J'ai trois adelphes. Seul le troisième, mon petit frère, est sincèrement aimé, je pense, par mes parents : ma mère parce que Mathieu ne fait que ce qui lui plaît et arrive à ne jamais en payer les conséquences, et mon père parce que ce fils est le rebelle nonchalant qu'il aurait voulu être.
Mon frère aîné, ça va encore, il a un métier assuré, il conduit, il se débrouille, il est prudent. Bref, c'est quelqu'un à qui il n'arrivera jamais rien, et c'est cool pour lui.
Ma soeur est handicapée : elle a beau avoir dépassé les trente ans, dans sa tête ça oscille entre douze et quinze ans. Avec ça elle a son bac (c'est d'ailleurs la seule d'entre nous à l'avoir décroché avec une mention), son permis, elle conduit, elle bosse dans une entreprise d'entretien paysager, elle fait du sport à un haut niveau (sport adapté), etc. Bref, elle fait ce qu'elle peut pour plaire à nos parents, même si elle vit dans un foyer parce que la vraie vie, elle n'est pas capable.
Et puis il y a moi, la ratée. Celle qui promettait beaucoup (enfin ils trouvent, j'ai juste été une bonne élève jusqu'à ce que mes problèmes mentaux prennent le dessus). J'ai péniblement raté mes études (pas de master pour moi, j'ai fait un burn-out avant, mais une maîtrise qui ne vaut rien aujourd'hui), j'ai fait plusieurs tentatives de suicide, j'ai échoué trois fois au CAPES, j'ai raté deux fois le permis de conduire, et je ne l'ai toujours pas, j'ai un boulot précaire et je ne fais rien pour m'en sortir. Ah, et ils trouvent que mon travail ne me va pas (et ils n'ont pas complètement tort, si tout va bien c'est ma dernière année, mais j'aurais aimé qu'ils arrêtent d'essayer de me dissuader pendant plus de dix ans). Je cumule un SSPT suite à un viol incestueux quand j'étais gosse (évidemment mes parents ne se sont rendus compte de rien), un TDAH non détecté (à l'époque ça n'existait pas - j'ai trente-neuf ans - et comme de toutes façons je suis sur le versant inattentif, on ne m'aurait jamais diagnostiquée car aucune difficulté scolaire), une dysthymie assez lourde (le psychiatre dit que si l'humeur moyenne des gens est à zéro et oscille de moin trois a plus trois, la mienne est à moins quatre ou moins cinq, peut beaucoup descendre mais jamais monter au-dessus de moins deux), bref, je les fais chier. Et j'ai aussi un mal fou à me détacher de ce qu'ils pensent et attendent de moi. Et oui, ça me fait chier de payer aujourd'hui, que ce soit en santé mentale, en temps ou en argent, les dégâts que d'autres m'ont causé.