaux, on conclut tout de suite que la personne qui a râle ne peut le faire qu'en tapant sur les autres.
Le """"skinny shaming"""" de la chanson est LITTÉRALEMENT un vers, le reste est contre les médias (et a la mauvaise idée de faire croire qu'on doit mesurer sa valeur à l'aune du désir des hommes, j'accorde ce point de critique).
N'importe quelle personne, femme ou homme, qui a subi l'oppression anti-gros (ie anti taille 40 et plus) est capable de comprendre que UN "skinny bitch" dans la chanson est plutôt un cri du coeur de la personne qui a été blessée par les moqueries que le début d'une guerilla anti-maigres (qui n'arrivera pas).
En particulier chez les femmes, la minceur imposée au quotidien et le regard et les jugements des autres peuvent être très difficiles à supporter et très cruels. En tant que grosse repentie (encore un peu grosse), oui, je comprends que parfois on ait envie de dire "skinny bitch" : les insultes de mes semblables, les remarques déplacées de mes proches, les pantalons qui ne ferment pas, les clichés sur les grosses, le malaise, les strapontins trop étroits, la cellulite, les 1948402394 couvertures de magazines qui me disent que je devrais me sentir mal dans mon propre corps... toutes ces choses ont pu à un moment ou à un autre me donner envie de dire "skinny bitch". Ce n'est pas parce que je déteste les maigres, je ne déteste personne, je pense qu'il faut avoir le corps dans lequel on s'aime. Mais j'ai été longtemps et je suis encore parfois blessée et frustrée des jugements superficiels, du fai que l'on essaie de m'obliger à me détester parce que ma cuisse est grasse, de la honte de ma cellulite quand ma robe est trop courte.
"Skinny bitch" ne s'adresse pas aux filles MINCES, ça s'adresse à cette catégories de gens qui sont des sales con-ne-s qui pensent qu'il FAUT être mince et qu'il faut imposer ça à tout le monde. À celle qui te dit "Mais t'as pas honte de porter une robe avec tes cuisses ?" (maintenant, oui, merci).
Internet est prompt à crier au scandale, et les social justice warriors sont partout, mais excusez-moi, cette chanson n'est pas un appel à la haine. Elle est en colère, mais elle n'a jamais dit "Il faut que les gros dominent le monde, allons tous manger les maigres."
Par ailleurs, en réponse à un commentaire, ce qui est """politiquement correct""", ce n'est pas de taper sur les minces, c'est taper sur le diktat. C'est très différent. C'est d'essayer de faire accepter à la société (et pas seulement à son propre miroir) que mon corps est valide même s'il est plus large, qu'il tremblote et qu'il est un peu grumeleux.
La possibilité que ça évolue en une société qui n'aime pas les minces est à peu près aussi grande que la possibilité que soutenir les homosexuel-le-s fasse évoluer la société en nouvelle Sodome, et aussi réelle que le racisme inversé. (NB : cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de gros anti-maigres mais sérieusement les filles, là, vous êtes pas mieux que le mec qui dit "le féminisme me blesse bouhou".)
Bref, toutes proportions gardées, la discrimination contre les gros-ses est réelle, elle n'est pas seulement dans la vie amoureuse, elle porte de vrais préjudices et elle EST internalisée par les gros-ses.
Le mouvement fat-positive, dont je suppose cette chanson (que je ne connaissais pas et dont je n'approuve PAS le message "t'en fais pas, les mecs aiment s'accrocher aux poignées d'amour tout ira bien") fait partie, n'a pas pour but de faire accepter aux minces anti-gros que les gros sont nos amis et il faut les aimer aussi.
Il a pour but premier de dédiaboliser le gros au niveau sociétal (avec des mannequins > 34, en luttant contre les stéréotypes et notamment dans les médias, films, etc) et aussi -- peut-être surtout, parce que c'est ce qui est souvent le plus urgent, au niveau personnel : Oui, je suis belle avec ma cellulite et je ne suis pas moins qu'humaine si j'ai la flemme d'aller courir ou si j'aime manger du chocolat quand je travaille tard. Oui, je peux porter cette robe pour aller travailler même si mes genoux sont gras. Oui, je peux manger un biscuit en public ce n'est pas parce qu'on m'a insultée une fois que ça recommencera. Et aussi, oui, je peux sortir du lit et montrer ma cellulite à mon mec, il ne va pas s'enfuir en courant.
Quand j'étais adolescente, je rêvais de découper des pans entiers de mes cuisses au couteau. Il m'a fallu des années, une dépression et beaucoup plus de travail pour me convaincre que je valais la peine de quelque chose, pour me prouver ma propre valeur, pour passer par dessus le fait que je suis GROSSE. Je suis brillante, je suis sympa, j'ai bon goût, mais je suis grosse. Alors franchement, s'il y a 10 ans, j'avais pu avoir Mindy Kaling ("grosse" l.o.l), si j'avais pu voir des représentations positives des grosses, si j'avais pu savoir que même les filles qui font du 40-42 sont blessées, ça m'aurait épargné pas mal de shame eating / binge eating / les deux qui ne sont pas franchement les trucs les plus sympa du monde.
Une expérience à faire pour toutes les filles minces, c'est de vous demander combien de fois vous pensez "elle est grosse", quelles que soient les circonstances.
Je suis passée d'un 44-46 à un 36-38 et il m'arrive de le penser. J'ai été (en fait, je suis encore un peu à certains endroits car OUI on peut être ""gros"" et porter du 36-38 ) grosse et pourtant, j'ai encore ce genre de jugements spontanément. J'ai internalisé l'anti-gros comme j'ai internalisé la misogynie, comme j'ai internalisé un peu de racisme même malgré moi (mais uniquement le soir quand je suis toute seule dans un wagon de métro).
EDIT : désolée, ça faisait longtemps que j'avais ça sur le coeur.
EDIT 2 : Skinny bitch est aussi http://en.wikipedia.org/wiki/Skinny_Bitch
et pour du vrai skinny-shaming, je vous invite à aller lire http://fatwarriorgodess.com/ et surtout surtout les archives de son fabuleusement répugnant tumblr : http://archive.today/fatwarriorgodess.tumblr.com