J'ai toujours mille choses à dire sur mon père, l'image que j'en ai, son personnage, tout est particulier.
Quelles sont tes relations avec ton père ?
Aujourd'hui, elles sont plutôt saines. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Comme je le répète souvent, j'étais le rêve de mon père. Il a eu une sorte d'illumination très jeune, il a su qu'il aurait une fille et que cette fille ce serait moi, pas une autre. J'étais exactement comme il m'avait rêvée. Enfant, j'étais la princesse, la fierté de mon père. Il a découvert qu'il était malade quand j'avais 3 ou 4 ans et il a commencé à être très dur avec moi. Je devais me comporter en enfant modèle, je lisais du Baudelaire à 4 ans, à 5 il me faisait faire des dictées, il m'emmenait voir des films en noir et blanc, muets, ou très vieux et je devais me taire et rester calme pendant toute la séance. Il fallait ensuite que je lui prouve que j'avais bien tout suivi et que ça m'avait fait quelque chose. Il me faisait faire des nuits blanches, m'emmenait avec lui pendant ses virées entre amis pendant deux, trois jours d'affilée parfois. On rentrait souvent en taxi et on regardait le soleil se lever ensemble, ensuite il allait se coucher et moi je devais aller à l'école. Ma mère l'a quitté quand j'avais 6 ans, donc je le voyais beaucoup moins souvent, mais c'était toujours de manière décousue, sans horaires fixe, à dormir à droite à gauche. Il continuait à me modeler, mais le fait qu'on ne vive plus sous le même toit et que je grandisse sans son ombre a fait que je me suis un peu éloignée de ce qu'il voulait que je sois. Sinon aujourd'hui je ferais du saxophone, j'aurais mille diplômes, je serais une bête dans toutes les disciplines et je maitriserais les arts martiaux à la perfection. Sauf que non.
On a passé une longue période sans se voir pendant mon adolescence, à cause de problèmes divers, et on a eu beaucoup de mal à recréer des liens. Ca ne fait que depuis que j'ai 18 ans que j'ai vraiment retrouvé mon père, celui dont j'ai été séparée à 11 ans. Maintenant ça va, je sais lui dire non, lui tenir tête, et il sait l'accepter. Il est capable de s'excuser et de rire des choses qui le mettaient dans une colère noire auparavant. Il reste cependant très exigeant, voire capricieux, et ne semble pas comprendre que plus je grandis, plus je m'éloigne. Il aimerait être ma priorité numéro un, même si il ne l'admettra jamais. La seule et unique personne devant laquelle il acceptera de s'effacer, de laisser "sa place", ce sera un mec (sérieux hein). Il aimait beaucoup mon ex par exemple, et ça ne le dérangeait pas de moins me voir quand on était ensemble, parce qu'il me savait heureuse et qu'il attendait ça depuis très longtemps.
Entre vous c'est la guerre, ou la grande complicité ?
Un mélange des deux. Mon père est le seul à me comprendre entièrement, à accepter toutes les facettes de ma personnalité, là où ma mère préfère ne pas s'aventurer. Ca me permet d'avoir un bon équilibre. Lorsque je suis avec ma mère, tout est plus léger, je ne me bats pas contre moi même, je ne pense pas à ce qui me gêne, m'intrigue, m'inquiète chez moi. Et quand je retrouve mon père, on peut en parler calmement. C'est un homme extrêmement cultivé, qui a passé sa vie à lire, apprendre, étudier, analyser etc. du coup il a les outils nécessaires pour répondre à toutes mes interrogations. Il nous est arrivé de rester plus de dix heures au téléphone pour faire le tour d'un sujet. Quand il s'inquiète pour moi, c'est avec le plus grand calme, et c'est rassurant. Il y a certains sujets (les études, certains domaines qui ne m'intéressent pas à son plus grand regret, la façon de voir/vivre certaines choses etc.) sur lesquels nous sommes farouchement opposés, mais là où lui s'entête encore, j'ai appris à rester calme et à passer au-dessus. Lui, il tolère simplement, et c'est déjà beaucoup.