J'ai vu le message d'une madmoizelle qui nous invitait ici sur ECM. Alors je suis venue.
Ce type d'exercice est parfait, peut-être que, si je reste motivée, cela me permettra de renouer avec l'écriture...
Voilà donc ma participation, pardonnez le style sans doute un peu lourd, je n'ai rien écrit depuis plusieurs années
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Baptiste se leva précipitamment. Prenant soin de d'enjamber le bord du tapis pour ne pas se prendre les pieds dedans comme il le faisait tous les matins, il se rua dans le couloir. Déjà trois sonneries. Alors qu'il y était presque, son petit orteil se fracassa dans la porte du salon, qui était restée à demi fermée. Un cri aigu lui échappa et il s'effondra sur la carrelage froid, en contemplant son orteil douloureux dans lequel le sang commençait déjà à affluer. Cinq sonneries. En serrant les dents, Baptiste se releva, fit les quelques pas qui le séparaient de la console en teck et saisit le combiné du téléphone. Au moment où il appuya sur le bouton, il sut qu'il était déjà trop tard. Son père ne laissait jamais sonner plus de six fois.
Il laissa mollement retomber l'appareil et se dirigea dans la cuisine. Une main qui grattait le bas de ses reins, l'autre dans ses boucles auburn, il regarda longuement, sans les voir vraiment, toutes les notes qui s'accumulaient sur la porte du réfrigérateur. Au milieu de ce fouillis, il finit par remarquer un
post-it bleu, un peu moins froissé que les autres, qui portait l'écriture de son père. Quelques mots s'y alignaient sous la forme d'une liste :
"Œufs
Tomates
Sauce salade
Bonne semaine."
Baptiste y jeta un œil torve puis ouvrit nonchalamment la porte du réfrigérateur. Il but une gorgée de jus de fruits, sortit un pot de confiture puis se coupa une tranche de pain qu'il posa sur une assiette en grès. Il appuya sur le bouton de la bouilloire et s'installa devant son petit-déjeuner, ses genoux cagneux remontés sous le menton, frottant son orteil blessé.
Tous les mois, le même schéma se répétait. Son père était là, à la maison, comme tous les parents. Il faisait les courses, à manger, emmenait même Baptiste au cinéma, parfois. Et un matin, la sonnerie du téléphone réveillait le garçon. Il savait alors que son père était reparti. Régulièrement, une "mission", comme disait son père, sans jamais donner plus d'explications, l'appelait ailleurs, et Baptiste se retrouvait seul. Seul, avec une note sur le frigo pour toute espèce d'explication.
L'interrupteur de la bouilloire revint à sa position initiale avec un petit claquement, tirant Baptiste de sa torpeur. Il versa l'eau frémissante sur son sachet de thé et posa son bol sur la table. Sentant l'appétit commencer à lui tirailler l'estomac, il ouvrit le pot de
marmelade d'orange et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Vide. Dépité, il ferma le bocal, le repoussa sur le coin opposé de la table et attrapa le post-it bleu. "Confiture" y ajouta-t-il.
Baptiste but une gorgée de thé, se brûla la langue.
La douleur sembla achever de le réveiller. Il passa énergiquement ses mains sur son visage, se frotta les yeux et se leva brusquement. Sa chaise tomba par terre lorsqu'il la repoussa, mais le garçon n'y prêta pas attention. Il sortit de la cuisine, ouvrit en grand la porte du salon qui heurta le mur, et remonta le couloir. Il prit une douche expéditive, presque froide, enfila des vêtements propres sans se sécher et sortit de la salle de bain. Ayant traversé le couloir, il marqua un temps d'arrêt devant la porte.
Puis Baptiste pénétra dans la chambre de son père. Sans même jeter un regard au décor austère de cette chambre inhabitée, il traversa la pièce et fit glisser la tenture qui dissimulait la penderie pour découvrir les vêtements de son père. Devant lui s'alignaient les vestes et les pantalons assortis, parfaitement repassés et docilement suspendus à des cintres espacés d'une distance régulière. Le regard de Baptiste se porta sur une veste semblable aux autres, accrochée à gauche du placard. Il se saisit du cintre qui la portait, débarrassa le vêtement de tous les
médailles et écussons dont il était orné et l'enfila prestement. Contre toute attente, la veste se révélait ajustée : les épaules tombaient parfaitement, la taille était correctement cintrée. Baptiste n'était finalement peut-être plus vraiment l'enfant qu'il croyait être, finalement. Peut-être que son père avait raison, et qu'il était capable de se débrouiller seul depuis des années déjà. Quoiqu'il en soit, peu lui importait, à présent.
Baptiste s'assura que le col était bien positionné d'une geste rapide et quitta la chambre comme il y était entré, sans un regard. Il attrapa le sac qui était prêt depuis quelques semaines déjà dans sa chambre et le hissa sur son épaule. De retour dans le salon, il enfila ses chaussures de marche, forçant son orteil douloureux à se coller aux autres au fond de la chaussure. Puis il franchit le seuil de la maison et claqua la porte derrière lui.
Baptiste s'éloigna à grandes enjambées, soulevant la poussière sur son passage, son regard dur porté droit devant lui.