C'est la rentrée! Pas encore de l'Assemblée nationale, mais du gouvernement.
Comme prévu, les ordonnances de la loi travail ont été présentées jeudi. Les syndicats peuvent donner leur avis, mais très vraisemblablement le texte passera en l'état le 22 septembre. On y découvre de nouvelles mesures en plus des grands axes qui avaient été présentés aux députés.
Le dossier du gouvernement présentant les 36 mesures est ici.
Je m'appuie entre autres sur cet article de Mediapart pour l'analyse détaillée des mesures, les dossiers du Monde sur le sujet n'étant pas en accès libre.
L'objectif est d'après Muriel Pénicaud de « Changer l’état d’esprit du code du travail », afin d’assurer plus de « liberté », de « sécurité » et de « capacité d’initiative » aux entreprises. L'idée martelée par le gouvernement est que le code du travail actuel constitue un frein à l'embauche. Pourtant, une récente étude de l'INSEE montre que les entreprises pour lesquelles les coûts et risques à l'embauche sont effectivement une barrière sont minoritaires (en comparaison avec la difficulté de recuter du personnel compétent ou la situation économique par exemple).
Pour résumer les points principaux et les nouveautés "bonus" :
- Rendre plus difficiles l'accès aux prud'hommes et diminuer leur marge d'action. Le barème obligatoire a été fixé, à la fois en plafond haut et en plafond bas, en cas de licenciement illégal/abusif. Le plafond bas diminue (3 mois d'indemnités de salaire minimum à partir de 2 ans d'ancienneté, au lieu de 6 avant ; pour les petites entreprises il est même fixé à un demi mois de salaire). Le plafond haut est introduit, et il est bas (le maximum ne dépasse pas 20 mois de salaire à partir de 29 ans d'ancienneté). Cette mesure va surtout toucher les salariés les plus âgés (les mêmes qui auront du mal à retrouver un travail s'ils se font injustement licencier). De plus, le délai de saisie des prud'hommes (donc le temps pour se décider à agir et être renseigné) est diminué à un an. Ce délai est passé de 30 ans jusqu'en 2008, à 5 ans jusqu'en 2013, puis 2 ans. Conséquence directe : le chiffre de recours aux prud'hommes a baissé jusqu'à 45%.
- Les entreprises peuvent négocier à la baisse primes et rémunérations
Une entreprise pourra négocier avec ses représentants syndicaux une baisse ou une disparition de toutes les primes (sauf celles concernant les travaux dangereux), même si elles sont prévues dans la convention collective de la branche professionnelle dont l’entreprise dépend. C'est ce qu'on appelle l'inversion de la hiérarchie des normes : une entreprise peut décider de ne plus suivre les accords de son domaine. Exemple : vous bossez dans le BTP, le secteur bancaire ou autre, et les accords vous garantissent un 13e mois. L'entreprise peut décider de le supprimer si elle arrive à avoir l'accord de 50% des délégués syndicaux (vous avez donc intérêt à en avoir un bon et qui ne se laisse pas facilement intimider/acheter...). ça marche aussi avec les primes d’ancienneté, chèques-vacances, indemnités de départ à la retraite ou de déplacement...
- la fin du CDD unique
Chaque branche professionnelle pourra définir, dans le cadre de négociations entre syndicats et patrons, la façon dont elle entend réguler l’emploi des contrats courts, notamment sur leur durée, leur renouvellement ou leur nombre total pour un même salarié. Il y aura donc possibilité d'avoir jusqu'à 200 types de contrat court différents (risque d'inégalités croissantes entre salariés). Autre point particulier : le contrat de chantier. Celui ci a peut être son intérêt pour le BTP par exemple, mais il présente des risques de précarisation. D'ailleurs les employeurs n'auront plus à verser de prime de précarité en fin de ses contrats (ce qui était le cas du CDD).
- une plus grande facilité de licenciements
D'après Édouard Philippe. « Les entreprises doivent pouvoir organiser une gestion prévisionnelle des emplois » et « il faut pouvoir agir vite et en toute sécurité ».
