Je crois que tout le monde n'est pas forcément au fait de quelles sont les positions de LFI vis-à-vis de la Russie, parce que leurs militant.e.s nient en bloc dès qu'on les confronte (j'ai essayé
même avec des choses archi-sourcées et factuelles
) et appliquent la stratégie du "plus c'est gros, plus ça passe".
Petit retour donc sur leur attitude envers la Russie, qui n'a pas bougé d'un poil en 10 ans.
Il y a 10 ans, l'armée russe a pris par surprise la Crimée, en s'emparant du jour au lendemain de tous les points stratégiques, et
en kidnappant et torturant à mort ceux qui s'y opposaient.
On a également vu par satellite des blindés russes franchir la frontière terrestre avec l'Ukraine, et des agents du FSB ont été identifiés parmi les pseudo "manifestants pro-russes" prétendant les accueillir avec joie.
Face à cette agression unilatérale, François Hollande, à l'époque président, annule les commandes de navire de guerre passées par la Russie à la France sous Sarkozy. La Russie s'étant approprié les bases navales ukrainiennes, de tels navires pourraient être utilisés pour prendre Odessa, Mykolaïv ou Marioupol par la côte. Et puis par principe, on ne vend pas des armes à un Etat qui viole à ce point tous les principes du droit international.
Mélenchon se fait l'avocat du maintien des livraisons d'armes lourdes à la Russie, affirmant que
les commandes doivent être honorées (contre l'avis du Parlement, qui a voté cette annulation). Pire, il célèbre même la prise de la Crimée, qui ouvre la voie à
10 ans de répression, de violences politiques et d'exécutions sommaires pour les Tatars de Crimée, comme une "
bonne nouvelle".
Parmi les argument avancés par M. Mélenchon pour continuer à fournir des armes à la Russie après que celle-ci ait envahi l'Ukraine, il y a l'assurance que "la Russie ne cherchera pas à prendre d'autres territoires que la Crimée". Etrange déclaration quand l'armée russe est déjà présente dans les oblasts de Donetsk et Louhansk, frontaliers avec la Russie. M. Mélenchon fait semblant de croire que les blindés russes qu'on a vus passer la frontière "se sont perdus", que les soldats russes identifiés sur place y sont allés "sur leurs vacances", et que les hommes en armes non-identifiés sont bien des séparatistes ukrainiens et pas des soldats russes,
bien que les russes eux-mêmes revendiquent l'inverse.
A l'inverse de M. Mélenchon, qui affirmait que Poutine n'avait aucune revendication territoriale en dehors de la Crimée, Boris Nemtsov, un célèbre opposant libéral russe, enquêtait sur les manoeuvres de la Russie en Ukraine et n'était absolument pas de cet avis. M. Nemtsov a été une des figures majeures du libéralisme politique russe; il faisait notamment partie, avec Anna Politkovskaya (assassinée en 2006), des personnalités publiques appelées à venir dialoguer lors de
la prise d'otages du théâtre de Moscou à la suite de la guerre d'indépendance de la République Tchétchène d'Ichkérie. Si Nemtsov a survécu 9 ans après Politkovskaya, il a lui aussi été assassiné, en 2015, à deux pas du Kremlin, alors qu'il s'apprêtait, d'après ses proches, à publier une enquête conséquente sur l'invasion russe de l'Ukraine. Suite à ce meurtre, M. Mélenchon a choisi d'exprimer son soutien et sa sympathie à...
M. Poutine, "première victime de ce meurtre", selon lui, car cela ternirait sa réputation. La vraie victime, celui qui a été assassiné, aura pour sa part droit à
un torrent d'injures sur le blog de M. Mélenchon.
