Ça me saoule, ce soir j'ai essayé de commencer à raconter à ma famille ce qui m'est arrivé pendant l'année où je n'étais pas là, et personne ne m'a écouté, ils ont chacun commencé avec leurs histoires de collège, lycée, boulot sans chercher à accorder la moindre importance à ce que j'avais à dire.
Personne n'a l'air de s'intéresser à pourquoi je suis partie, ni ce que ça m'a fait.
J'ai l'impression de n'être personne ici, pour eux je ne suis qu'une présence, des fois je parle mais soit on ne m'écoute pas soit on me dit de me taire.
C'est comme si j'étais le boulet de la famille, la gamine qui veut participer à la conversation des grands alors qu'elle ne sait rien à rien. Et pourtant c'est moi l'ainée, aha.
Ils ne me prennent pas au sérieux, personne ne cherche à en savoir plus. Dès que j'essaie ne serait-ce que d'aborder les trucs graves que j'ai vu et qui me sont arrivés, les trucs que j'ai fait, ils rient, ils disent que j'exagère. Ma mère ne sait pas 80% des choses que j'ai vues, faites, dites. Elle ne sait pas qui je suis. J'ai bien essayé de lui dire ce qu'Alexis m'avais fait, mais non, ça ne lui parait pas grave, elle en parle à table, aux invités. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie à être refilée de mains en mains, comme un sac, et maintenant que je suis adulte ils attendent que je dégage. Ma mère n'est jamais heureuse dans le présent. Elle rêve de ses futurs petits enfants, elle cherche à se rapprocher de ses cousins éloignés qui ne donnent pas de nouvelles, mais nous, ses gosses, on compte comme animaux domestiques.
Tous d'ailleurs, ils me prennent pour... je sais pas, une faiblarde, une fille sans personnalité, sans féminité, sans culture.
Ma chambre n'est pas à moi, ils entrent et sortent comme ils veulent, je n'ai pas de chez moi.
Je ne possède rien, même pas le respect. Je ne possède même pas mes propres souvenirs, puisque ma mère peut les déformer et les afficher aux yeux de tous, comme si étaler mon âme était la chose la plus anodine qui soit. Je ne suis qu'un kleenex pour elle. Elle joue les femmes fortes, mais dès qu'elle n'a plus de mec avec qui se leaguer, je dois la ramasser à la petite cuillère.
Il faut absolument que j'arrête de parler. De me révéler. Si je commence à distribuer des petites portions de moi, je vais finir par ne plus exister du tout, car je n'aurais rien.
Mes pensées sont mes seules possessions, si je les partage, si je les donne, je n'ai plus rien, et si je n'ai plus rien alors je ne suis plus rien.