J'avais commencé un bilan de l'année mais j'ai tout perdu
. Je reprends du début… et je crois que je vais le faire en plusieurs posts parce que ça va être long!
C'est pas ultra joyeux donc je recommande le visionnage de
vidéos de chatons ou de
hashtag rigolo en lieu et place de cette synthèse en cas de petit moral, ou à défaut pour s'en remettre après
.
Préambule, je n'ai pas d'autre légitimité que celle de citoyenne lambda qui lit l'info, et je ne suis pas militante, pas encartée et pas convaincue par aucun parti
. Toutefois j'ai une sensibilité de gauche, qui me conduit à analyser les choix politiques de ce quinquennat et leurs conséquences présumées en fonction. Enfin, je tiens à souligner que beaucoup de textes passés pendant cette première année de législature s'inscrivent dans une continuité par rapport aux gouvernements précédents dans beaucoup de cas (loi travail etc.), ils passent simplement plus rapidement (j'y reviendrai) et vont plus loin dans leur application.
Ce bilan est forcément partiel et partial même si je tente de couvrir un spectre large de mesures du quinquennat et de sourcer ou renvoyer vers des posts avec les sources. N'hésitez donc pas à compléter et discuter.
Je commence ici par les points que je trouve les plus graves et préoccupants pour la démocratie.
Liberté versus anti-terrorisme
Malgré les avertissements de multiples instances françaises ainsi que des experts de l'ONU sur le danger de la loi-antiterroriste, qui telle qu'elle est écrite, ne permet pas de respecter les engagements de la France au regard des Droits de l'Homme, le texte est passé à l'automne dernier.
Il donne énormément de pouvoir à la police et à l'exécutif sans accord préalable de la justice, entre autres fouilles, perquisitions, mise sur écoute, saisie d'affaires personnelles, interdiction de rassemblement, assignation à la commune, etc, sur simples soupçons. J'en parlais entre autres
sur ce post.
En plus d'inquiéter le Défenseur des droits de l'homme, la commission française consultative des droits de l'homme, l'ONU, les dérives du texte ont aussi été soulevées par des observateurs internationaux (
article en anglais du Guardian).
Un garde-fou: une partie des mesures autorisées doit être ré-évaluée avant la fin du quinquennat (des experts ont dit que ce texte permet un Etat ultra-autoritaire agissant en toute légalité… ce qui fait encore plus peur pour 2022).
Liberté de la presse
La France n'est déjà pas spécialement bon élève dans ce domaine à cause de la
concentration des détenteurs des journaux (
voir rapport RSF)
Deux lois qui ont été source d'inquiétude de la part des journalistes:
- Celle dite du "secret des affaires". Ayant pour but de protéger les entreprises de l'espionnage industriel, c'est la manière dont elle a été rédigée qui a porté au débat. Notamment car elle mettrait à risque les lanceurs d'alerte et interdirait la publication dans les journaux dans certains cas (l'affaire du Médiator par exemple serait tombée sous son application).
- En navette en ce moment entre l'AN et le Sénat, la loi sur la manipulation de l'information dite des "fake news". L'idée est d'avoir des outils à disposition pour plus de transparence de l'information et empêcher notamment la désinformation lors de périodes électorales par exemple - légitime. Sauf que les termes du projet de loi sont flous et pourraient mener à des dérives, ce qui amène RSF a faire des contre-propositions. A surveiller donc.
Violences policières et état de droit
D'après la police des polices (IGPN),
15 personnes sont mortes suite à des interventions policières de juillet 2017 à mai 2018;
35 personnes au total en 2017, ce qui est le nombre le plus élevé de morts par an en 40 ans d'après une base de données de Basta (un effet Collomb semblable à l'effet Pasqua). Les responsables ne sont pas inculpés (comme pour Rémi Fraisse, Adama Traoré, etc).
Pour celles et ceux qui pratiquent les manifs, vous avez pu remarquer un changement dans les manifestations ces dernières années (déjà sous Hollande et Sarkozy), avec un recours accru au gaz lacrymogènes, l'introduction du Taser et des grenades de désencerclement, blocages de rues entraînant des mouvements de panique. Black blocks ou non, ce qui est sûr c'est que le comportement vis-à-vis du manifestant lambda s'est lui sacrément durci, ce qui a d'ailleurs entraîné nombre de blessures (coma, yeux ou mains perdus,…). Des observateurs analysent un changement du comportement policier qui a glissé de l'objectif de repousser le groupe vers celui de blesser l'individu (
interview sur Les Inrocks). Amnesty international demande d'ailleurs
le retrait de ces grenades.
Un mot sur l'Affaire Benalla. On a donc un conseiller/garde du corps extrêmement proche de Macron, avec un statut privé et très flou, qui revêt une tenue de CRS et va frapper des manifestants. Dès le lendemain, sa hiérarchie est au courant et ne met en place qu'une minime sanction de façade. Pire encore, ce proche du président
avait apparemment un pouvoir sur la police [dans le Monde], au mépris de toutes les lois :
« On nous évoque la possibilité que des civils aient travaillé aux côtés, voire carrément dirigé la troupe d’élite chargée de la protection du [président de la République]. Si c’était avéré, ce serait une violation de l’Etat de droit. Nous allons
enquêter là-dessus sans délai. »
Manière de gouverner : ordonnances, 49.3, 44.3, tensions avec le Sénat
J'ai évoqué le sujet à de multiples reprises au cours de l'année : la volonté affichée et effective du gouvernement de passer les projets de loi vite et en force au besoin : ordonnances (qui consistent à faire pré-voter l'AN qui délègue l'écriture au gouvernement), 49.3, 44.3 ont contribué à appauvrir voire à confisquer le débat démocratique. On peut y rajouter la volonté de
réduire la possibilité de déposer des amendements par les groupes parlementaires qui ne sont pas dans la majorité. Les sénateurs se sont également inquiétés de l'ingérence du gouvernement en dénonçant une
mise sous tutelle de l'Assemblée et les
blocages de votes via le 44.3.
En ce moment les réformes institutionnelles prévues par le gouvernement sont discutées à l'Assemblée; pas de changement majeur de prévu pour l'instant mais le texte sera à suivre.
En conclusion de cette première partie, il y a matière à s'inquiéter quand on observe ces glissements sur la manière dont le gouvernement exerce son pouvoir que ce soit sur le processus législatif, sur la modification de la constitution pour asseoir un contrôle et une surveillance des citoyens, et sur le contrôle policier subséquent.
Il y a encore, heureusement, des gardes fous, des journalistes, des instances comme le défenseur des droits de l'homme, des ONG qui alertent, mais je pense qu'il est de notre devoir de citoyen.nes d'être plus que jamais vigilants sur ces sujets.
Pour pousser la réflexion sur l'autoritarisme qu'a révélé le pouvoir lors de cette première année d'exercice, je vous invite à lire
cet article du New-York Times (en anglais) qui illustre bien que centrisme ne veut pas dire modération, et que les centrismes modernes peuvent être aussi hostiles (voire davantage) au processus démocratique que l'extrême droite…
A suivre dans ce bilan : le budget de l'état, les réformes du code du travail, de l'éducation, de la santé, les droits des femmes, l'environnement, etc...