Je suis d'habitude une grande discrète sur les forums, mais aujourd'hui j'ai décidé de faire une exception, parce qu'aujourd'hui, j'ai justement été révoltée par le silence et l'inaction d'adultes, censés être responsables, face à la détresse évidente d'une enfant de 12 ans. Attention ce récit est très long... Mais je pense que j'avais besoin que le monde soit au courant.
Pour vous situer l'histoire, je suis surveillante dans un collège qui n'est ni bien fréquenté, ni mal fréquenté, dans le centre d'une ville moyenne. L'histoire s'est déroulée aujourd'hui, c'est donc tout frais : étant donné que sur le trajet du retour je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce que Madmoizelle en penserait, me voilà immédiatement sur l'ordinateur une fois arrivée !
L'histoire se focalise sur Camille L., 5ème B. Camille est une élève tout ce qu'il y a de plus normale, un peu transparente, à vrai dire, aux yeux des éducateurs. Ce n'est pas une enfant à problèmes, elle n'est ni turbulente, ni bavarde, et nous n'avons jamais à la reprendre sur quoi que ce soit, mis à part ses professeurs qui estiment qu'elle bâcle trop son travail. C'est le genre de filles qui ne semble pas mise à l'écart, mais pas intégrée pour autant. Autrement dit, elle ne parle pas à beaucoup de gens, mais ne mange jamais toute seule non plus. Physiquement, rien de notable non plus : un peu grande pour son âge, maigre comme seule une pré-ado peu l'être, elle a des longs cheveux noirs toujours attachés en chignon et des yeux bleus. Elle est toujours vêtue d'un leggins, d'un sweat trois fois trop grand, les mains toujours retranchées dans les manches. Niveau chaussures, toujours des baskets. Son ton de couleur ? Noir, ou gris. Rien de choquant, donc, ni d'anormal, 50% des filles réservées sont toujours vêtues ainsi à son âge. Elle mets parfois une pointe de mascara, ce qui avec sa grande taille contribue à la faire passer pour un petit peu plus âgée qu'elle ne l'est, mais elle est trahie par son visage encore trop enfantin. Je vous dis ça pour que vous vous fassiez une idée.
Vendredi, Camille était absente. Ce qui lui arrive suffisamment peu souvent pour que nous n'ayions rien fait de particulier, mis à part envoyé le SMS requis aux parents, comme il est demandé lorsque nous n'avions pas été prévenus au préalable de l'absence d'un collégien. Comme dans de nombreux cas, nous n'avons eu aucune réponse des parents.
Hier matin, lundi donc, en la voyant au portail, mon collègue lui a demandé de passer à la vie scolaire à la récré pour justifier son absence. Camille a hoché la tête, et a filé en cours.
A 10h, alors que j'étais à la vie scolaire, Camille arrive, et me dit "Boris m'a dit de venir justifier mon absence d'hier". J'hoche la tête, je lui demande son carnet de correspondance, et elle me réponds alors : "Par contre je n'ai pas fait de mot, encore." Etant donné que nous n'avons jamais rien à lui reprocher, je lui réponds "C'est pas grave alors, mais demain sans faute, tu fais faire remplir un billet d'absence par tes parents." Camille m'assure que ce sera fait et repart.
Ce midi (mardi si vous suivez bien), alors qu'elle fait la queue pour aller à la cantine, je la vois et je lui demande si elle peut passer à la vie scolaire à 15h pour me donner son billet. Docile comme toujours, elle hoche la tête. A 15h, elle revient à la vie scolaire, je lui demande son billet. Elle m'avoue alors qu'elle ne l'a toujours pas fait remplir. Je fronce les sourcils et je lui réponds "Je t'avais demandé de le faire !". Camille essaie aussitôt de se justifier "Oui mais je suis chez mon papa cette semaine et il travaille tard alors j'ai pas pu lui demander..." Comme j'ai l'habitude de ce genre de choses, je commence à me douter que quelque chose cloche. Reconnaître un collégien qui ment ce n'est pas si difficile. Je lui demande donc "Tes parents ne savent pas que tu étais absente, n'est-ce pas ?"
