Je reviens un peu sur votre débat d'avant car plusieurs propos me paraissent assez illustratifs de ma position. Je suis pro-euthanasie mais je pense que la société occidentale actuelle n'est pas du tout conçue pour que l'euthanasie soit un choix 100% éclairé. Je trouve que les discours du type "je préfère mourir que d'être vieux et dépendant" sont assez significatif de ça.
L'euthanasie pour moi, c'est un choix qu'on devrait tous avoir quand la douleur physique est trop forte et ne peut pas être soulagée. Par contre, ce n'est pas un choix qui devrait paraitre "logique" juste parce que notre vie a dramatiquement changé du fait de la vieillesse ou du handicap. Le problème, c'est que dans notre société validite et jeuniste, beaucoup de gens considèrent qu'être vieux et dépendant c'est horrible. Du coup, les personnes vieilles et dépendantes ont peu d'alternatives de vie que d'être traitée comme des personnes dont on a pitié et "je voudrais pas être à sa place, je me tuerais si j'étais elle", sans trop d'activités ou de but, ce qui rend les choses assez difficilement supportables et peut pousser à conclure qu'effectivement, la mort est la meilleure voie possible. De même, notre modèle social est ainsi fait qu'on n'apprend pas vraiment ni aux proches, ni aux personnes devenues dépendantes à s'adapter à leur nouvelle vie dépendante. C'est un drame, et voilà c'est très triste, on n'y peut rien.
Perso, ça m'interpelle toujours quand j'entends des gens dire "ma grand-mère est morte mais bon, c'était plus vraiment ma grand-mère depuis des années de toute façon, je ne la reconnaissais plus". Les gens qu'on connait sur toute une vie, ils changent dramatiquement entre le moment ou on les a connus et le moment où ils meurent, même s'ils ne sont pas malades. Perso, ça ne me viendrita pas à l'esprit de me dire que ma meilleure amie que je connais depuis que j'ai 7 ans, "c'est comme si elle était morte depuis longtemps" parce qu'elle n'a absolument plus la même personnalité que quand elle avait 7 ans ou même quand elle avait 18 ans. On a changé au fil du temps, c'est normal. Et oui, les personnes âgées ont tendance à oublier des souvenirs qu'on a avec elles, ce qui peut donner l'impression que ce qu'on a partagé n'existe plus. Mais perso, j'estime que l'amour qu'on a pour notre famille (quand on en est proche), c'est aussi un amour qui évolue et qui est gratuit. On n'a pas besoin que la personne en face soit capable de nous aimer autant qu'on l'aime ou même qu'elle sache exactement qui on et partage les mêmes souvenirs que nous.
Personnellement, ma grand-mère est dans un état de très grande dépendance. Elle ne peut pas faire grand-chose et passe donc ses journées dans son lit à regarder le plafond ou à écouter la radio, avec son temps rythmé par les allers et venues des infirmières, auxiliaires de vie et proches qui lui rendent visite. Elle a souvent des trous de mémoire donc elle ne sait pas toujours qui je suis, et parfois, elle me répète 10 fois la même chose en 10 minutes parce qu'elle a déjà oublié qu'elle l'avait dit. Elle ne ressent plus le goût des aliments comme avant, elle porte des couches, elle est à moitié aveugle, entend mal et elle a du mal à dormir. Dit comme ça, je SAIS que plein de gens diraient "moi à sa place, je préférerais mourir". Sauf qu'elle n'a pas DU TOUT envie de mourir. C'est un truc qu'elle dit très souvent. Elle serait très heureuse de vivre encore 10 ans comme ça, ça la rassure toujours quand je lui dis que des gens peuvent vivre après 100 ans, et j'ai préféré ne pas lui annoncer la mort du Prince Philip parce que ça la rassurait beaucoup de savoir que ce monsieur plus vieux qu'elle était toujours en vie.
Or, je pense qu'elle a déjà une situation plutôt enviable par rapport à de nombreuses personnes âgées. Déjà, elle a plusieurs enfants, de nombreux petits-enfants, des cousins dont elle était proches donc ses enfants viennent la voir aussi régulièrement. Ensuite, elle a une grande maison qui fait que sa famille aime venir passer des vacances chez elle, ce qui augmente les visites où les gens sont en mode détente plus que devoir familial chiant. Sa grande maison est dans une ville avec beaucoup de programmes pour vieux, ce qui lui a permis aussi d'avoir pu faire des aménagements adapté à sa situation. Elle a des auxiliaires de vie qui s'occupent uniquement d'elle plusieurs heures par jour, des infirmiers plusieurs fois par jour et du personnel paramédical qui vient tout au long de la semaine. Bref, beaucoup de personnes âgées institutionnalisées ou non n'ont pas un tel "luxe". Sauf que selon moi, c'est le MINIMUM de ce que les personnes âgées devraient avoir, et on pourrait faire bien mieux, ça ne devrait absolument pas être un privilège. Même en passant plusieurs heures avec elles, les auxiliaires de vie n'ont pas le temps de tout faire pour lui assurer épanouissement et confort.