Les ordonnances créent un nouveau type de plan de départ, "la rupture conventionnelle collective". Soit un plan de départs volontaires facilités en masse en cas de réorganisation de l'entreprise pour n'importe quel motif (pas seulement économique). Pourtant, il existe déjà de nombreux abus dans le cadre des ruptures à l'amiable individuelles, et cela pourrait les étendre (source, rapport du Centre d'Etudes à l'emploi qui montre que nombre de ces ruptures se font au détriment des salariés,mal informés de leurs droits).
- la santé économique d'une multinationale sera appréciée uniquement à ses filiales françaises
J'avais parlé de cette mesure plus haut, elle devient une réalité. En gros, si une multinationale va très bien à l'international, mais ne fait pas assez de bénéfices en France, elle pourra faire des plans sociaux. Cela va vraisemblablement accroître la pression sur la compétitivité et la régression des droits sociaux (baisse des salaires pour s'aligner avec l'étranger, etc.). Ici aussi, risques de dérives : il y a déjà des entreprises qui font des montages financiers pour ne pas payer d'impôts en France, comme Starbucks, Disney, parmi plein d'autres. Sur leurs comptes, ils ne font que peu de bénéfices (donc ne payent pas d'impôts). Si on évalue leur santé économique, ils pourraient potentiellement pouvoir bénéficier de ces dispositifs de licenciements je suppose...
- le référendum d'initiative patronale
Dans les petites entreprises, le patron pourra proposer un texte modifiant les conditions de travail, qui passera s'il est voté à 2/3. Risque : chantage à l'emploi versus une dégradation des conditions de travail. Pour les PME, il sera possible de négocier avec un élu du personnel, indépendamment des organisations syndicales.
- une instance unique pour les représentants des personnels
Soit disant pour "faire mieux avec moins". Risque : que les délégués aient moins de temps et de moyens pour remplir leurs missions, notamment en ce qui concerne la santé et les risques en entreprise. Les audits commandés par les délégués (pour vérifier la santé de l'entreprise par exemple), auparavant payés par l'entreprise, devront être payés à 20% par les délégués eux mêmes. Les délégués syndicaux pourront être absorbés par ce rassemblement de tous les délégués personnels (CE, comité d'hygiène et sécurité, etc) sans que ladite instance ait une personne de plus pour assurer les missions syndicales à la disparition du délégué syndical.
Edit : typos
Comme prévu, les ordonnances de la loi travail ont été présentées jeudi. Les syndicats peuvent donner leur avis, mais très vraisemblablement le texte passera en l'état le 22 septembre. On y découvre de nouvelles mesures en plus des grands axes qui avaient été présentés aux députés.
Le dossier du gouvernement présentant les 36 mesures est ici.
Je m'appuie entre autres sur cet article de Mediapart pour l'analyse détaillée des mesures, les dossiers du Monde sur le sujet n'étant pas en accès libre.
L'objectif est d'après Muriel Pénicaud de « Changer l’état d’esprit du code du travail », afin d’assurer plus de « liberté », de « sécurité » et de « capacité d’initiative » aux entreprises. L'idée martelée par le gouvernement est que le code du travail actuel constitue un frein à l'embauche. Pourtant, une récente étude de l'INSEE montre que les entreprises pour lesquelles les coûts et risques à l'embauche sont effectivement une barrière sont minoritaires (en comparaison avec la difficulté de recuter du personnel compétent ou la situation économique par exemple).
Pour résumer les points principaux et les nouveautés "bonus" :
- Rendre plus difficiles l'accès aux prud'hommes et diminuer leur marge d'action. Le barème obligatoire a été fixé, à la fois en plafond haut et en plafond bas, en cas de licenciement illégal/abusif. Le plafond bas diminue (3 mois d'indemnités de salaire minimum à partir de 2 ans d'ancienneté, au lieu de 6 avant ; pour les petites entreprises il est même fixé à un demi mois de salaire). Le plafond haut est introduit, et il est bas (le maximum ne dépasse pas 20 mois de salaire à partir de 29 ans d'ancienneté). Cette mesure va surtout toucher les salariés les plus âgés (les mêmes qui auront du mal à retrouver un travail s'ils se font injustement licencier). De plus, le délai de saisie des prud'hommes (donc le temps pour se décider à agir et être renseigné) est diminué à un an. Ce délai est passé de 30 ans jusqu'en 2008, à 5 ans jusqu'en 2013, puis 2 ans. Conséquence directe : le chiffre de recours aux prud'hommes a baissé jusqu'à 45%.