Camille se lance alors dans de grandes explications et tente de se justifier en avançant des mensonges aussi classiques que bancals. J'ai raté le bus, après y'en avait plus parce que y'avait un accident en centre ville, et j'étais malade, en fait j'arrivais plus à parler parce que j'avais mal à la gorge, etc. Bien sur, elle finit par se contredire, et je lui demande d'arrêter de mentir, pourquoi elle a séché les cours. Aussitôt, elle se défends : "Mais non, j'ai pas séché, mes parents le savent !". S'ensuit une discussion avec elle (je vous épargne tous les détails, vous allez prendre une heure à lire mon post sinon). Finalement, Camille avoue qu'elle a séché, que ses parents sont très en colère à cause du SMS, qu'à cause de ça ils lui ont confisqué son téléphone, punie d'aller dormir chez sa cousine samedi soir, et qu'il ne faut pas que je les énerve encore plus en les appelant parce que son père est déjà faché après elle.
Je me radoucie parce que je suis contente qu'elle ait dit la vérité, et je lui demande tout de même pourquoi elle a séché, étant donné que ce n'est pas son genre. Plus par curiosité. Aussitôt, elle me réponds "comme ça, j'avais pas envie d'aller à l'école". Aussitôt, je sais que ça sonne faux (envie ou pas envie d'aller à l'école, on sent les collégiens qui ont encore peur de se rebeller, et Camille en fait partie). Etant donné que j'avais moi même été embêtée par des camarades à l'époque du collège et que je l'avais très mal vécu, je ne veux pas qu'elle vive la même chose, surtout sans qu'aucun adulte ne s'en rende compte, et je lui demande si elle a un problème à l'école. "Non non" m'assure-t-elle. J'insiste pour m'en assurer, personne t'embête, tu t'es pas disputée avec tes copines ? "Non, tout va bien". "Tu promets que t'as peur de personne ?", je m'assure, me sentant un peu inutile et impuissante.
Et là, réaction innatendue, je vois les yeux de Camille se brouiller, son menton trembloter. Je crois au début que je l'ai impressionnée, je me sens mal, mais là, elle éclate en sanglot en me disant qu'elle est désolée. Pour la protéger du regard insistant des autres collégiens présents dans le bureau, je lui propose d'aller se rafraichir le visage. Je sors donc avec elle et je lui demande : "Qu'est-ce qu'il se passe, Camille ?"
Et c'est là qu'elle me raconte tout.
Jeudi, après avoir fini à 15h30, Camille sort du collège, son gros cartable sur le dos, et se dirige vers l'arrêt de bus. Il faut savoir que cet arrêt de bus n'est pas exclusif à la ligne scolaire mise en place par la mairie, qu'il se partage avec des lignes "citadines" que les élèves peuvent également prendre. La ligne scolaire a trois passages : 15h45, 16h45 et 17h45. Camille, qui utilise cette ligne, a donc un quart d'heure à attendre. Elle s'asseoit sur le banc, mets ses écouteurs et écoute de la musique, pendant une ou deux minutes maximum, avant que deux hommes d'une quarantaine d'années environ (ce que j'en ai déduit de sa description, mais pour Camille, ces hommes étaient "vieux") ne viennent attendre à l'arrêt de bus auquel elle était. Au début, elle me dit qu'elle ne faisait pas trop attention, bien qu'ils riaient forts. Cependant, elle se sentit immédiatement mal à l'aise lorsqu'ils choisirent de s'asseoir de part et d'autres d'elle sur le banc de l'arrêt.
Elle me dit qu'elle ne réussit pas à les ignorer, qu'elle était tellement mal à l'aise qu'elle n'arrivait à penser à rien d'autre, surtout qu'elle a commencé à les entendre, malgré la musique, essayer de l'interpeller, d'attirer son attention. Elle a essayé de rester impassible quelques minutes ("moins longtemps qu'une chanson"), puis terrifiée, elle a fini par craquer, s'est levée et est partie s'installer devant dans un coin de l'abribus, pour s'éloigner un peu d'eux.
"J'ai mis la musique au max", me raconte-t-elle, "mais je les entendais quand même me parler. Ils criaient vraiment, et moi je faisais juste tout pour faire comme si je les entendais pas, je sais pas pourquoi mais je me suis dit que si je les regardais dans les yeux je leur 'cédais'."
