Je suis à côté de la plaque. Comme si on m'avait explosé le coeur en plein de morceaux, et que même si j'essaye de le recoller, y'a un trou parce que j'ai perdu un morceau.
Je suis un peu naze en fait comme fille, le genre de fille qui peut être d'une lucidité effrayante mais qui, avec elle-même, est d'une naïveté pire qu'effrayante. Moi je crois que tout le monde est gentil, que tout le monde a un bon côté, et on a beau me montrer que c'est pas vrai, j'y crois toujours. C'est pas comme si j'espérais que c'est vrai, et qu'y croire permet de maintenir l'illusion, c'est juste que j'y crois vraiment. Je crois que tout le monde est gentil. La méchanceté me passe par-dessus le chicon, la traîtrise profonde, tout ça. Je peux être dégoûtée par beaucoup de choses, m'indigner, exploser, mais croire que c'est de la méchanceté pure et dure, je n'y arrive pas.
Et là c'est pas le cas, enfin y'a pas de la méchanceté pure et dure mais plein de petites choses, mais pan, pan dans mon coeur, et pouf. J'ai des trous dans le coeur.
Et j'ai pas envie de me plaindre parce qu'il y a pire. Il y a pire que d'avoir un bête trou dans le coeur, je me fais l'impression d'être une enfant. Peut-être que je suis une enfant. When I was a child I was a jedi. Je suis pas sûre de vouloir être une adulte, je crois que je veux être une enfant qui est grande. Pas une grande enfant, c'est très péjoratif ça. Une enfant qui est grande. Bref. Je me fais donc l'effet d'être une enfant qui geint pour des broutilles. J'ai pas trop le droit de me plaindre, et le fait de le faire, et de me rendre compte, et pourtant de persister ne m'aide pas vraiment à ne pas culpabiliser. J'ai envie de me botter les fesses, parce que je suis optimiste. Même avec un trou dans le coeur.
Et quand je suis comme ça, un peu à côté de la plaque, je souris bêtement, je saute dans les flaques et je me plonge dans les maths pour ne plus penser à la cause du trou. Je souris bêtement et si on regarde au fond de mon oeil, on voit qu'il est triste, et c'est un peu naze.
Alors je passe mon temps à ne pas dormir, à lire et à réfléchir. Je sais que j'ai un trou dans le coeur parce que je peux pousser mes réflexions très loin, très longtemps.
J'ai envie de lire Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi. Le livre médicament qu'on lit sur l'appui de fenêtre quand il pleut, on pleure, et après on va mieux. Plutôt que de suffoquer entre deux eaux, on fait tout pour couler très vite, toucher le fond de la piscine et donner un grand coup de pied pour rejaillir à la surface comme un bouchon de liège.
Où est le livre ? Ah oui, je m'en souviens, je l'ai donné au truc qui a fait le trou en me promettant de ne jamais le racheter.
(Pavé inintéressant, bravo ma fille).
mais pas moi, pas aujourd'hui.
