Hier j'ai testé pour vous... Assister à ma première dissection !
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Eh bah c'était trop bien, contre toute attente ! J'ai besoin de tout écrire ici, j'éditerai en temps voulu, merci de ne pas citer.
Pour commencer on s'est perdus dans les couloirs, une personne nous indiquant une direction, une autre nous renvoyant à un autre étage, un autre couloir, un autre formulaire rose B22 au guichet 7 de l'étage 46325 (comme la maison qui rend fou !), et puis finalement, on a trouvé notre étage et notre couloir, on nous demande d'attendre dehors.
Le stress monte, vu qu'aucun de nous ne sait comment il va réagir face à ça. Et puis le prof nous ouvre, fait l'appel, nous fait enfiler surblouse, surchaussures, charlotte, masque et gants et nous fait un topo. Il nous dit, d'une voix très calme, très posée, que c'est une expérience qui va nous changer, changer notre rapport au corps, notre rapport à l'humain, notre rapport à la mort. Il nous dit des tas de choses que j'ai trouvées très belles, notamment sur le don que font les gens eux-mêmes ou la famille. L'odeur est étrange mais pas prenante, l'ambiance aussi.
Il nous fait traverser un couloir sombre, en nous disant de ne pas tourner la tête à droite vu qu'il y a deux corps qui n'ont pas été couverts encore. Tout le monde rase les murs et se concentre sur l'odeur du baume du tigre appliqué juste avant sous le nez. J'entends des pleurs, déjà.
On arrive dans une salle claire, avec vue sur Notre-Dame. Le corps est en plein milieu, la densité démographique se concentre dans les coins de la pièce. Ça y est, on y est.
La première chose qui me frappe, c'est la main. Elle est un peu noire, toute fripée comme quand on sort d'un bain.
Le prof découpe dans le drap qui recouvre le corps un morceau pour cacher la tête, peut-être la partie la plus délicate, émotionnellement parlant. J'ai tout de même un petit coup quand je vois les cheveux.
Il nous explique comment il va procéder, où et comment il va inciser, ce que l'on va voir. On se groupe en cercle autour de la table, il lève le drap à hauteur du thorax, arrange le bras, et commence son travail.
Les coups sont brefs et précis, ça me fait beaucoup penser à des coups de pinceau. Il nous explique que c'est une vieille dame de 83 ans, décédée la semaine dernière, qu'on avait de la chance d'avoir quelqu'un d'aussi frais, qu'on allait bien voir toute la vascu et les couleurs des tissus, ce qui n'est pas le cas avec les sujets conservés avec du formol. Effectivement, il y a plein de couleurs, de la graisse jaune qui forme comme des nuages, des artères roses, des veines très très bleues, les nerfs et les tendons blanc nacré.
Le prof dédramatise beaucoup la situation en nous faisant des petites blagues, en racontant des anecdotes, à chaque fois qu'il trouve une structure, il nous dit "Venez voir, mes agneaux, qu'est-ce qu'on voit, là ? Ben oui, c'est Brigitte Bardot ! Elle est pas belle, Brigitte, au bout du scalpel ?".
Le matin, on est allé de l'épaule jusqu'au tendon du biceps. Je pensais que le plexus brachial serait plus gros, comme représenté dans les livres d'anat', mais pas du tout, c'est assez petit, assez serré, mais très joli à regarder. J'ai pu apprécier aussi la texture des structures, la souplesse d'une veine, le tonus d'un nerf, d'un tendon, d'un ligament.
À midi, il fait faim (oui oui !
) et tout le monde mange avec tout le monde, pas de petits groupes, plus d'animosité. On prend des nouvelles de ceux qui gèrent moins bien, on se rassure comme on peut.
L'après midi, on commence le coude et l'avant bras, mais alarme incendie, évacuation de tout le bâtiment. On descend les 6 étages en tenue, on sort dans la rue avec tout l'attirail, la charlotte, le masque, les gants et la blouse. Certains nous dévisagent, font une moue dégoûtée, devinant ce qu'on fabrique là-haut.
On finit tranquillement et c'est déjà l'heure de repartir. Alors qu'au matin on ne pouvait pas les regarder, on passe tout près des corps disposés dans le couloir. Il sont moins bien conservés, la peau paraît cireuse et donc j'y "crois" moins tellement ça ressemble à un mannequin en plastique, il n'y a presque plus de chair, et leur "expression", la bouche béante et les paumes des mains tournées vers le ciel m'impressionnent.
J'ai très bien vécu la dissection, j'avais peur que ressurgisse l'émotion que j'avais eue en voyant mon grand-père décédé lorsque je l'avais veillé, mais rien de tout ça n'est venu. Je me suis sentie reconnaissante vis à vis de cette femme, et j'étais dans une sorte de grâce, je crois que j'ai encore plus compris la beauté du corps, j'en suis de plus en plus convaincue.
J'ai hâte d'y retourner en février.