J'aime tellement, tellement le Louvre... J'aime mettre mes petits pieds dans des traces de pas royales, tatouées là il y a plusieurs centaines d'années, j'aime la salle de bal d'Henri II, le baldaquin de Louis XIV enfant et les appartements de Napoléon III, j'aime les oeuvres qui y sont exposées et dénotent. J'aime les sphinx, les tessons et Courbet, j'aime les corps fabuleux des éphèbes et les touches de Fragonard et Vigée-Lebrun, j'aime la fraîcheur du marbre et la chaleur des plafond peints. J'aime l'atmosphère feutrée et légèrement poussiéreuse des tapisseries, les grands espaces frais et l'escalier de Samothrace, j'aime y courir pour ne pas arriver en retard, bousculer les passages dérobés et rejoindre mes amies de cours. J'aime déballer mes affaires sur les socles des statues en prenant surtout garde à ne pas effleurer, abîmer, éroder ; écouter et apprendre, avaler à foison.
Mais je n'ai pas la mémoire pour. Mon cerveau sature face à tant de grandeur, toute l'Histoire traversée pour en arriver là, à ce point où je ne suis qu'un petit rien devant tant de belles choses. Je ne traverserai pas les siècles - jamais - et j'éprouve toutes les difficultés du monde à me souvenir de ceux qui précèdent et apportent. Je dois vivre le temps pour en capter les détails, mais mon esprit hurle lorsqu'il n'a plus de place, plus même la moindre phalange pour encore toucher l'esquisse magnifique d'un grand peintre. Je suis avalée par un trop-plein de beauté, comme un gouffre à me jeter pour mon insignifiance. Et si je ne méritais pas d'être là ?
Parfois, je perce dans les petits regards peints une moquerie à peine trahie, le sentiment que ma mémoire sature car je ne peux prétendre à. Ne suis pas assez bonne pour. Ai perdu ma place.
J'aime tellement cet endroit... Je ne souhaite pas être rejetée. Je veux encore avaler, avaler, absorber à en éclater la peinture et fissurer mon vernis. M'en craqueler le ventre.