Ce n'est pas, comme le réclamaient Pologne et Pays baltes, une réponse forte de l'Occident qui a stoppé la progression russe en Ukraine, mais le fait qu'
après avoir abattu un avion de passagers qui survolait l'Ukraine, les Russes ont estimé que le moment était venu de se faire un peu plus discrets. Mais à ce moment-là, Poutine avait un nouveau jouet qu'il ne pouvait pas remiser au placard:
la milice privée Wagner, fondée par Evguenyj Prigojine et nommée d'après le compositeur préféré d'Adolf Hitler. Une armée de l'ombre n'ayant pas d'existence officielle, c'était ce dont avait besoin Poutine pour sa guerre dans le Donbass, dont il niait l'existence. Après 2015, Poutine a besoin d'un champ d'entrainement pour son armée et ses mercenaires et choisit pour cela la Syrie, où le régime d'Assad était sur le point de tomber face aux révoltes populaires. Pendant que l'armée régulière russe mène une campagne de bombardements massifs aux côtés d'Assad, les mercenaires de Wagner sont envoyés
terroriser la population par leurs exactions, et surtout, en les rendant publiques. Diffuser des images de meurtres, tortures et mutilations est leur marque de fabrique (évitez donc de regarder quoi que ce soit en lien avec eux sur les réseaux sociaux. Sérieusement. Les liens que j'ai partagés sont relativement safe, enfin autant qu'il est possible de l'être sur le sujet).
La réaction de M. Mélenchon à l'envoi de troupes russes en Syrie? Il est "pour". C'est
"du bon boulot". Il qualifie les avancées d'Assad de "
douce revanche". Etrange, que le leader du parti s'affirmant comme le champion de la cause palestinienne en France apporte un soutien sans limite à Bachar Al-Bassad, alors que celui-ci a, entre autres,
bombardé des camps de réfugiés palestiniens. J'ai bien essayé de poser la question à des Insoumis lors d'un rassemblement pro-Palestine, à mon "que pensez-vous de la position de M. Mélenchon sur la Syrie?" j'ai eu des regards gênés, des "je sais pas", des "nous on est juste une organisation citoyenne" (malgré les drapeaux LFI présents) et un "LFI a toujours voté pour le soutien à l'Ukraine!" (c'est faux Monsieur, et ce n'était pas ma question, mais le bougre a insisté pour remettre ça sur le tapis, quel que soit le nombre de fois où j'ai tenté de recadrer le débat sur la Syrie. Ou de lui sortir les votes anti-Ukraine des Insoumis.)
Jusqu'au 22 février 2022, la ligne de M. Mélenchon était "
la Russie n'est pas une menace, c'est un partenaire". Etrange de qualifier de partenaire le pays qui nous envoie ses armées de trolls et cyberattaques pour nous déstabiliser, et de cracher au passage à la figure de nos vrais partenaires, Estonie, Lettonie, Lithuanie, Pologne, membres de l'Union Européenne en demandant: "
Pour quelle raison devrions-nous assumer les querelles des Lettons ou des Estoniens avec la Russie, qui durent depuis mille ans ?". Ce que M. Mélenchon nomme "querelles" (ce qui impliquerait une part de responsabilité des victimes), c'est "avoir vécu sous occupation russe" et "avoir été déporté en masse de leur pays natal". Après tout, le mépris de Mélenchon pour les pays baltes (coupables, aux yeux de la gauche française, de 2 crimes: s'être affranchi les premiers de l'Union soviétique, et se porter beaucoup mieux depuis)
est connu de longue date. Quant à l'Ukraine, même pas la peine de se poser la question de la soutenir, puisque moins d'un mois avant que la Russie ne lance l'invasion à grande échelle (et 8 ans après le début de la guerre), M. Mélenchon affirmait que "la menace n'existe pas". Quand moins d'un mois plus tard, il ne peut plus nier la guerre qui est en train de se dérouler, changement de ton, on passe de "la Russie est gentille et pacifique et ne menace personne, contrairement à l'OTAN", à
"Pensez-vous qu'elle [l'Ukraine] soit en état de résister à la Russie, sur le terrain la guerre est perdue"
. (elle résiste depuis près de deux ans et demi, et la ligne de front n'a quasiment pas bougé depuis 1 ans malgré les 6 mois pendant lesquels l'aide américaine a été bloquée par les agents du Kremlin).
