Nous y voilà. Enfin, je me trouve devant la maison où je vais vivre désormais. Envolée la grande ville, la vie trépidante que je menais autrefois. Me voici maintenant dans une petit village calme, paisible, où les passants se saluent en se croisant. En regardant le clocher de la Grande Place, des bribes de souvenirs me reviennent confusément. Un vélo rouge, de la confiture de groseilles sur une tartine craquante, le son de la cloche qui rappelait qu'il était l'heure de se dire "A demain" et de rentrer manger.
Papa finit de sortir mes malles de la voiture. Il pleure, je le vois, alors il me tourne le dos et feint de fouiller dans la boîte à gants, jusqu'à ce que je détourne mon regard de lui.
Cela fait aujourd'hui un mois que Maman est morte.
Il est 17 heures, le soleil de juillet est toujours présent, mais une douce brise se lève. Papa et Grand-Père ont fini de rentrer mes bagages. Il est l'heure de dire "Adieu". Mon père me serre maladroitement dans ses bras, et s'empresse de monter dans sa voiture. Mes joues sont salées de larmes. Les siennes ? Les miennes ?
La voiture s'éloigne peu à peu, pour ne devenir finalement qu'un point rouge à l'horizon.
Mes grands-parents m'attendent dans le salon. Ils se tiennent la main, et me couvent du regard. Je leur souris, puis monte dans ma chambre.
Le déménagement est presque fini, ils ne restent que quelques cartons à déballer maintenant. J'ouvre le premier qui me tombe sous la main. Il est rempli de vieux romans et de carnets appartenant à ma mère, et que mon père a jeté en vrac dans la boîte. Il n'a rien gardé lui appartenant. Moi-même, j'aurais aimé ne plus avoir de souvenirs d'elle. Mais mon attachement irrémédiable aux possessions matérielles en a décidé autrement.
Le premier carnet qui apparait est un carnet à dessin, noir, aux pages jaunies par le temps. Je le prends dans mes mains ; quelque chose en tombe.
Une photo.
Les mains tremblantes, je l'examine, la tournant et la retournant prudemment, comme si au moindre geste brusque, elle allait se déchirer. Au dos de la photo, parmi des croquis d'oiseau et de fleurs, je distingue : "Dolores, 1 an" Je reconnais immédiatement l'écriture maladroite, comme celle d'un enfant, de ma mère.
La photo date d'il y a une quinzaine d'années. Elle a été prise dans le jardin de la maison où je suis à présent. L'herbe est déjà un peu jaunie par la chaleur, le ciel est bleu et vide de tout nuage, je ressens le bonheur de l'été rien qu'à la regarder. Toute la famille est présente. A gauche, la famille de mon père : ses parents, toujours main dans la main, toujours fous l'un de l'autre, même après près de 50 ans de mariage. Sa sœur, qui attend son premier enfant, les yeux fatigués mais un sourire rayonnant de bonheur ; elle tient la main de son mari, aujourd'hui porté disparu au front. A droite, la famille, très nombreuse, de ma mère : sa mère à elle, grande, mince, stricte, dont le simple regard suffisait à me paralyser, et son père, rondouillard, rouge d'avoir trop bu, un sourire bon enfant, tenant un de mes cousins. Devant eux, leurs huit enfants, tous blonds, comme ma mère, trait dont je n'ai pas hérité. Avec eux, toute une portée de bambins et de jeunes enfants, mes cousins, dont la plupart ont bougé lors de la photo. Dans le coin en bas à droite, on ne distingue d'ailleurs rien d'autre que deux silhouettes qui courent, leur visage flouté par le mouvement.
Enfin, au centre, derrière un gâteau blanc et recouvert de crème, un petit bébé dort paisiblement dans les bras de sa mère. Une mère au sourire enjôleur, au visage charmant et adorable, vêtue d'une légère robe fleurie qui dévoilent ses jambes hâlées. Ses cheveux blonds sont attachés négligemment, et des mèche flottent autour de son visage enchanteur. Le père se tient un peu derrière elle, son bras entourant les épaules de la mère d'un geste désinvolte et affectif, tandis que l'autre bras, tout comme ceux de la mère, soutient le bébé, dans un cocon confortable et protecteur. Le bébé porte une robe aux même motifs fleuris que celle de la mère. Ses bras et ses jambes sont potelés, il rayonne de santé. La mère est heureuse, la père aussi. Leurs yeux brillent, le sourire de la mère découvre ses dents du bonheur. Ils ne se regardent pas, leur regard est tourné vers le photographe, mais leurs yeux sont pleins d'amour. D'amour pour eux-même, pour leur enfant, pour leur famille, pour le monde.
Je touche la photo, effleure le visage de ma mère. Je peux presque le sentir, sentir la moindre imperfection de sa peau, sentir les effluves de son parfum fleuri qui la suivait partout quand elle déambulait d'une pièce à l'autre de sa démarche de danseuse, sentir la douceur de sa robe, que mon père a donné aux œuvres de charité quelques jours après sa disparition, comme tous ses vêtements.
Je replace la photo délicatement, comme une relique, dans le carnet. En ouvrant à la première page, apparait un croquis représentant un bébé endormi, les poings serrés, les joues dodues, portant une robe à fleurs.
Les pages s'imprègnent de mes larmes.
(C'est la première fois que je participe, je suis toute excitée ! Désolée si c'est un peu long, je n'ai pas pu me retenir une fois lancée ... )