@Iris Chase Gros gros soutien !
Je ne peux qu'imaginer à quel point ça doit être dur (mentalement et physiquement) d'être prof aujourd'hui. Mais je suis aussi ébahie (dans le mauvais sens) par la dégradation qu'a subie ce métier en quelques années seulement. Comment ça se fait ? C'est quand même incroyable, quand je lis des témoignages de profs je suis ultra-choquée de ce que je lis.
C'est à cause des élèves tu penses ? D'une mauvaise éducation globale ? Comment tu l'expliques toi ? (si tu veux bien en parler, évidemment !)
Personnellement, je ne pense pas que ce soit ni un phénomène super récent, ni une "mauvaise éducation globale".
J'ai moins de 30 ans, et je travaille dans le primaire, et j'ai des membres de ma famille qui travaillent/travaillaient dans le secondaire général, et honnêtement, j'ai passé toute mon enfance à entendre les expériences d'épisodes difficiles (parfois drôles avec le recul, parfois pas du tout voire franchement tragique) de ces personnes, certains auraient 40ans d'élèves chiants à te raconter.
Les conditions de travail en général se sont dégradées, oui (surtout au niveau du pouvoir d'achat que permet un salaire de prof (en 3 générations, dans ma famille, on est passés de pouvoir faire vivre une famille nombreuse sur un salaire d'enseignant à galérer en couple sans enfants) ) mais personnellement, je ne pense que les élèves sont responsables de nos conditions de travail, c'est l'Etat qui l'est.
Ce qui a surtout changé, j'ai l'impression, c'est qu'on se retrouve à enseigner dans des classes qui sont parfois très loin de ce qu'on a connu nous sans y être vraiment préparés. Quand je vois mes collègues plus âgés, la plupart sont du coin, leurs enfants sont allés à l'école où ils enseignent, certains enseignent même dans l'école qu'ils ont eux-même fréquenté petit, ils ne sont pas surpris des conditions de vie des élèves, de leurs habitudes, de leurs familles : c'étaient les leurs. Quand je vois mes collègues plus jeunes, le fait est que c'est différent : beaucoup de citadins qui enseignent en campagne, de campagnards qui enseignent en ville, qui ne sont pas de la région, de gens qui ont grandi dans des milieux relativement aisés qui se retrouvent dans des écoles au public précaire... Ce qui n'est pas une critique de ces enseignants, hein, j'en fais moi-même partie, mais jamais, jamais dans notre formation le sujet est ne serait-ce qu'effleuré. Alors que le fait est, cela a été étudié, que les profs, notamment dans le primaire, sont de moins en moins issus du même milieu que leurs élèves. On devrait nous armer pour qu'on sache s'adapter, adapter nos méthodes si nécessaire, avoir les outils pour comprendre la réalité de nos élèves.
Pour beaucoup, on a l'impression que c'est nouveau, parce que ce n'était pas comme ça quand j'étais à l'école. Sauf que j'étais à l'école dans le privé, dans une grande ville, que j'étais bonne élève, au milieu d'autres enfants au mieux aisés au pire de classe moyenne supérieure, qui était globalement bons élèves aussi, souvent même avant d'arriver à l'école. Parce que la culture de l'école était la même qu'à la maison, que nos jeux étaient éducatifs, que nos parents lisaient...
Malheureusement, je vois des petits d'élémentaire, parfois même de maternelle dont on se doute que le destin scolaire sera déjà tout tracé : ils vont se maintenir tant bien que mal en primaire, être complètement déstabilisés par une sixième difficile et décrocher. Et un ado qui ne pige rien (ou au mieux est persuadé que travailler en classe ne lui servivra à rien, parce que de toute façon, il va orienter en bac pro parce qu'il est pas très bon même quand il bosse, et qu'il choisira à peine la filière parce que y'a pas grand chose dans son coin, et qu'il finira au chômage comme son père), ben c'est chiant. Il accapare toute l'attention les rares jours où il décide de faire des efforts, le reste du temps il fait chier parce qu'il s'ennuie ou se sent humilier de ne rien comprendre, ou il arrête de venir alors qu'il censé être obligé de venir...
Même en CM2, parfois, on a des élèves qui sont déjà paumés, qui n'ont aucune envie d'être là et que tu ne sais pas par quel bout rattraper (ni combien de temps ledit rattrapage durera). Et c'est rageant parce que tu ne peux pas y faire grand chose parce que c'est tout ce qu'il y a autour de l'école qui merde aussi : ce sont les gamins qui arrivent en retard tout le temps parce que les parents travaillent en horaire décalé et ne sont pas là pour les réveiller le matin ou parce que le Samu social les a relogé loin la veille au soir, ou qui sont crevés parce qu'ils sont au périscolaire de l'ouverture à la fermeture parce que les parents bossent et qu'ils n'ont pas de moyen de garde ou parce qu'ils dorment dans un logement surpeuplé dans la même chambre que l'oncle qui travaille en 3x8 et le bébé qui fait pas ses nuits, qu'il n'y a personne pour l'aider à comprendre ses leçons parce que les adultes travaillent ou n'en savent pas assez pour les aider, les gamins qui ont fait trois établissements en un an et à qui il manque du coup des morceaux du programme, qui attendent de s'être pris des punitions pour non-signature du cahier de correspondance pendant des mois avant d'admettre que leur mère ne sait pas signer (et tout le monde se sent con de ne pas avoir imaginé une seconde que ça pouvait être le problème), qui n'ont jamais leurs affaires pour X ou Y raison compréhensible mais que ça pénalise quand même, les parents se sentent jugés, sous pression, à tort ou à raison, ça pourrit la relation avec l'école, et ça finit en cercle vicieux.
Je ne dis pas qu'il n'y a pas de mauvais parents, y'en a évidemment, mais la plupart veulent que leur gamin s'en sorte et font ce qu'ils pensent être le mieux avec ce qu'ils ont, dans la société dans laquelle ils y vivent, malheureusement, ce n'est parfois pas à la hauteur des attentes de l'école, et particulièrement du secondaire.
Oh, je suis d'humeur joyeuse, aujourd'hui tiens !