Entre "la Russie ne menace personne" et "la Russie est tellement dangereuse que ça ne sert à rien de lui résister", il existe un point commun: dans tous les cas, ça ne sert à rien d'organiser la défense face à la menace russe. Il faut donc laisser faire, c'est le dénominateur commun prises de position de M. Mélenchon, et avec lui, de LFI, dont les députés sont les seuls, avec les élus PCF, à avoir voté contre le soutien à l'Ukraine au Parlement. Le RN, dont les liens avec le Kremlin venaient d'être exposés
dans un article très fouillé Washington Post, avait choisi de tenter de se faire oublier et s'était abstenu en baissant les yeux. Les députés de la France insoumise étaient en revanche
très fiers d'être allés plus loin que le RN dans leur soutien à la Russie. Je suis peut-être naïve, mais à une époque je croyais que, même si on avait pas suivi la géopolitique européenne depuis 10 ans, entendre des élus de gauche se vanter de faire ce que le RN voudrait faire, mais n'ose pas, on devrait réaliser que ça pue. (vous noterez au passage que le texte contre lequel LFI a voté ne contenait aucun des élements cités par M. Bompard).
Déjà en 2022, le seul vote CONTRE le soutien à l'Ukraine et la condamnation de l'agression russe au Parlement était un vote LFI. Les autres élus LFI se sont abstenus, aucun n'a voté pour. En 2024, nous sommes passés à 1
00% de votes CONTRE le soutien à l'Ukraine de la part de LFI au Parlement.
Les positions de LFI ont donc été:
- ne pas organiser de stratégie européenne commune quand les services de renseignements nous ont informés qu'une guerre de grande ampleur se préparait parce que "on les croit pas, ils disent ça parce que l'OTAN c'est mal" (un lien de causalité que je peine à suivre)
- pas de livraisons d'armes à l'Ukraine parce que les armes c'est pas bien (dommage qu'ils n'aient pas été du même avis quand il s'agissait d'en livrer à la Russie)
- pas de sanctions envers la Russie qui pourraient impacter leur économie (donc le financement de leur guerre) parce que ça ferait perdre du pouvoir d'achat aux Russes (clairement un problème qui m'empêche de dormir la nuit)
- de toutes façons l'Ukraine est perdue donc laissons-la être perdue; le régime de Poutine sortirait ainsi renforcé par sa victoire militaire, pourrait s'approprier les ressources naturelles de l'Ukraine (plus grand pays d'Europe); faire passer la conscription forcée dans toute l'Ukraine comme elle le fait maintenant dans les territoires occupés pour forcer les hommes à se battre contre leur propre pays
- une fois que cette armée russe renforcée, galvanisée, et soutenue par une économie intacte se trouve aux portes de la Pologne, retirer les bases de l'OTAN de la Pologne afin de la laisser sans défense si Poutine souhaite poursuivre.
- comme on parle élections européennes et que la Pologne est membre de l'UE, prenons un peu de temps pour les écouter sur le sujet. Ci-joint, la réaction de la gauche polonaise aux déclarations de leurs homologues français,
dans sa version officielle. Et ici, la version, hm, disons
un peu plus personnelle et moins policée.
La ligne actuelle de LFI est de demander un cessez-le-feu immédiat en Ukraine, ce qui signifie: laisser la Russie garder sous son contrôle les territoires présentement occupés et y continuer ses exactions; lui laisser du temps pour préparer la suite de son offensive. La demande d'un cessez-le-feu favorable à la Russie est commune à plusieurs candidats aux élections européennes, outre l'extrême-droite (qui n'a pas changé de ligne même si elle s'est fait discrète), c'est aussi le cas du Parti Communiste Français et de Lutte Ouvrière.
Et s'il est nécessaire d'expliquer pourquoi demander un cessez-le-feu à l'heure actuelle, c'est se porter complice de crimes contre l'humanité, je reviens quand j'aurai mangé.