Les extraits que vous aimeriez nous faire partager !

18 Septembre 2005
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Grenoble
Tu ne devrais pas, et si tu t'interresse au rapport au père "despotique", tu devrais lire La Lettre au père de Kafka bien que la relation tendue, malsaine ne soit pas mise en évidence de la même façon, aussi subtilement, dans La Lettre au père c'est vraiment une accusation directe, c'est trés trés dur, je ne sais pas si ça te plairait, mais tu devrais le lire si ce n'est déjà fait ! Et si tu as d'autres livres à me conseiller sur ce thème, je les veux bien.
 
A

AnonymousUser

Guest
Elle tente de mesurer la nécessité qui les pousse l'un vers l'autre, cette certitue absolue, incroyable, qu'ils sont faits l'un pour l'autre, qu'ils doivent être ensemble, que c'est impossible autrement. Elle est saisie de vertige mais pas vraiment effrayée. Elle aime la sensation du vertige. Elle n'a jamais hésité à traverser des ponts tendus au-dessus des précipices. Il sera là demain.

Il n' a rien dit à Cécile. Il ne lui a jamais rien caché, pourtant. Au reste, ça n'a pas été bien difficile : il n'a jamais rien eu à lui cacher. Les choses auraient-elles changé ?
Il se refuse à interpréter son propre silcence, sa cachotterie, ce qu'il ne désigne pas comme un mensonge. Après tout, on lui a assez répéte que chaque couple a ses petits secrets.
Ne pas dire toute la vérité, ce n'est pas trahir. Il estime ne pas avoir entamé leur contrat de confiance. D'ailleurs, ils n'ont jamais signé un tel contrat.
S'il était parfaitement honnête, il reconnaîtrait que c'est la première fois qu'il n'est pas tout à fait transparent avec Cécile. Mais comment pourrait-elle, de toute façon, lui reprocher d'avoir envoyé une lettre à Jeanne Dorval, l'écrivain ? Il n'y a là rien de répréhensible, qu'il sache.
Elle, elle ne sent rien, ne soupçonne rien. Elle est une toute jeune femme encore, n'a pas appris les manquements, les écarts des hommes, leur lâcheté. Elle n'aperçoit que le visage lisse de Vincent, sans aspérité, où la lumière du dehors rebondit. Elle croit à la pureté, aux apparences.
Elle se blottit contre lui, réclame un baiser qu'elle obtient aussitôt, pose sa joue contre son torse. Il la serre fort, les yeux perdus dans le vide. Si elle entrevoyait ce regard un instant, elle n'aurait pas peur. Elle aurait tort.

Philippe Besson, Les amants.
 
30 Décembre 2005
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Besançon
"Le client suivant était un vieux, d'au moins quarante ans; à cet âge, je ne croyais pas qu'on s'occupait toujours d'amour.
- Voilà. Ma femme ne supporte plus mes je t'aime. "Depuis vingt ans, tu pourrais varier; invente autre chose; me dit-elle, ou je m'en vais."
- Facile, vous pourriez lui dire : "J'ai la puce à l'oreille."
- Pour qu'elle me croie malpropre?
- "Je suis coiffé de toi."
- Ce qui veut dire?
- L'obsession que j'ai de toi s'est enfoncée sur ma tête comme un chapeau trop grand. Je suis coiffé de toi. Je ne vois plus que toi...
- Je vais essayer. Si ça ne marche pas, je vous le rapporte."

La grammaire est une chanson douce, Erik Orsenna.

J'étais littéralement pliée de rire en lisant ça. :P
 
4 Juillet 2006
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Nantes. Enfin dans l'coin.
A moi, à moi ! ^^

J'apporte en offrande la dernière phrase (parce que je pouvais pas recopier tout le bouquin et qu'il fallait que je choisisse une phrase qui tienne sur un post-it pour pouvoir la trainer partout où je vais) de La Folie du roi Marc de Clara Dupont-Monod. L'histoire de Tristan et Iseult du point de vue du roi Marc, qui est à mon humble avis un personnage mille fois plus attirant que cet abruti de Tristan. Il faut savoir que Marc est vraiment amoureux d'Iseult :


J'aime savoir que je n'aurai plus jamais mal, savoir que je ne sais plus rien et qu'il est temps de me taire, et l'on saura, on pourra écrire et dire alors qu'à défaut d'amour, je connais le bruit de sa fuite, ce bruit que l'on s'épuise à vouloir oublier, et qu'à défaut de roi ou d'homme, de pantin ou de maître, de mari ou d'amant, ma fatigue est celle d'un fou.
 
