@Mary-Sue @Papillon Bleu
La fierté me met en colère parce que justement, je n'estime pas que la France soit un pays "avec sa part d'ombre" ; le drapeau français, pour énormément de descendants d'anciens pays colonisés, c'est une violence qui n'a pas encore été réparée. La colonisation, l'esclavage ou encore la collaboration ce ne sont pas seulement des "parts sombres", ce sont des parties importantes de notre histoire qui ont encore des effets structurants aujourd'hui (économiquement, politiquement, culturellement...) On parle aussi du troisième plus gros exportateur d'armes au monde... on ne peut pas mettre toutes ces """parts d'ombre""" dans un coin marginal et brandir simplement la bonne bouffe et la littérature.
Je ne suis ni pour une honte ni pour une fierté d'être français·e, et pour moi les sentiments nationalistes/patriotiques sont des illusions d'union qui peuvent gommer les enjeux plus importants de lutte des classes. Un peu comme l'opium du peuple quoi...
Si j'ai exprimé un attachement à ma culture française et à la langue, ça n'a rien à voir avec l'Etat français et ses symboles institutionnels. Je choisis ce que j'aime et ce que j'ai envie de préserver dans le pays dans lequel j'ai grandi, je sais aussi que dans cet héritage il y a des choses que je porte et que je ne choisis pas, c'est la vie.
En revanche je n'ai pas à être "fière" de quoi que ce soit, ce n'est ni moi qui ai écrit Les Misérables ni moi qui ai colonisé un continent, je ne porte en moi ni honte ni honneur... j'essaye juste d'être lucide et de changer ou de préserver des choses qui m'intéressent dans l'héritage des différentes populations qui ont construit l'histoire de mon pays.
Après on touche à des questions très complexes, sur ce qui définit un peuple, une frontière, une nation... je n'ai pas de réponse très intéressante à apporter. Mais je peux dire sans nuance qu'arborer le drapeau français n'est pas un geste apaisant. Et certes, ça ne veut pas forcément dire valider la politique d'un gouvernement, mais je n'ai pas tout à fait compris ce que ça signifie exactement alors.
Et en effet comme l'a dit une personne au-dessus, quand je parle du privilège d'être naturalisé, je ne dis absolument pas que les personnes qui ont obtenu la nationalité sont des privilégiés. Simplement, une partie d'entre eux (justement les moins privilégiés) ont dû se rendre compte de tous les bâtons dans les roues mis par les administrations françaises, les aspects arbitraires de certaines décisions, les délais de plus en plus longs... à quel moment, quand on a vécu ce long processus (souvent humiliant), on a envie d'arborer ce drapeau face à ceux qui n'ont pas eu la chance d'être régularisés et qui se ruinent en timbre fiscaux, qui vont jusqu'à payer pour obtenir des rendez-vous à la préfecture ? Quelle fierté, exactement ?
En fait pour moi quelqu'un qui affiche fièrement son appartenance à l'Etat français, qui met en avant sans pudeur les symboles de la France, c'est une personne qui n'a jamais eu à faire face à l'injustice de notre République. C'est une personne qui a bénéficié, comme moi, des "bons côtés" (la santé, l'école, etc.) parce que justement nous sommes du "bon côté" de la barrière. Ce n'est pas quelqu'un qui a subi du racisme ou du classisme d'Etat, ou qui a perdu un oeil en manifestation. Ce n'est pas un migrant que des fonctionnaires de la préfecture méprisent à cause de son accent, ce n'est pas un descendant d'esclave qui travaille encore dans le champ d'un béké.
Alors oui pour moi, qu'on catégorise dans les "bons immigrés", qui se sont bien intégrés, ont abandonné une partie de leur identité d'origine, ont fait des études, payent des impôts, disent "bonjour" aux contrôleurs, ce serait facile de dire que je suis fière d'être française. Mais heureusement, j'arrive à sortir de mon petit quotidien tranquille et à voir que pour d'autres, l'Etat français n'est pas seulement synonyme des Lumières et de la sécurité sociale mais de multiples oppressions qui structurent encore les rapports de force aujourd'hui.