En plus de ça, que ce soit parmi les proches ou même le personnel médical et paramédical, peu de gens sont vraiment formés ou à l'aise avec les personnes âgées. Très clairement, les personnes âgées qui ont des maladies qui affectent leurs facultés mentales ont besoin qu'on soit très patients avec elle, qu'on fasse des efforts pour comprendre leurs discours pas toujours clairs, qu'on écoute la même histoire 10 fois sans s'agacer, qu'on accepte qu'elle puisse changer d'avis entre le matin et le soir sans essayer d'imposer quoi que ce soit. Or, beaucoup de gens sont incapables de faire ça face aux personnes âgées, même parmi les infirmiers et auxiliaires de vie, ce qui fait que les personnes âgées sont souvent brusquées, incomprises et ne parviennent pas à exprimer leurs besoins, ou quand elles le font, personne n'a le temps d'essayer de trouver quelque chose qui pourrait leur convenir sur le long terme.
Dans le cas de ma grand-mère, je pense qu'elle serait en meilleure forme physique si plus de gens étaient formés aux spécificités psychologiques de la gériatrie. Par exemple, elle ne peut plus marcher parce qu'elle n'a pas fait ce qu'il fallait niveau kiné. Et il faut le dire, beaucoup de kiné font ce métier parce qu'ils viennent d'un milieu sportif, ils sont moyennement intéressés par le vieille dame malade pour qui traverser la pièce toute seule est déjà un exploit. Donc quand la vieille dame leur dit à chaque fois qu'ils viennent qu'elle ne veut pas faire leurs exercices aujourd'hui et qu'elle préfère dormir, ils ont moyennement la motivation pour trouver une solution. Je ne leur jette pas la pierre du coup, mais la vieillesse n'est pas une spécialité jugée très sexy ou même très utile (puisque les vieux vont mourir bientôt n'est-ce pas donc à quoi bon), donc elle est largement sous-estimée dans l'enseignement des professions de santé.
Du coup à force de sécher la kiné pendant des mois et de dire qu'elle préférait rester au lit, ma grand-mère n'a plus les muscles pour se lever de son lit sans que ce soit un effort incroyable.
Bref, de mon expérience, ma grand-mère aurait une vie vachement plus agréable si la société savait s'occuper de ses personnes âgées, notamment en trouvant des activités qu'elle peut faire depuis son lit quand elle est seule à part regarder le plafond, des moyens de lui donner un but personnel, ou en apprenant à leur parler pour les convaincre de faire la rééducation dont elles ont besoin.
Et surtout, à les aider à accepter leur maladie et leur état. Les pires moments avec ma grand-mère, ça a été quand elle n'acceptait pas du tout sa situation, ça la mettait en colère, elle était horrible avec tout le monde. Il y a eu une période où c'était vraiment flippant car elle refusait toutes les aides possible donc elle se retrouvait chez elle, à moitié grabataire et aveugle à manger des trucs moisis parce qu'elle ne pouvait pas cuisiner toute seule ou faire des courses, à vivre avec des vêtements sales, des déchets partout, à hurler sur tout le monde. Puis finalement, elle a fini par accepter sa situation, sa maladie et son handicap, qu'elle avait besoin d'aide et ne pouvait pas faire sans, et à partir de là, elle s'est vachement détendue.
Accepter que notre corps peut se dégrader, et notre état mental aussi, et qu'on pourra quand même être très heureux, c'est quelque chose qu'on ne nous apprend pas du tout dans notre société, on nous apprend plutôt à le vivre comme une malédiction, un drame, la fin de tout, au lieu de le voir avant tout comme un composant de la vie que la société peut nous aider à compenser au mieux. Si la société arrive à cet état où chaque invidu vieillissant est un peu nostalgique de sa jeunesse fringante mais bon, c'est comme ça, je me concentre sur avoir une belle vie à mon niveau à présent, alors oui, ceux qui choisiront l'euthanasie le feront de manière tout à fait éclairée et pas parce qu'ils ne voient pas d'alternatives. En attendant, je trouve quand même le débat très épineux quand on ne parle pas de douleurs insupportables et incurables.
Donc de mon côté, je trouve qu'on devrait d'abord faire campagne pour améliorer les droits des personnes âgées avant de faire campagne pour le droit à l'euthanasie des personnes âgées. Et là je parle que des personnes âgées car c'est la situation que je connais, mais j'imagine que ça peut s'étendre à d'autres situations de dépendance.