Cette situation soulève beaucoup de questions (Peut-on juger de la capacité à être de bons parents sur des critères sociaux? Est-il moral de ne pas faire naître des enfants dans une famille sans ressources? Faudrait-il envisager une restriction des naissances dites naturelles d'après les capacités supposées des futurs parents? Existe-il un droit à l'enfant?...). Est-ce que vous avez une opinion à ce sujet?
Moi j'ai des opinions très très très marquées (en partie je pense parce que s'il existait un permis de procréer, jamais je n'en aurais un
).
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de juger de la capacité d'une personne à être un bon parent sur la base de critères sociaux: c'est confondre la classe sociale et la moralité. Or on peut être quelqu'un de très doué oralement, issu d'une bonne classe sociale, bien né et riche, et être quelqu'un de très mauvais moralement; à l'inverse je sais qu'historiquement, on a beaucoup justifié de la pauvreté des pauvres par leur supposée défaillance morale (c'est un peu toute l'histoire des débuts de l'industrialisation); c'est sortir de ce couplage qui a permis d'améliorer la vie de beaucoup de personnes, en fait.
- Est-ce qu'il est moral de ne pas faire naître d'enfants dans une famille sans ressources? Je pense qu'ici, il serait bon de définir ce que veut dire "ressources" - en France, même en étant pauvre, je sais par expérience que j'aurais de quoi nourrir, loger, et soigner mes enfants (vive le système de sécurité sociale ici). Je pense aussi qu'en France, on s'imagine beaucoup de besoins alors qu'on peut faire bien sans (là encore, je parle surtout de mon expérience, ayant grandi dans une famille financièrement pauvre).
Je pense que la question est mal formulée: je dirais qu'il est moral que, si on planifie avoir des enfants, on planifie aussi de pouvoir prendre soin d'elleux. (Et si on n'en planifie pas mais on tombe enceint-e et on veut le garder, il est moral d'organiser sa vie de manière à pouvoir au mieux possible prendre soin d'ellui.) Mais de manière générale, ça revient à un peu la même chose: quand on a des enfants, il est moral de s'en occuper du mieux possible.
- Faudrait-il envisager une restriction des naissances dites naturelles d'après les capacités supposées des futurs parents?
L'eugénisme se cache partout! Je n'arrive pas à trouver des sources pour la France (mais je sais qu'il y a eu des campagnes de stérilisations) du coup
je parle des US, qui a fait des grandes campagnes de stérilisation de gens sur des critères racistes et classistes (stérilisation des pauvres et surtout des noirs et des amérindiens), d'aptitude physique et mentale (stérilisation des handicapé-es), et légaux (stérilisation des prisonnier-es). (Entre autres détails la Californie a été particulièrement active dans ces mouvements.)
Sans qu'il y ait une politique similaire et systématique, je sais aussi que la stérilisation est encore un pré-requis pour les personnes trans dans de nombreux pays, afin de pouvoir accéder à des papiers leur permettant une vie normale.
J'aurais donc tendance à répondre, en bloc, "non, surtout pas" à cette question. En-dehors des précédents historiques, se pose encore la question de : qui juge les capacités des parents, et sur quels critères?
- Existe-t-il un droit à l'enfant? (Je trouve cette question terrible; c'est le genre de formulation qu'on entend dans la bouche des gens de la manif pour tous pour dénier aux gens lgbt+ la possibilité d'avoir des enfants, sous prétexte que ce serait répondre aux caprices de personnes qui décident de vivent en-dehors de la "réalité biologique" parce que celle-ci ne leur plaît pas ou qu'iels ont un agenda politique visant à démolir et faire disparaître toute trace de réalité biologique dans un désir de faire plier la réalité aux moindres envies des gens. Alors que justement les gens de la manif pour tous sont incapables de concevoir que le monde et la société et les gens puissent exister et vivre en-dehors de leurs cases. Je mentionne cette parenthèse parce que je pense que c'est important de savoir d'où je viens émotionnellement.)
Je trouve cette question fondamentalement compliquée, en fait, et un peu bancale. Fondamentalement, à la base, énormément de couples ont la capacité de procréer. Parler de "droit" ici c'est transformer une capacité du corps en quelque chose de juridique; et c'est par là tenter d'exercer un contrôle extérieur sur le corps d'autrui, et sur les capacités de ce corps. Quand on parle de droit à l'enfant, on parle déjà de contrôle de la sexualité et surtout de la capacité reproductive, on parle de pouvoir intervenir sur le corps de quelqu'un quand iel tombe enceinte et que ça ne nous plaît pas (que ce soit sur le moment, en amont, ou en aval).