Moi j'étais horrifiée par ce que j'ai entendu mais je lui ai demandé malgré tout ce qu'ils lui disaient (je précise qu'à ce stade Camille pleurait à gros bouillons), et je suis restée choquée, pourtant pas étrangère au harcèlement de rue. "Eh, t'as quel âge ?" "T'as un copain ?" "Tu t'appelles comment ?" "T'es majeure ?" pour les plus soft. "Tu baises ?" "Tu veux de la grosse queue ?" "T'es une cochonne ça se voit." "Tu veux me sucer ?" "On voit pas tes nichons avec ce sweat, tu devrais le retirer..." "T'as froid ma pépette, tu veux qu'on te réchauffe ?"
Et d'autres horreurs, je ne me souviens pas de tout ce qu'elle a dit, et elle-même ne se souvenait pas non plus de tout ce qu'ils avaient dit. Je lui ai bien sur demandé si il n'y avait personne dans la rue! "Bah si mais ils étaient aussi gênés que moi, sauf que eux ils pouvaient partir et pas moi, alors eux ils tournaient la tête, ils faisaient comme si ils avaient rien vu et ils avançaient vite".
Finalement, au bout d'environ 5 minutes, Camille a craqué et leur a dit "mais laissez-moi !" Ce qui leur a valu de redoubler d'ardeur, en mode "ahhh beh voilà tu sais parler ma mignonne !" ce qui lui a ainsi valu un florilège d'apostrophes supplémentaires. Un bus est arrivé très peu après, et Camille, terrifiée et ne sachant plus quoi faire, a choisi de le prendre pour échapper aux deux hommes, bien que la ligne n'aille pas chez elle. Cependant, lorsqu'elle est montée, le chauffeur lui a demandé un ticket. Bien sur Camille a répondu qu'elle n'en avait pas, que normalement elle prenait le bus scolaire mais qu'elle avait peur des deux hommes et qu'elle voulait s'éloigner d'eux. Cependant, pendant le temps d'hésitation du chauffeur, les deux hommes étaient montés aussi dans le bus...
Le chauffeur (un vieux aussi, aux dires de la gamine), a alors commencé à s'énerver après elle "ah les jeunes, pu*****, nous on subit toujours vos conneries et vos cinémas, et vous vous êtes toujours en train de vous victimiser !" Pour couper court au discours virulent, Camille a sorti l'argent d'urgence qu'elle gardait dans son cartable, a payé sa place, et à profiter que le bus soit plein à craquer pour être le plus loin possible d'eux parce qu'elle avait peur "de les toucher", ce qui prouve que c'est tout de même une enfant lucide et assez... Dégourdie, même si c'est malheureux de déjà avoir ces réflexes de protection à son âge. Malheureux qu'elle doive en avoir quoi.
Bien sur comme elle ne savait pas trop où descendre vu qu'elle n'emprunte jamais cette ligne, elle a vu le bus se vider petit à petit et elle m'a dit "vers le terminus y'avait plus que deux autres monsieurs assis au fond du bus tous les deux, qui prenaient toutes les places du fond, en train de regarder des trucs sur leur téléphone." elle a rajouté "mais les deux vieux me suivaient où que je choisisse de m'asseoir, ils venaient à côté de moi. J'ai fini par prendre un siège une place mais les deux vieux était pas loin de moi."
Le comble de l'horreur (à mes yeux) a été atteints quand elle m'a avoué que l'un d'eux a déboutonné sa braguette et a commencé à se masturber devant elle. Elle hoquetait et elle était à deux doigts de vomir quand elle me parlait de son "truc (elle sait bien sur ce qu'est un pénis, mais je préfère reprendre le vocabulaire qu'elle a utilisé sur le coup) rouge et énorme qu'il faisait que caresser en me murmurant des trucs". Trucs qu'elle n'a pas entendus vu qu'elle a résolument gardé ses écouteurs, mais quoi qu'il en soit, aucune enfant n'a a subir ce genre d'images. Ayant été intimidée par la réaction hostile du chauffeur, elle ne lui a rien dit, même quand les deux hommes ont commencé à lui dire "mmmh ma cochonne tu peux pas t'empêcher de regarder, t'en as envie hein ?" "regarde, tu vas aimer" "allez viens..."
"C'est vrai que j'arrivais pas à m'empêcher", me hoquette-t-elle, "je suis une grosse dégueu, c'était dégueu et moi je regardais... J'avais peur mais je pouvais pas faire semblant qu'il était pas en train de se caresser le truc..."
