La rumeur courait déjà depuis bien longtemps, alors que le jour se levait à peine dans ce joyeux bourg de Mad-en-Moizelle. Un grand évènement se préparait, immense, grandiose, que seules de telles occasions pouvaient permettre. Il fallait faire vite !
Alors que les dames de compagnie s'affairaient autour de ces dames pour leur faire revêtir leurs plus beaux atours, une petite musique bruissait déjà dans le vent, et au sol, ou des tas de chenilles et de papillons défilaient et exposaient leurs couleurs vives en rangs propres et nets. Suivaient les souris et les rats, frappant le pavé encore humide de rosée de leurs petites griffes. Puis venaient les chats, au pelage soyeux, l'oeil vif et le museau au vent (note du conteur: j'adore ce mot, "museau", hihi, museau, museau !), agitant doucement leurs queues à mesure de la musique qui devenait plus présente, alors que le soleil se levait davantage. Puis les renards de toutes les couleurs, qui tentaient quelquefois de chasser une souris retardataire.
Les gens commençaient à se masser dans les rues, leurs plus belles parures étant de mise. Les boulangers et pâtissiers préparaient leurs douceurs pour la fête dans la chaleur des fourneaux avec une hâte et un entrain peu commun.
L'excitation montait.
Vint la meute de chiens, fiers, babines aux aguets. Vinrent les loups et leurs yeux d'or, cadeau d'un Prince lointain venu des Terres de Frimas. Et la musique, toujours la musique, qui allait crescendo alors que la faune des bois entrait dans ce mystérieux défilé, faons, chevreuils, daims, biches, les cerfs aux bois majestueux où étaient posés hiboux et autres chouettes, accompagnés en vol par les moineaux et les pies, rouge-gorge et mésanges.
"Mais bon sang, que font ici ces animaux ?" se demandaient les habitants.
Vinrent les ours, bruns, blancs, et même d'étranges spécimens bicolores, qui terrorisaient et fascinaient les enfants, certains se risquant même à des caresses. Les animaux ne bronchaient pas, et continuaient leur long chemin à travers la ville de plus en plus stupéfaite.
Et là, deux alligators immenses, que chevauchaient deux hommes en vêtements amples jamais vus dans ces contrées. Vinrent des hordes de chevaux, avec ou sans cavalier, faisant gronder la terre de leurs sabots. Leurs rennes étaient d'argent tressé, tout comme l'ornement de leurs pieds. Puis, alors que tournaient les aigles dans le ciel inondé de soleil, des guépards, des panthères, des léopards, des tigres et des lions, feulant et rugissant à tout va, mais couvrant à peine la musique. Tous étaient de grande taille, leurs yeux arrivant à hauteur des femmes.
Ces félins portaient les étendards et les armures caractéristiques, qui laissaient deviner qui était l'auteure de cette faste parade. Les gens riaient et applaudissaient, les yeux brillants de tant de découvertes et d'émerveillement.
Après les félins, les éléphants, imposants, massifs, firent hurler la foule de joie et d'admiration. Ils étaient tous blancs et aux 8 défenses d'or. Il était presque midi. Les barrissements faisaient voler les colombes si nombreuses que l'on aurait cru de la neige tombant à l'envers lorsqu'elles s'éloignaient du sol, et les bourgeois lançaient des fleurs qui parfumaient l'air et les pas immenses des mastodontes.
Le temps se suspendit lorsqu'un cri fendit l'air, et la foule entra en transe. Un dragon.
"C'est elle ! C'est elle !"
Déployant ses ailes au maximum, comme pour toucher le ciel, ce reptile perdu au fond des âges la portait, et semblait aller droit sur la place centrale de la ville. Le dragon passait à peine dans les rues, les gens se mirent en fin de cortège.
La musique était forte, le peuple comme envoûté.
Enfin arrivés à la place centrale, elle descendit de sa fière monture, et s'approcha du Roi qui reflétait le soleil de plein feu. Elle mit un genou en terre, et tout le monde se tut pour écouter ce grand homme prononcer le discours.
"Sekhmet. Tu as, à travers tes trois mille voyages, appris beaucoup de choses. Te voilà revenue avec ce bagage formidable, puisse-tu avoir la chance de repartir pour mille autres, avec ma bénédiction. Et maintenant, réjouissons-nous ensemble !"
Des feux d'artifices furent tirés, les animaux accompagnant les hommes dans la liesse et l'ivresse générale dans un cri d'union. La fête dura plusieurs jours, les gueules de bois furent nombreuses et il fallu beaucoup de balais pour nettoyer, mais jamais l'on oublia cette fête des 3000.