La salle de bain est un lieu froid, toujours : froid et humide, sale. Elle est le réceptacle de toutes les douleurs, toutes ces souffrances petites ou grandes qu'on peut dissimuler dans le salon, feindre de ne pas connaître dans la chambre, ignorer dans la cuisine, oublier dans le couloir. Tout en elle révèle nos faiblesses et les petites trahisons de notre propre corps se font plus aiguës dans cet espace.
Le froid du carrelage commence le premier, il remonte dans les pieds endoloris. La plante du pied racle l'angle d'un carreau, la sécheresse du talon est rendue plus réelle par le joint rugueux, les couleurs fades de ce glacial revêtement enlaidi le pied, rendent la peau flasque et l'ongle douteux. Le carrelage est le miroir des oreilles : lorsque ce dernier reflète et amplifie nos défauts physiques, vous pouvez être sûr que le sol et les murs vous renverront le moindre son incongrus que vous proférerez dans toute sa réalité pathétique. Chaque petit soupir vous fait sentir idiote, car rien ici ne viendra étouffer, atténuer, filtrer la réalité tangible de votre timbre cassé. Le miroir, comme dit plus avant, rempli le même rôle : celui du traître. Car le miroir n'est pas votre ami, il est l’ennemi de tout le monde en tout temps, et depuis son invention chaque personne qui a eu le loisir de s'y mirer à aussi eu une bonne raison de le craindre.
Il vous renvoie sans complaisance aucune à ce corps que vous avez tant de mal à aimer. Pire, il vous montre que vous avez toutes les raisons de ne pas l'aimer. Fait amusant, c'est celui de votre salle de bain qui sera toujours le plus dur à votre encontre : ceux des magasins vous renvoient l'image de ce que vous voudriez. L’éclairage jouant le jeu perfide de vous rendre belle, mais une fois rentrer chez vous, la chute sera rude. Dans cette psyché maudite, vous verrez les ravages du temps , les bourrelets, les doubles mentons, le point de beauté détesté, les pommettes trop saillantes, et mille et une autres horreurs. On dit que les gens qui ont honte d'eux refuse de croiser leur regard dans le miroir, parfois j'en ai peur aussi. Parfois dans vos yeux, vous pouvez percevoir la malveillance envers votre propre enveloppe. Mais le pire, c'est que cette malveillance n'est pas née de la surface réfléchissante, elle est née de vous.
Démaquillage, déshabillage, décoiffage, vous voilà dépossédé de vous-même. Tombez, masques du quotidien, voilà la vérité que vous ne pouvez que peu dissimuler dans votre nudité : vous. Plus de nœuds sophistiqués dans votre chevelure, plus de peinture sur la toile votre peau, plus d’étoffes pour exprimer ce que vous êtes au fond de vous : votre corps vous fait face. Et ce corps si moche, si ça, trop truc, tellement machin, malgré tous les reproches que vous pouvez lui faire, est votre enveloppe personnelle, à vous. Il est indépendant de ce que vous êtes à l’intérieur, malgré les modifications que vous lui apporterez, il ne sera sans doute jamais conforme à vos rêves. Sous le jet d'eau chaude ou froide, cette chaire est purifiée, lavée. La douche et le bain sont des rituels, pour certains offices quotidiens de souffrances, pour d'un régulier plaisir. Nous avions déjà affronté le sons et la vue, voici le toucher. Toucher son corps, cette masse si haïe, cette chaire que le miroir et le carrelage vous ont révélée si triviaux et vains. Sentir de ses mains les parties dont nous avons horreurs, les endroits tabous, cette peau qui ressemble si souvent à une prison. Comment nier cette présence si tangible que nous sommes forcés de palper ?
La salle de bain reste une pièce froide et humide, toute en angles et en dureté. Un lieu cruel et sans pitié aucune, et la fréquenter peut parfois rendre fou. Mais quand nous sortons de l'eau, propres et nets, les cheveux détrempés, le corps nu, il n'y a rien de plus salvateur. La salle de bain est une épreuve, mais qui nous rend heureux quand nous en sortons enfin débarrassés de nos tracas de la journée, de notre sueur et de notre remord. Quand vous vous laissez sécher au soleil dans une pièce plus chaleureuse, vous ressentez tout de suite plus de tendresse pour ce que vous êtes physiquement.
La salle de bain est un rituel, c'est à vous de le rendre sain malgré tous ce que l'on peut détester en elle, car ce que nous détestons dans la salle de bain n'est rien d'autre que ce que nous n'aimons pas en nous, révélés enfin à nos yeux, presque de force, malgré nous, pour que nous apprenions à l'accepter.