Finalement le bus est arrivé à son terminus, l'homme s'est rhabillés, ils sont descendus. Profitant de la cohue qui régnait à l'heure de la sortie de l'école primaire du quartier, elle a couru dans la foule pour les semer. Elle me dit "j'ai réussi mais j'étais complètement perdue, j'ai du appeler papa pour qu'il vienne me chercher. Je lui ai dis que je m'étais endormie dans le car, il m'a simplement traitée de tête de linotte en rigolant. Il pensait pas ce que c'était." (Son discours n'était plus très cohérent, j'essayais de la calmer mais c'était à peine si elle respirait correctement.)
"J'ai pas dormi de la nuit, je pensais que à ça et à comment il se touchait et tout et je voulais plus jamais prendre le bus. Alors vendredi matin papa m'a ammenée au bus, moi j'avais que envie de mourir plutôt que retourner là bas au collège alors quand il est parti je suis partie moi aussi, j'ai passé la journée à la médiathèque (qui est près de son arrêt de bus) à regarder des films. J'avais trop peur rien que de penser que je devais prendre le bus j'avais du mal à respirer et les mains qui tremblaient ! Mais quand Papa est venu me chercher le soir il savait déjà que j'étais pas aller en cours et il était tellement en colère que moi j'ai pas réussi à lui raconter. J'ai peur qu'il comprenne pas t'façon, c'est un vieux."
Je ne sais pas comment vous dire à quel point le récit de cette gamine confrontée à une forme aussi infecte de harcèlement (et de pédophilie, on peut le dire) m'a retourné. J'ai dispensé Camille de cours pour l''après midi, j'ai réussi à la convaincre de convoquer ses parents pour lui expliquer la situation avec la CPE (à qui j'ai tout raconté après) demain à midi. J'espère réussir à les convaincre de porter plainte, mais il est évident qu'on ne les retrouvera pas. Etant donné qu'ils n'ont pas touché Camille, on a rien sur eux (et heureusement !!!!!!!).
Voilà, je ne sais même pas par où commencer sur l'horreur que ça m'inspire. Je sais pas si ça valait le coup d'en faire un témoignage à Melissa ou quoi pour Madmoizelle.... Mais je pense que ça a au moins sa place sur un forum de discussion. J'en ai encore la boule au ventre, alors que Camille, c'est pas moi (et que j'ai 10 ans de plus).
Pour vous situer l'histoire, je suis surveillante dans un collège qui n'est ni bien fréquenté, ni mal fréquenté, dans le centre d'une ville moyenne. L'histoire s'est déroulée aujourd'hui, c'est donc tout frais : étant donné que sur le trajet du retour je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce que Madmoizelle en penserait, me voilà immédiatement sur l'ordinateur une fois arrivée !
L'histoire se focalise sur Camille L., 5ème B. Camille est une élève tout ce qu'il y a de plus normale, un peu transparente, à vrai dire, aux yeux des éducateurs. Ce n'est pas une enfant à problèmes, elle n'est ni turbulente, ni bavarde, et nous n'avons jamais à la reprendre sur quoi que ce soit, mis à part ses professeurs qui estiment qu'elle bâcle trop son travail. C'est le genre de filles qui ne semble pas mise à l'écart, mais pas intégrée pour autant. Autrement dit, elle ne parle pas à beaucoup de gens, mais ne mange jamais toute seule non plus. Physiquement, rien de notable non plus : un peu grande pour son âge, maigre comme seule une pré-ado peu l'être, elle a des longs cheveux noirs toujours attachés en chignon et des yeux bleus. Elle est toujours vêtue d'un leggins, d'un sweat trois fois trop grand, les mains toujours retranchées dans les manches. Niveau chaussures, toujours des baskets. Son ton de couleur ? Noir, ou gris. Rien de choquant, donc, ni d'anormal, 50% des filles réservées sont toujours vêtues ainsi à son âge. Elle mets parfois une pointe de mascara, ce qui avec sa grande taille contribue à la faire passer pour un petit peu plus âgée qu'elle ne l'est, mais elle est trahie par son visage encore trop enfantin. Je vous dis ça pour que vous vous fassiez une idée.