16 Septembre 2005
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Paris
J'ai corné deux, trois pages pendant les vacances :d

Dans la préface de Six personnages... de Pirandello :

Si le Père et la Belle-fille reprenaient cent mille fois de suite leur scène, toujours, à l'endroit fixé, à l'instant où la vie de l'oeuvre d'art doit être exprimée par le cri qu'elle pousse, ce cri retentirait toujours : inchangé et inchangeable dans sa forme, non comme une répétition machinale, non comme une redite imposée par des nécessités extérieures, mais bien, chaque fois, vivant et comme neuf, né soudain ainsi et pour toujours : embaumé vif dans sa formé imputrescible. De même, sitôt le livre ouvert, nous trouverons toujours Francesca, vivante, qui confesse à Dante son doux péché ; et si cent mille fois de suite nous relisons ce passage, cent mille fois de suite Francesca redira les mêmes mots, ne les répétant jamais mécaniquement, mais les disant chaque fois pour la première fois, avec une passion si vive et si soudaine que, chaque fois, Dante en sera bouleversé. Tout ce qui vit, du fait qu'il vit, a une forme et par cela même doit mourir : sauf l'oeuvre d'art qui, précisément, vit à jamais, car elle est forme.

Enfance, Gorki :

L'arc-en-ciel vivant et frémissant des sentiments qu'on appelle amour s'éteignait dans mon âme. De plus en plus souvent, les feux bleus de la colère éclataient en moi et m'étouffaient ; dans mon coeur, un lourd ressentiment, la conscience de ma solitude dans ce monde absurde, gris et sans vie, couvaient comme un feu sous la cendre.

Et même un de Proust (Le temps retrouvé)

Tout au plus notais-je accessoirement que la différence qu'il y a entre chacune des impressions réelles - différences qui expliquent qu'une peinture uniforme de la vie ne puisse être ressemblante - tenait probablement à cette cause que la moindre parole que nous avons dite à une époque de notre vie, le geste le plus insignifiant que nous avons fait était entouré, portait sur lui le reflet de choses qui logiquement ne tenaient pas à lui, en ont été séparées par l'intelligence qui n'avait rien à faire d'elles pour les besoins du raisonnement, mais au milieu desquelles - ici reflet rose du soir sur le mur fleuri d'un restaurant champêtre, sensation de faim, désir des femmes, plaisir du luxe ; là volutes bleues de la mer matinale enveloppant des phrases musicales qui en émergent partiellement comme les épaules des ondines - le geste, l'acte le plus simple reste enfermé comme dans mille vases clos dont chacun serait rempli de choses d'une couleur, d'une odeur, d'une température absolument différentes ; sans compter que ces vases, disposés sur toute la hauteur de nos années pendant lesquelles nous n'avons cessé de changer, fût-ce seulement de rêve et de pensée, sont situés à des altitudes bien diverses, et nous donnent la sensation d'atmosphère singulièrement variées. Il est vrai que ces changements, nous les avons accomplis insensiblement ; mais entre le souvenir qui nous revient brusquement et notre état actuel, de même qu'entre deux souvenirs d'années, de lieux, d'heures différentes, la distance est telle que cela suffirait, en dehors même d'une originalité spécifique, à les rendre incomparables les uns aux autres. Oui, si le souvenir, grâce à l'oubli, n'a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente, s'il est resté à sa place, à sa date, s'il a gardé ses distances, son isolement dans le creux d'une vallée ou à la pointe d'un sommet, il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c'est un air qu'on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le Paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s'il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus.

J'en ai noté pas mal du Métier de vivre de Pavese aussi, mais un peu trop pour choisir.
 

