( Avant de démarrer, petite musique d'ambiance . )
Je me pose dans mon lit, prête à retourner rêver de ce que j'ai cru entrevoir l'autre fois. Je tire sur moi un léger drap car les nuits commencent à se rafraîchir. Le sommeil me gagne tout doucement. Je me concentre pour ne pas pénétrer dans le monde des Rêveurs de Donaï, mais bien pour visionner les rêves de nos aînés, ces rêves d'antan, d'un passé si lointain qu'on ne peut même plus l'effleurer.
Une lueur verte, bleue, mauve, rosée puis rouge, et enfin orange. Ce sont ces même couleurs qui, la nuit passée, m'ont introduis dans ces rêves qui n'existent déjà plus. Sauf dans ma tête. Une sensation de bien-être m'envahis, ce bien-être que l'on ressent quand enfin l'on se libère de tous nos maux.
J'y suis. Je sens un frisson me parcourir comme si mon corps tout entier s'était lui même projeté dans ce monde que je ne connais que par des paroles. Nous vivons sous terre depuis des siècles, reclus et apeurés à cause de cette maladie. Je suis habituée à une très faible lumière, habituée à ne pas sentir d'air souffler sur ma peau, sur mon corps. Habituée à ces terres sombres, sans vie, d'une couleur ne laissant aucun espoir. Habituée à ce qu'au-dessus de ma tête, il n'y ai encore et toujours que de la terre. Un gouffre sans fin, une éternelle abîme. C'est mon quotidien, comme celui de beaucoup d'habitants du Royaume. Je ne m'en plains pas si cela me permet de rester en vie. Mais quelle vie... quand on sait ce qu'elle était auparavant. Cette dernière n'est pas si monotone puisque l'on existe avec depuis notre plus tendre enfance. Mais j'adorerai voir ce qu'il y a à la surface, j'aimerai voir ce bleu au-dessus de ma tête qui s'étend à perte de vue, j'aimerai voir ces gigantesques êtres de vies verts que l'on appelle arbre et qui n'existent pas ici bas. J'aimerai voir tout ça de mes propres yeux et le ressentir moi-même.
Il n'y a que dans ce Rêve que je peux voir ces couleurs, ces formes ainsi que ces sensations. Et depuis hier, j'arrive à songer différemment et à découvrir ce qu'était la vie sur Terre il y a de ça tant d'années.
Je suis dans le rêve d'un jeune homme. Mes yeux s'ouvrent sur son monde qui a un jour existé. Il foule un sol parsemé d'herbe. Elle bouge au rythme de ses pas. Un chien court à ses côtés. Il semble être accompagné par un homme plus âgé que lui, j'en déduis qu'il s'agit de son père. Tous deux longent un long cour d'eau. C'est magnifique, c'est tellement magique, je n'avais jamais vu ça. Le vent souffle dans ses cheveux, il fait danser l'herbe tout autour de lui et vient caresser l'eau à leurs côtés. Au-dessus de lui se tapisse jusqu'à l'horizon ce ciel d'un bleu si pur, parsemé de quelques mousses blanches. La lumière du soleil étreigne tendrement toutes vies sur son passage. Étrangement, elle ne m'éblouit pas, sûrement parce que j'observe ce monde non pas à travers de mes yeux, mais de ceux d'une personne ayant vécu à la surface de la Terre.
Je ressens une émotion si forte que je ne saurai réellement de quoi il s'agit. Je me sens à la fois heureuse, très heureuse même, et je ressens aussi une énorme tristesse. La tristesse de ne pouvoir connaître une chose que de manière éphémère car cette dernière appartient au passé. La tristesse de savoir que dans quelques heures, je reviendrai à mon quotidien futuriste où la vie s'éteint petit à petit car nous sommes condamnés à tous nous endormir un jour, ou à nous éteindre éternellement.
Le jeune homme s’assoit dans l'herbe, il sort une longue perche. Sans savoir comment, je sais qu'ils appelaient ça une « canne à pêche » et qu'elle sert à sortir des poissons de l'eau. Il la prépare minutieusement, son père l'aide à ses côtés. Ils retirent tous deux leurs chaussures et leurs pieds partent à la rencontre de cette eau. Elle est différente de ce que l'on a chez nous, à Donaï. Cette eau respire la liberté, la mienne respire la mélancolie.
Le chien saute dans l'eau, je comprends instantanément qu'il vient de faire fuir tous les poissons. Moi, ça me fait rire car l'animal est tout mouillé et a éclaboussé ces deux hommes, eux n'en rigolent que moyennement. Le chien sort du ruisseau pour venir s'allonger dans l'herbe. Le soleil le réchauffe et il semble apprécier cette chaleur sur son pelage.
Les deux hommes arrivent à sortir des poissons de l'eau. La journée semble passer si vite dans ce rêve.
Le ciel change de couleur, le bleu laisse sa place à une couleur orangée et les mousses blanches disparaissent elles aussi.
Le chien part s'abreuver au ruisseau tandis que les deux personnes rangent leurs affaires. La fin de la journée s'annonce pour eux. Pour moi cela annonce le retour à la réalité, cette dure réalité.
L'instant d'après, mon regard se perd dans cet horizon coloré, il m'apaise tandis que petit à petit je ne ressens plus ni le vent, ni la chaleur du soleil. Merci à toi, l'inconnu, pour m'avoir fait vivre ces petits moments de bonheur.
Le ciel disparaît pour ne plus laisser apparaître qu'une lueur orange, rouge, rosée, mauve puis bleue et enfin verte.
Je reprends le contrôle de mes sensations. L'odeur de la terre dans mes narines, cette sensation que l'air manque à cet endroit , que la vie manque ici.
Mes yeux s'ouvrent doucement, comme si mon corps lui-même refusait de quitter le rêve que je viens de visiter.Je ferai tout pour pouvoir un jour monter à la surface et vivre ces instants moi-même et que tous ensemble, nous puissions vivre à la lumière tout comme nos ancêtres le faisaient auparavant.