Vendredi, Camille était absente. Ce qui lui arrive suffisamment peu souvent pour que nous n'ayions rien fait de particulier, mis à part envoyé le SMS requis aux parents, comme il est demandé lorsque nous n'avions pas été prévenus au préalable de l'absence d'un collégien. Comme dans de nombreux cas, nous n'avons eu aucune réponse des parents.
Hier matin, lundi donc, en la voyant au portail, mon collègue lui a demandé de passer à la vie scolaire à la récré pour justifier son absence. Camille a hoché la tête, et a filé en cours.
A 10h, alors que j'étais à la vie scolaire, Camille arrive, et me dit "Boris m'a dit de venir justifier mon absence d'hier". J'hoche la tête, je lui demande son carnet de correspondance, et elle me réponds alors : "Par contre je n'ai pas fait de mot, encore." Etant donné que nous n'avons jamais rien à lui reprocher, je lui réponds "C'est pas grave alors, mais demain sans faute, tu fais faire remplir un billet d'absence par tes parents." Camille m'assure que ce sera fait et repart.
Ce midi (mardi si vous suivez bien), alors qu'elle fait la queue pour aller à la cantine, je la vois et je lui demande si elle peut passer à la vie scolaire à 15h pour me donner son billet. Docile comme toujours, elle hoche la tête. A 15h, elle revient à la vie scolaire, je lui demande son billet. Elle m'avoue alors qu'elle ne l'a toujours pas fait remplir. Je fronce les sourcils et je lui réponds "Je t'avais demandé de le faire !". Camille essaie aussitôt de se justifier "Oui mais je suis chez mon papa cette semaine et il travaille tard alors j'ai pas pu lui demander..." Comme j'ai l'habitude de ce genre de choses, je commence à me douter que quelque chose cloche. Reconnaître un collégien qui ment ce n'est pas si difficile. Je lui demande donc "Tes parents ne savent pas que tu étais absente, n'est-ce pas ?"
Camille se lance alors dans de grandes explications et tente de se justifier en avançant des mensonges aussi classiques que bancals. J'ai raté le bus, après y'en avait plus parce que y'avait un accident en centre ville, et j'étais malade, en fait j'arrivais plus à parler parce que j'avais mal à la gorge, etc. Bien sur, elle finit par se contredire, et je lui demande d'arrêter de mentir, pourquoi elle a séché les cours. Aussitôt, elle se défends : "Mais non, j'ai pas séché, mes parents le savent !". S'ensuit une discussion avec elle (je vous épargne tous les détails, vous allez prendre une heure à lire mon post sinon). Finalement, Camille avoue qu'elle a séché, que ses parents sont très en colère à cause du SMS, qu'à cause de ça ils lui ont confisqué son téléphone, punie d'aller dormir chez sa cousine samedi soir, et qu'il ne faut pas que je les énerve encore plus en les appelant parce que son père est déjà faché après elle.
Je me radoucie parce que je suis contente qu'elle ait dit la vérité, et je lui demande tout de même pourquoi elle a séché, étant donné que ce n'est pas son genre. Plus par curiosité. Aussitôt, elle me réponds "comme ça, j'avais pas envie d'aller à l'école". Aussitôt, je sais que ça sonne faux (envie ou pas envie d'aller à l'école, on sent les collégiens qui ont encore peur de se rebeller, et Camille en fait partie). Etant donné que j'avais moi même été embêtée par des camarades à l'époque du collège et que je l'avais très mal vécu, je ne veux pas qu'elle vive la même chose, surtout sans qu'aucun adulte ne s'en rende compte, et je lui demande si elle a un problème à l'école. "Non non" m'assure-t-elle. J'insiste pour m'en assurer, personne t'embête, tu t'es pas disputée avec tes copines ? "Non, tout va bien". "Tu promets que t'as peur de personne ?", je m'assure, me sentant un peu inutile et impuissante.
Et là, réaction innatendue, je vois les yeux de Camille se brouiller, son menton trembloter. Je crois au début que je l'ai impressionnée, je me sens mal, mais là, elle éclate en sanglot en me disant qu'elle est désolée. Pour la protéger du regard insistant des autres collégiens présents dans le bureau, je lui propose d'aller se rafraichir le visage. Je sors donc avec elle et je lui demande : "Qu'est-ce qu'il se passe, Camille ?"
Et c'est là qu'elle me raconte tout.
