Par un froid matin d'hiver, alors que je me rendais dans un cours en petit comité avec une prof qui me terrorisait et à laquelle je devais présenter un exposé, j'ai retrouvé un très bon ami à moi dans un bus bondé. Comme d'habitude à cette heure-là, le bruit des bavardages était faible et l'on n'entendait que la radio du chauffeur. Mon ami, qui ne cesse jamais, jamais de parler, se heurtait depuis de nombreuses minutes à mon inhabituel silence maladif. Je stressais, j'étais mal, je ne pouvais penser et ne m'intéresser à rien d'autre qu'au pilori vers lequel je me rendais. Et soudainement, mon ami s'est arrêté de parler. Il m'a regardé, s'est mis à rigoler, puis a commencé à accompagner à tue-tête la chanson de Cher qui passait à la radio, devant les yeux éberlués et les oreilles traumatisées des autres passagers. Il gigotait, chantait de plus en plus fort en s'enfonçant gaiment dans le ridicule. J'ai fini par exploser de rire (comment faire autrement ?), et je suis arrivée détendue à mon cours.
Ce n'est qu'une anecdote, ce n'est qu'un bref moment de nos vies, je ne sais pas si lui-même s'en souvient mais moi, je ne l'oublierai jamais. Ce qui m'a touché, ça n'est pas qu'il se soit ridiculisé pour me faire rire, c'est qu'il a accepté mon stress, ne m'a pas posé de question et a pourtant tenté de manière très naturelle et spontanée de me détendre. Il a repéré mon malaise et m'en a sorti. C'est très simple, et pourtant j'ai trouvé dans ce geste l'expression de la véritable amitié et c'est cette constatation, plus que le rire qu'il avait provoqué, qui m'a calmée. Il a été mon héros, ce matin-là.