Il y a quelques jours j'ai surpris une conversations de quinquagénaires qui se targuaient d'avoir de grandes descendances et qui ont conclu en disant: "Ne pas avoir d'enfant est égoïste". On notera au passage la confusion entre "avoir" et vouloir". Je me suis permis d'intervenir pour y opposer quelques arguments et on m'a répondu qu'avoir des enfants est synonyme de partage. La conversation à malheureusement dû s’arrêter là, mais je la trouve intéressante car elle interroge les origines du désir et du non-désir d'enfant.
Personnellement, je suis convaincue que ce désir ou cette absence de désir ne peut s'expliquer par des arguments factuels. Pour faire une comparaison simple: on ne devient pas femme parce-qu'on aime porter des robes, tout comme on ne devient pas child-free parce-qu’on se soucie de l'état de la planète ou comme on ne devient pas pro-child parce-qu’on a envie de partager quelque-chose. Les choses sont plus complexes que ça et ne peuvent s'expliquer par des arguments raisonnés. On est, on se sent.
Pour autant je trouve tout de même intéressant de s'interroger à titre personnel sur les origines de cette sensation, ne serait-ce que pour s'assurer de sa justesse, du fait que nous ne sommes pas victimes des injonctions sociétales et que nous n'allons pas pâtir de ses conséquences.
Mon désir ou mon absence de désir est-il réel ou influencé par une pression? (qu'il se soit construit en adéquation ou en opposition avec celle-ci) Je crois que c'est toi
@Lilliy qui avait lancé le sujet ici, et j'ai vu que la question était également abordée sous l'article
Pourquoi ne pas vouloir d'enfants. "Au jeu du désir, les dés sont pipés et les cartes truquées" disait Dolto.
Dans son livre
Épanouie avec ou sans enfant, (passionnant - un bémol tout de même, il s'adresse exclusivement aux femmes et se limite à la culture occidentale) Isabelle Tilmant (psychothérapeute clinicienne) tente de lister les origines possibles du désir d'enfant. Elle parle de différentes strates: "le désir comporte toujours plusieurs niveaux qui s'enchevêtrent, parfois dans un tel assemblage que cela en devient déconcertant. On y retrouve l'aspect pulsionnel, mais également l'aspect social qui en structure la concrétisation" et revient sur le fait que le désir d'enfant est une notion récente (avant l'arrivée de la contraception, la préoccupation était de limiter les naissances). L'usage de la contraception oblige la plupart des couples à prendre une décision. "A partir de là prend place l'aspect souterrain du désir d'enfant. Sa face visible en est la question "est-ce le bon moment?" [...] La femme, plus ou moins consciemment est confrontée à cette interrogation: "pourquoi est-ce que je désir un enfant?"".
Eléments de réponse:
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L'inconscient collectif visant à la reproduction de l'espèce. "Il existe probablement une sorte d'instinct biologique logé dans un inconscient collectif visant à la reproduction de l'espèce". Cela expliquerait le fort taux de natalité rencontré de tous temps chez les peuples en guerre.
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Les messages éducationnels qui se transforment en injonction et s'inscrivent consciemment ou non dans un programme à réaliser: "toi aussi quand tu seras grand.e tu auras un bébé."
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Le désir d'appartenance:
- à la société: "Devenir parents, c'est aussi faire comme ceux qui nous ont précédés, c'est respecter des idéaux familiaux, culturels, sociaux, voir même religieux". Brigitte Dohmen dans Le désir d'enfant. Perpétuer la société serait aussi une manière de combattre la peur collective de mourir, d’où les scènes d'allégresse à l'annonce d'une grossesse ou d'une naissance.
- à sa famille: être considéré.e par ses parents, grands-parents, frères et sœurs ayant des enfants comme faisant partir des leurs. Dans certaines familles, le statut de femme n'existe pas, seul le statut de mère permet d'être vue comme une adulte aux yeux des autres.
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Le désir de toute puissance: le rôle parental permettrait d'obtenir un pouvoir et/ou une identité.
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Le désir narcissique: obtenir la fierté de se perpétuer à travers son enfant et/ou l'enfant comme outil de réparation. On parle "d'effet-miroir".
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Le désir fusionnel: motif conscient ou inconscient prépondérant - le désir d'enfant sous-tends le désir d'être aimé.e inconditionnellement.
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Le désir de donner de l'amour: si recevoir est agréable, donner est gratifiant. Il peut s'agir aussi d'un moyen de cicatriser un sentiment d'abandon.
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Le désir de continuer sa propre enfance: on s'imagine parent à travers notre vécu, notamment à travers le plaisir pris étant enfant (c'est ce qui s'exprime à travers le plaisir ressenti par les (futurs) parents lorsqu'ils choisissent le papier peint ou les jouets des (futurs) rejetons.
Elle évoque également les peurs pouvant accompagner le désir ou pouvant être à l’origine d'un non-désir, et il y a également des chapitres sur les child-less, les child-free, la difficulté d'être mère et la fécondité psychique, mais mon message est déjà bien trop long.
La suite peut-être au prochaine épisode.