Jeudi, après avoir fini à 15h30, Camille sort du collège, son gros cartable sur le dos, et se dirige vers l'arrêt de bus. Il faut savoir que cet arrêt de bus n'est pas exclusif à la ligne scolaire mise en place par la mairie, qu'il se partage avec des lignes "citadines" que les élèves peuvent également prendre. La ligne scolaire a trois passages : 15h45, 16h45 et 17h45. Camille, qui utilise cette ligne, a donc un quart d'heure à attendre. Elle s'asseoit sur le banc, mets ses écouteurs et écoute de la musique, pendant une ou deux minutes maximum, avant que deux hommes d'une quarantaine d'années environ (ce que j'en ai déduit de sa description, mais pour Camille, ces hommes étaient "vieux") ne viennent attendre à l'arrêt de bus auquel elle était. Au début, elle me dit qu'elle ne faisait pas trop attention, bien qu'ils riaient forts. Cependant, elle se sentit immédiatement mal à l'aise lorsqu'ils choisirent de s'asseoir de part et d'autres d'elle sur le banc de l'arrêt.
Elle me dit qu'elle ne réussit pas à les ignorer, qu'elle était tellement mal à l'aise qu'elle n'arrivait à penser à rien d'autre, surtout qu'elle a commencé à les entendre, malgré la musique, essayer de l'interpeller, d'attirer son attention. Elle a essayé de rester impassible quelques minutes ("moins longtemps qu'une chanson"), puis terrifiée, elle a fini par craquer, s'est levée et est partie s'installer devant dans un coin de l'abribus, pour s'éloigner un peu d'eux.
"J'ai mis la musique au max", me raconte-t-elle, "mais je les entendais quand même me parler. Ils criaient vraiment, et moi je faisais juste tout pour faire comme si je les entendais pas, je sais pas pourquoi mais je me suis dit que si je les regardais dans les yeux je leur 'cédais'."
Moi j'étais horrifiée par ce que j'ai entendu mais je lui ai demandé malgré tout ce qu'ils lui disaient (je précise qu'à ce stade Camille pleurait à gros bouillons), et je suis restée choquée, pourtant pas étrangère au harcèlement de rue. "Eh, t'as quel âge ?" "T'as un copain ?" "Tu t'appelles comment ?" "T'es majeure ?" pour les plus soft. "Tu baises ?" "Tu veux de la grosse queue ?" "T'es une cochonne ça se voit." "Tu veux me sucer ?" "On voit pas tes nichons avec ce sweat, tu devrais le retirer..." "T'as froid ma pépette, tu veux qu'on te réchauffe ?"
Et d'autres horreurs, je ne me souviens pas de tout ce qu'elle a dit, et elle-même ne se souvenait pas non plus de tout ce qu'ils avaient dit. Je lui ai bien sur demandé si il n'y avait personne dans la rue! "Bah si mais ils étaient aussi gênés que moi, sauf que eux ils pouvaient partir et pas moi, alors eux ils tournaient la tête, ils faisaient comme si ils avaient rien vu et ils avançaient vite".
Finalement, au bout d'environ 5 minutes, Camille a craqué et leur a dit "mais laissez-moi !" Ce qui leur a valu de redoubler d'ardeur, en mode "ahhh beh voilà tu sais parler ma mignonne !" ce qui lui a ainsi valu un florilège d'apostrophes supplémentaires. Un bus est arrivé très peu après, et Camille, terrifiée et ne sachant plus quoi faire, a choisi de le prendre pour échapper aux deux hommes, bien que la ligne n'aille pas chez elle. Cependant, lorsqu'elle est montée, le chauffeur lui a demandé un ticket. Bien sur Camille a répondu qu'elle n'en avait pas, que normalement elle prenait le bus scolaire mais qu'elle avait peur des deux hommes et qu'elle voulait s'éloigner d'eux. Cependant, pendant le temps d'hésitation du chauffeur, les deux hommes étaient montés aussi dans le bus...
Le chauffeur (un vieux aussi, aux dires de la gamine), a alors commencé à s'énerver après elle "ah les jeunes, pu*****, nous on subit toujours vos conneries et vos cinémas, et vous vous êtes toujours en train de vous victimiser !" Pour couper court au discours virulent, Camille a sorti l'argent d'urgence qu'elle gardait dans son cartable, a payé sa place, et à profiter que le bus soit plein à craquer pour être le plus loin possible d'eux parce qu'elle avait peur "de les toucher", ce qui prouve que c'est tout de même une enfant lucide et assez... Dégourdie, même si c'est malheureux de déjà avoir ces réflexes de protection à son âge. Malheureux qu'elle doive en avoir quoi.
