"On voudrait revenir au feuillet où l'on aime,
et le feuillet où l'on meurt est déjà sous vos doigts"
La Martine.
La question que je me pose est: as-tu voulu y revenir, toi?
Tu l'as entendue au téléphone tout à l'heure, tout ce qu'elle a dit? Un génie qu'elle a dit, c'est un chouette compliment.
Mais as-tu écouté ce qu'elle a dit d'autre? ... Car moi j'ai entendu, et j'ai compris je crois. Il y a 3 semaines à présent, presque jour pour jour, j'écrivais qu'il me fallait faire mille deuils, le deuil de l'enfance, le deuil de toi, le deuil de la paix, et qu'il me faudrait vivre toute ma vie avec mes regrets.
Et aujourd'hui je sais: oui, il faudra faire tous ces deuils, celui de la paix surtout, elle qui m'était si chère, mais je sais à présent qu'il n'y a rien à regretter, nous n'aurions jamais pu renouer, je ne t'ai jamais manqué.
Il faut accepter que tu n'es plus, et que parce que tu n'es plus, nous sommes à nouveau là. Accepter que c'est ton départ qui a permis les retrouvailles, et que toi présent tu ne les aurais jamais permises. Et l'air de rien ça fait une grande différence: ce n'est pas de ma faute à moi, c'est la tienne. C'était ma souffrance, mais c'était ta décision; je n'étais pas en retard au dernier rendez-vous car tu n'as jamais rêvé d'un dernier rendez-vous.
Alors oui je vais faire mes deuils, ça prendra le temps qu'il faudra, mais à présent je sais que je peux ajouter celui que je ne voulais pas nommer, celui dont je n'étais pas sûre de l'authenticité: tu ne m'as jamais aimée, je ne t'ai jamais manqué, tu étais mon seul grand-père et tu ne m'as pas aimée... peut-être, au fond, n'as-tu aimé personne ou si peu, donc je n'ai presque pas à me sentir visée.
C'est le sourire un peu triste que j'écris ça, mélancolique et triste. Car moi j'ai rêvé de revenir, rêvé de revoir ton sourire, je t'ai tellement haï mais je t'ai aussi aimé, même si ce n'était pas réciproque. Je garde le souvenir de ton sourire, j'ai oublié ta voix depuis longtemps donc nous n'en parlerons pas, mais je garde le souvenir de ton sourire & le souvenir de cette bataille d'eau & le souvenir des sardines au beurre. Je garde aussi les mauvais, mais ceux-là n'ont pas besoin d'être nommés, je ne les sais que trop bien.
Et ma foi, si mon retour chez toi pour enfin LA revoir doit te faire te retourner une énième fois dans ta tombe tant pis, et si à ma mort je dois subir tes foudres j'en prends le risque. Et je le dis une dernière fois, pour t'adoucir un peu: tu m'as grandement manqué, tu m'as grandement blessée, et je n'ai jamais cessé de t'aimer, de penser à vous deux.
Maintenant je t'en prie laisse-moi guérir, ne plus m'arrêter dans mes activités en pensant que tu es quelque part et que tu me regardes, en pensant que tu souris et que peut-être je t'amuse, ou que peut-être tu es fier de moi, et que peut-être tu regrettes.
Laisse-moi revivre: tu n'es plus & au fond qu'est-ce que ça change? Qu'est-ce que ça change à MON univers? Tu étais absent depuis tellement longtemps!
Ce qui m'ennuie d'ailleurs c'est que j'ai repris les cours lundi dernier, et que j'ai bossé toute la semaine, que j'espère tout valider du premier coup pour aller la voir et qu'elle soit fière de moi, et je me rends compte que de là-haut, j'espère que tu l'es aussi.
Je suis une chouette fille, je n'ai jamais été fausse, et j'ai le coeur sur la main. J'aime pas qu'on m'emmerde et je suis impulsive, deux traits de caractère que je te dois à toi ainsi qu'à ta maman, mais en dehors de ça je suis douce & gentille, attentionnée & persévérante, j'ai plein de rêves et je déborde d'humanité.
Bref, à bientôt papy!
Laisse-moi oublier que tu n'es plus, je ne veux plus t'écrire toute ma douleur et tout mon chagrin, je l'ai déjà écrit mille fois, sur tous les supports et sur tous les tons et maintenant dans l'intime autant que dans le public (pour pas longtemps néanmoins, mais si jamais tu ne m'as pas toujours pas lue, maintenant tu me liras en même temps que des dizaines d'autres gens, tu ne peux plus y échapper!). Laisse-moi juste savourer le fait de pouvoir lui retéléphoner, lui rendre visite un jour très bientôt, pleurer de joie à l'idée de la serrer dans mes bras et de revoir son sourire, je prendrai soin d'elle je te le promets, elle que tu as aimée si étrangement...
PS: S'il y a des sardines dans le ciel, s'il te plaît sois gentil (même si ça doit être de l'hypocrisie), prépares-en moi quelques unes pour quand j'arriverai. Peut-être pas tout de suite tout de suite hein, car je compte vivre encore un peu, mais quand tu verras venir le moment... Peut-être même qu'on la fera finalement, cette paix? Quand les années auront passé et que je n'aurai plus rien d'une enfant, peut-être que tu pourrais me serrer dans tes bras? ...
Il y a de plus en plus de monde qui m'attend là-bas, il y en aura de plus en plus, mais si tu pouvais te joindre à eux ce jour-là, je le remarquerai ne t'en fais pas...