J'ai vécu ces attentats en étant à la fois proche et loin. J'habite à proximité de Disney, qui est aussi mon lieu de travail. Après 2 semaines à commencer à 6 du matin je suis allée me coucher tôt, vers 20h30, terrassée par la fatigue. Un peu avant minuit, mon portable vibre une première fois. Un peu groggy, je me demande qui est le con qui m'appelle à cet heure ci. Je ne décroche pas. Il vibre une deuxième, puis une troisième fois. Je me décide alors à l'attraper. Et là, je vois 8 appels en absence de diverse personnes, un message vocal de mon père, plusieurs messages aux accents hystériques de mes amis. Je ne sais toujours pas ce qui se passe. A cet instant mon portable vibre une nouvelle fois. Toujours dans le coltar, je décroche, grommelle un vague "allo ?". Mon ami, visiblement soulagé de m'entendre, me demande où je suis. "Chez moi, je dormais, pourquoi ?". Le reproche est encore palpable dans ma voix. Je le regrette, je ne savais pas. Il y a un blanc dans la conversation il hésite. C'est bizarre, Karl est du genre bavard et à ne pas forcément réfléchir avant de parler.
"Il y a eu des attentats à Paris." L'emploi du pluriel me frappe immédiatement. Il précise : "7". Je suis sous le choc, abasourdie, frappée d'horreur. Je le rassure rapidement sur mon sort puis j'appelle mon père. Là encore, le soulagement dans sa voix est palpable. Il a eu peur, il sait que je sors parfois dans ces quartiers. Il a dû attendre 20 longues minutes que je le rappelle. A peine raccroché, ma soeur m'appelle. Précisons que nous avons perdu notre mère il y a presque 7 ans. Depuis, on se sert les coudes, forcément et je ne sais pas si l'un de nous supporterai de perdre à nouveau les autres... Elle a eu très peur pour moi, elle était au ciné elle a appris à la radio en rentrant chez elle en voiture. Elle sait que je vais parfois au Stade de France.
Après ça, je passe une vingtaine de minutes a rassurer tout le monde, je publie un message sur fb m'excusant pour la grosse frayeur que j'ai causé à pas mal de mes amis. Puis je me rend compte. Mon amie Laura habite à côté des lieux des attentats. Le dernier message que j'ai vu d'elle, à 20h30, disait qu'elle s’apprêtait à sortir Je l'appelle immédiatement. Répondeur, message quasi hystérique la suppliant de me rappeler. Commence une heure d'angoisse. N'y tenant plus je la rappelle. Elle décroche, me dis que, trop fatiguée, elle a renoncé à sortir. Je me dis que ça lui a peut être sauvé la vie mais je ne lui dis pas, elle n'en a surement que trop conscience.
Je me décide à allumer la télé. L'horreur croît encore alors que je ne pensais pas cela possible. Je me met à pleurer. Je ne m'arrêterai pas avant un long moment. Je suis en connexion permanente avec mes amis. On s'appelle, on se dit qu'on s'aime, on pleure ensemble. Je travaille demain. Ah, non aujourd'hui, il est presque 3h du matin, je me lève dans 3 petites heures. Les messages affluent, rumeurs me disant que le parc Disney sera fermé demain. Certains me demandent de ne pas y aller, de ne pas travailler. Mais j'irai. J'ai peur, oui, mais je n'arrêterai pas de vivre, hors de question. Je tente de me recoucher, de me rendormir. Je tournerai pendant 2h, somnolant assez vaguement de 5 a 6h, sursautant au moindre bruit a l'extérieur. Quand vient l'heure de se lever, je tente de manger. Mauvaise idée, ça ne passe pas. Je prépare alors rapidement mes affaires et part pour le boulot. Au parking les yeux sont rouges, les traits tirés, les visages fermés et pâles. Arrivée sur place, mes supérieurs me confirment que le parc n'ouvrira pas aujourd'hui. C'est une claque. Disney ne ferme pas. Jamais. Ils ont réussi à stopper la magie. Mais je sais que c'est la bonne décision malgré tout. Rentrée chez moi, sur un coup de tête, je jette quelques affaires pèle-mêle dans un sac, prend ma voiture et direction ma petite ville de province, à 350km de là. J'y resterai jusqu'a mercredi. Je veux continuer à vivre exercer mon métier mais je suis en repos et j'ai besoin de voir mon père, d'aller pleurer sur la tombe de ma mère et de m'éloigner un peu de cette folie. Sottement, je pensais que ça me la sortirai de la tête. Je me trompais. Mon petit chien, mon adorable boule de poils, sensible, sent que je ne vais pas bien. Elle me colle depuis mon arrivée. Elle est actuellement blottie contre moi, la tête posée sur mes genoux et me lèche gentiment la main de temps à autre. Sa douceur est un baume sur mon coeur à vif.
Je suis rassurée sur le sort de tout mes amis, je ne connais à priori aucune des victimes. Mais j'ai mal. Je ne comprend pas. Qui peut comprendre, de toute façon ?