En même temps, ce n'est pas quelque chose d'anodin cette capacité reproductive, car menée à terme elle crée un nouvel être humain qui est déjà soi-même sa propre personne, et pas une extension de la personne qui a été enceinte et qui a accouché. Et ce nouvel être humain étant (tout du moins au début) totalement dépendant d'autrui, ce n'est pas absurde qu'il y ait un certain contrôle, ou un certain regard sur la personne qui a la responsabilité de ce nouvel être humain (qui est traditionnellement la personne qui est tombée enceinte et la ou les autres personnes avec qui elle a décidé de vivre, si autres personnes il y a - historiquement on a essayé de forcer d'autres arrangements (en défaisant les familles et en mettant tous les enfants en garde collective par exemple), mais ça n'a jamais marché).
Du coup sur ce point de vue-là, parler de "droit à l'enfant" me semble un peu faux, parce qu'on peut toujours tomber enceinte si on a un utérus, et que c'est plutôt la responsabilité ensuite face à cet événement qui est important - du coup c'est plus la question de la gestion de son corps (avec la question de l'ivg) et ensuite si la grossesse est menée à terme la question de l'intérêt de l'enfant en tant qu'individu qui est sa propre propriété.
Après, il y a, avec la médecine, la possibilité d'aider des couples qui ne pourraient pas avoir d'enfants sans aide ou intervention extérieure, de la part de médecins ou docteurs etc. C'est souvent ici qu'on parle donc de "droit à l'enfant" avec l'idée que c'est surtout "qui a le droit de demander cette aide?"
(et pas "qui a le droit de la donner", en soi - une autre chose qui me marque un peu, parce qu'il faut toujours au moins deux personnes pour mettre enceint-e quelqu'un et créer un enfant, et qu'en soi si on attend une attitude spécifique au médecin qui fait des opérations, mais qu'il n'y a pas d'attente envers le mec lambda, c'est surtout envers un rapport culturel à la technologie et à la 'mise en commun' des outils médicaux, non parce qu'en soi, on pourrait concevoir que si tu en as l'argent / les moyens tu pourrais toi-même apprendre à faire une insémination artificielle ou une FIV, et ce ne serait pas plus régulé qu'un rapport sexuel, chacun-e faisant ce qu'iel veut dans l'intimité de son foyer - bref je finis ici ce début de questionnement et cette digression) bref et donc surtout "sur quel critères peut-on accorder cette aide à une personne ou un couple (ou plus mais ne nous voilons pas la face, personne n'aide les gens poly
)?" et donc en partant du fait qu'il faut déterminer qui y a droit ou non, en ne questionnant pas ce point de départ, on entre dans plein de discussions sur qui peut y accéder et pourquoi, pour quelles raisons, avec en sous-texte (mais pas toujours) que puisque là on a un moyen de contrôler la reproduction des gens, il faudrait agir dans le meilleur intérêt de l'enfant.
... En fin de compte, pour conclure et donner mon avis je trouve la position de l'Espagne plus saine (si j'ai bien compris, en Espagne toute femme - toute personne qui peut tomber enceinte - a le droit de l'être). C'est permettre à toustes l'aide médicale sans que l'état ou toute autre groupe extérieur ne se pose en autorité, avec tous les problèmes de qu'est-ce qui permet à cette autorité de se prononcer, et si les décisions prises sont les bonnes. Pour moi la question ne devrait pas tant se poser en 'amont' (qui a le droit d'avoir un enfant?) et plus en 'aval' (si tu as un enfant, je dirais plutôt qu'il serait bon qu'on te donne des aides pour l'éduquer, sans que ce soit obligé ou un carcan - et là se pose encore la question de "quelles aides, quels conseils, avec quelle autorité et quelle justification?" et je me dis, tant qu'on ne contrevient pas aux règles sur les maltraitances de l'enfant (qui sont in fine les règles qu'on applique à tout être humain, respect de l'intégrité du corps et du fait qu'iel est un-e individu, etc) bah, si ton église / ton groupe féministe / ta communauté / etc se débrouille pour créer des groupes d'aides et de soutiens aux parents, ça me semble bien ?)
Enfin voilà, je formulerais plutôt comme ça le questionnement.
@Mama Sara dis-moi si tu veux que je vire la citation.