- Les entreprises peuvent négocier à la baisse primes et rémunérations
Une entreprise pourra négocier avec ses représentants syndicaux une baisse ou une disparition de toutes les primes (sauf celles concernant les travaux dangereux), même si elles sont prévues dans la convention collective de la branche professionnelle dont l’entreprise dépend. C'est ce qu'on appelle l'inversion de la hiérarchie des normes : une entreprise peut décider de ne plus suivre les accords de son domaine. Exemple : vous bossez dans le BTP, le secteur bancaire ou autre, et les accords vous garantissent un 13e mois. L'entreprise peut décider de le supprimer si elle arrive à avoir l'accord de 50% des délégués syndicaux (vous avez donc intérêt à en avoir un bon et qui ne se laisse pas facilement intimider/acheter...). ça marche aussi avec les primes d’ancienneté, chèques-vacances, indemnités de départ à la retraite ou de déplacement...
- la fin du CDD unique
Chaque branche professionnelle pourra définir, dans le cadre de négociations entre syndicats et patrons, la façon dont elle entend réguler l’emploi des contrats courts, notamment sur leur durée, leur renouvellement ou leur nombre total pour un même salarié. Il y aura donc possibilité d'avoir jusqu'à 200 types de contrat court différents (risque d'inégalités croissantes entre salariés). Autre point particulier : le contrat de chantier. Celui ci a peut être son intérêt pour le BTP par exemple, mais il présente des risques de précarisation. D'ailleurs les employeurs n'auront plus à verser de prime de précarité en fin de ses contrats (ce qui était le cas du CDD).
- une plus grande facilité de licenciements
D'après Édouard Philippe. « Les entreprises doivent pouvoir organiser une gestion prévisionnelle des emplois » et « il faut pouvoir agir vite et en toute sécurité ».
Les ordonnances créent un nouveau type de plan de départ, "la rupture conventionnelle collective". Soit un plan de départs volontaires facilités en masse en cas de réorganisation de l'entreprise pour n'importe quel motif (pas seulement économique). Pourtant, il existe déjà de nombreux abus dans le cadre des ruptures à l'amiable individuelles, et cela pourrait les étendre (source, rapport du Centre d'Etudes à l'emploi qui montre que nombre de ces ruptures se font au détriment des salariés,mal informés de leurs droits).
- la santé économique d'une multinationale sera appréciée uniquement à ses filiales françaises
J'avais parlé de cette mesure plus haut, elle devient une réalité. En gros, si une multinationale va très bien à l'international, mais ne fait pas assez de bénéfices en France, elle pourra faire des plans sociaux. Cela va vraisemblablement accroître la pression sur la compétitivité et la régression des droits sociaux (baisse des salaires pour s'aligner avec l'étranger, etc.). Ici aussi, risques de dérives : il y a déjà des entreprises qui font des montages financiers pour ne pas payer d'impôts en France, comme Starbucks, Disney, parmi plein d'autres. Sur leurs comptes, ils ne font que peu de bénéfices (donc ne payent pas d'impôts). Si on évalue leur santé économique, ils pourraient potentiellement pouvoir bénéficier de ces dispositifs de licenciements je suppose...
- le référendum d'initiative patronale
Dans les petites entreprises, le patron pourra proposer un texte modifiant les conditions de travail, qui passera s'il est voté à 2/3. Risque : chantage à l'emploi versus une dégradation des conditions de travail. Pour les PME, il sera possible de négocier avec un élu du personnel, indépendamment des organisations syndicales.
- une instance unique pour les représentants des personnels
Soit disant pour "faire mieux avec moins". Risque : que les délégués aient moins de temps et de moyens pour remplir leurs missions, notamment en ce qui concerne la santé et les risques en entreprise. Les audits commandés par les délégués (pour vérifier la santé de l'entreprise par exemple), auparavant payés par l'entreprise, devront être payés à 20% par les délégués eux mêmes. Les délégués syndicaux pourront être absorbés par ce rassemblement de tous les délégués personnels (CE, comité d'hygiène et sécurité, etc) sans que ladite instance ait une personne de plus pour assurer les missions syndicales à la disparition du délégué syndical.
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