Bien sur comme elle ne savait pas trop où descendre vu qu'elle n'emprunte jamais cette ligne, elle a vu le bus se vider petit à petit et elle m'a dit "vers le terminus y'avait plus que deux autres monsieurs assis au fond du bus tous les deux, qui prenaient toutes les places du fond, en train de regarder des trucs sur leur téléphone." elle a rajouté "mais les deux vieux me suivaient où que je choisisse de m'asseoir, ils venaient à côté de moi. J'ai fini par prendre un siège une place mais les deux vieux était pas loin de moi."
Le comble de l'horreur (à mes yeux) a été atteints quand elle m'a avoué que l'un d'eux a déboutonné sa braguette et a commencé à se masturber devant elle. Elle hoquetait et elle était à deux doigts de vomir quand elle me parlait de son "truc (elle sait bien sur ce qu'est un pénis, mais je préfère reprendre le vocabulaire qu'elle a utilisé sur le coup) rouge et énorme qu'il faisait que caresser en me murmurant des trucs". Trucs qu'elle n'a pas entendus vu qu'elle a résolument gardé ses écouteurs, mais quoi qu'il en soit, aucune enfant n'a a subir ce genre d'images. Ayant été intimidée par la réaction hostile du chauffeur, elle ne lui a rien dit, même quand les deux hommes ont commencé à lui dire "mmmh ma cochonne tu peux pas t'empêcher de regarder, t'en as envie hein ?" "regarde, tu vas aimer" "allez viens..."
"C'est vrai que j'arrivais pas à m'empêcher", me hoquette-t-elle, "je suis une grosse dégueu, c'était dégueu et moi je regardais... J'avais peur mais je pouvais pas faire semblant qu'il était pas en train de se caresser le truc..."
Finalement le bus est arrivé à son terminus, l'homme s'est rhabillés, ils sont descendus. Profitant de la cohue qui régnait à l'heure de la sortie de l'école primaire du quartier, elle a couru dans la foule pour les semer. Elle me dit "j'ai réussi mais j'étais complètement perdue, j'ai du appeler papa pour qu'il vienne me chercher. Je lui ai dis que je m'étais endormie dans le car, il m'a simplement traitée de tête de linotte en rigolant. Il pensait pas ce que c'était." (Son discours n'était plus très cohérent, j'essayais de la calmer mais c'était à peine si elle respirait correctement.)
"J'ai pas dormi de la nuit, je pensais que à ça et à comment il se touchait et tout et je voulais plus jamais prendre le bus. Alors vendredi matin papa m'a ammenée au bus, moi j'avais que envie de mourir plutôt que retourner là bas au collège alors quand il est parti je suis partie moi aussi, j'ai passé la journée à la médiathèque (qui est près de son arrêt de bus) à regarder des films. J'avais trop peur rien que de penser que je devais prendre le bus j'avais du mal à respirer et les mains qui tremblaient ! Mais quand Papa est venu me chercher le soir il savait déjà que j'étais pas aller en cours et il était tellement en colère que moi j'ai pas réussi à lui raconter. J'ai peur qu'il comprenne pas t'façon, c'est un vieux."
Je ne sais pas comment vous dire à quel point le récit de cette gamine confrontée à une forme aussi infecte de harcèlement (et de pédophilie, on peut le dire) m'a retourné. J'ai dispensé Camille de cours pour l''après midi, j'ai réussi à la convaincre de convoquer ses parents pour lui expliquer la situation avec la CPE (à qui j'ai tout raconté après) demain à midi. J'espère réussir à les convaincre de porter plainte, mais il est évident qu'on ne les retrouvera pas. Etant donné qu'ils n'ont pas touché Camille, on a rien sur eux (et heureusement !!!!!!!).
Voilà, je ne sais même pas par où commencer sur l'horreur que ça m'inspire. Je sais pas si ça valait le coup d'en faire un témoignage à Melissa ou quoi pour Madmoizelle.... Mais je pense que ça a au moins sa place sur un forum de discussion. J'en ai encore la boule au ventre, alors que Camille, c'est pas moi (et que j'ai 10 ans de plus).