Ice

2 Octobre 2005
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paris
J'ai corné pas mal du Portrait de Dorian Gray mais je ne pourrais pas tout recopier, j'ai des passages de Belle du Seigneur aussi, et là juste :

Sartre - qui pourtant épouvre la même répugnance que moi pour tous les coquillages crus - s'emblait s'accomoder de toutes les nourritures qu'on lui offrait : il souriait et riait d'un air très détendu.
Le repas a duré trois heures. Nous nous sommes retrouvés à l'hôtel, épuisés d'avoir absorbé tant d'aliments bizarres en écoutant et en débitant des niaiseries. Nous avons fait monter une bouteille de whisky japonais qui était très bon. Sartre n'a pas touché à son verre ; soudain il a pâli ; il a tâté son pouls qui battait à 120 : deux fois plus vite que d'habitude. Que lui arrivait-il ? Jamais il ne s'était senti aussi mal. C'était la catastrophe car il devait faire une conférence le lendemain. Brusquement, il s'est précipité dans la salle de bains.
N'ayant paradoxalement jamais de sa vie eu la nausée, Sartre n'en avait pas reconnu les symptômes.
Simone de Beauvoir, Tout compte fait.
 
16 Septembre 2005
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Paris
REGARDEZ MOI CA :

Cela, dit Scriver en regardant le bouton doré flotter dans le verre, est non seulement lamentable mais tragique. C'est la tragédie de l'homme d'aujourd'hui. Il a cessé d'avoir le courage d'avoir peur. C'est malheureux car, de ce fait, il est peu à peu obligé de ne plus penser. En effet, celui qui n'a pas le courage d'avoir peur doit logiquement abandonner les activités qui l'inquiètent et qui pourraient par une porte dérobée le faire déboucher sur la peur. N'est-ce pas pour cette raison que l'anti-intellectualisme devient si facilement populaire ? N'est-ce pas pour cette raison que toutes les mystiques imaginables du sang et du sexe sont accueillies avec reconnaissance par tous ceux qui, par lâcheté, veulent réduire tous les problèmes à des questions de tripes et de glandes ?
Permettez-moi de vous interrompre, dit le poète en se levant. Il posa son verre sur un des appuis de la fenêtre et commença à arpenter le tapis élimé à pas de Sioux. Il portait son front comme un petit miroir d'ivoire et le crépuscule qui descendait s'y reflétait. Ai-je mal compris mon rôle ? dit-il finalement. J'ai cru que la mission du poète était de sauver les autres de la peur, de leur montrer le peu de nécessité d'avoir peur. L'harmonie ne doit-elle pas être l'idéal de chaque homme ? Toi qui te dis socialiste, ne devrais-tu pas chercher un système où chacun serait assuré selon ses besoins d'un minimum d'harmonie ?
C'est vrai, dit Scriver, c'est tout à fait vrai que je suis socialiste. On dit un peu partout que l'équilibre psychique, c'est-à-dire l'absence de peur, devrait être inscrit à l'ordre du jour des justices sociales que l'on exige. Beaucoup considèrent en effet que l'harmonie de l'âme est un bien qu'il faut rechercher, que c'est peut-être même la seule chose digne d'être recherchée. Pas moi. Je veux la justice sociale, c'est-à-dire un système où on a cessé de faire commerce d'esclaves, où il soit considéré comme contraire à la nature que les gens aient besoin de se sentir reconnaissants de leur droit de vivre envers un employeur, une banque ou une loterie, un système où le droit de vivre serait indiscutable et où on pourrait fournir des terrains de tir et des fusils à bouchons à tous ces fanatiques de la guerre qui forment les racines de la réaction. En revanche, je n'exige aucune place pour l'harmonie dans ce système. Le bonheur tranquille, comme on le sait, a fâcheusement tendance à dégénérer en rots et en abrutissement. Dans un monde plein de gens harmonieux qui rotent, le déchirement et la possibilité d'avoir peur sont peut-être ce qu'il y a de plus nécessaire. C'est pour cette raison que je veux abattre tous les grillages de poulailler dont les gens ont entouré leur peur, ouvrir tout grand la fosse aux serpents et répandre du verre pilé dans la baignoire de ceux qui prétendent avoir cherché et trouvé le bonheur, car il est inhumain de chercher l'harmonie dans un monde où règne la solitude. En tant qu'écrivain, je considère que je n'ai pas à construire des brise-lames. Je considère au contraire qu'il est de mon devoir de briser les barrages autant que je peux. Seul celui qui connaît sa peur est conscient de sa valeur, et il n'a pas besoin de fermer les yeux en passant devant un marais ou un tennis.

!!!
Sitg Dagerman, Le serpent
 

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