Tout d'abord, ce blog est immonde. Que la personne se pense sincèrement transgrosse ou non, la façon dont elle agit est violente et blessante envers à peu près tout le monde, y compris des personnes qui n'ont rien à voir avec le sujet (la sortie sur les enfants zambiens qui meurent de famine parce qu'ils ont fait de mauvais choix de vie est juste hallucinante). Le blog est parsemé de piques gratuites comme ça (le narcissisme des personnes trans, la récupération de termes un peu partout, le policage du langage pour des raisons absurdes) et s'accompagne de gentils discours politiques disant par exemple qu'elle espère voir Bernie élu pour avoir des aides sociales alors qu'elle en a pas besoin. Je ne suis pas allée jusqu'à la fin du blog pour voir si elle parlait d'autre chose que d'activisme et de politique (sérieusement, ce fut violence que de lire ce torchon, ça m'apprendra à tenter de lire l'intégralité d'un truc plutôt que de répondre à chaud mon opinion
), donc je ne peux pas affirmer que c'est le cas (peut-être qu'au fin fond du blog c'est différent, qui sait) mais j'ai vraiment le sentiment que pour une personne qui se dit "transgrosse" y'a rien dans son blog qui parle de comment faire pour "transitionner" et devenir grosse. Je la soupçonne d'avoir créé ce blog avec des intentions malveillantes envers les minorités qui parlent de leurs oppressions, les gens qui font de l'activisme social sur tumblr, et toute personne qui a besoin d'aide ou qui pense que c'est une bonne chose d'organiser la société pour aider les gens. Et qu'elle soit volontairement malveillante ou inconsciente de la portée de son discours, elle est quand même violente, insultante, agressive, et pénible à lire.
Bon, donc du coup, on ne peut pas dire que je sois de charmante humeur, et j'ai peur que ça s'en ressente dans la suite de ce post (faut dire que je suis trans, que j'ai été dysmorphique et que je me suis perçue comme plus grosse et baraquée que je ne le suis vraiment, que le tiers de mes revenus consistent en diverses aides gouvernementales, c'est dur de pas se sentir visée). Je tiens à dire qu'utiliser ce blog comme point de départ d'une réflexion, si c'est compréhensible, est quand même maladroit. En tant que personne trans, j'ai un besoin vital d'avoir accès à des soins, et à être reconnue comme légitime dans mon identité. Le militantisme, et les demandes de la communauté trans, consistent en des choses comme l'arrêt des stérilisations forcées, et la réduction des taux de mortalité ahurissant de cette population (pour beaucoup de raisons diverses, que ce soit les taux de suicides et de tentatives de suicide, ou les meurtres des personnes trans qui en pourcentage sont beaucoup plus élevées que le reste de la population - je n'ai que les stats des US sous la main, mais aux US une personne trans sur deux a fait une tentative de suicide dans sa vie, et une femmee trans sur douze finit assassinée). Ces problèmes sont doublement plus vrais pour les femmes trans, et doublement plus vrais pour les trans racisés, et doublement plus présents pour les femmes trans racisées. Je sais bien que la légitimité des personnes trans et de leur identité n'est pas remise en question dans ce sujet; mais il faut entendre que du coup, c'est une question qui est émotionnellement prenante en soi, et on a beaucoup plus en jeu dans la réponse que pour des personnes pour qui c'est théorique.
Répondre à ce genre d'interrogations est d'ailleurs assez périlleux, parce que c'est au croisement de plusieurs oppressions, en l’occurrence nous parlons ici transphobie, racisme et validisme, et je ne vis pas les deux derniers, donc beaucoup plus à même de dire des bêtises sur ces deux sujets-là. Mais je vais tout de même tenter une réponse, n'hésitez pas à me reprendre si je dis une bêtise.
Le genre participe à la construction de l'identité d'une personne. Enormément de choses dans notre identité sont genrées, la première qui me vient à l'esprit ce sont les prénoms (et je vais travailler avec cet exemple). Les prénoms qu'on porte sont masculins ou féminins, sauf pour un tout petit nombre d'entre eux (pour des raisons historiques je suppose); mais il n'y a pas de prénoms "de grosse" ou lié à un certain handicap, il n'y a pas non plus de prénom "de racisé" mais il y a des prénoms qui sont issus de certaines cultures et qui y font écho.
Si le genre est quelque chose de culturel et malléable, s'il n'y a rien de vraiment fixe et dicté par la biologie ou la nature ou quoi que ce soit, si les stéréotypes de genre sont des stéréotypes, et si tout cela change au fil du temps (ainsi, certains prénoms ont changé de genre au cours de l'histoire: par exemple, marion, ou cecil étaient à l'origine des prénoms masculins), force est de constater que le genre est un cadre avec ou contre lequel on s'identifie. L'identification à un genre n'est pas une expérience ou un vécu, mais l'identification à un genre entraîne ensuite un vécu. C'est le point de départ et pas la conclusion.
C'est différent pour le corps. On est un corps, mais notre corps est aussi différent de soi. Le rapport qu'on a avec son corps, et le rapport ou l'image que la société a avec certains types de corps forme des expériences et un vécu, c'est vrai. Mais il ne forme pas l'identité de la même manière que le genre la forme. Il n'y a pas de prénom, de désignation et d'autodésignation personnelle lié à un type de corps, on ne se définit pas comme ça par rapport à son corps. Et voir son corps se modifier ne change pas fondamentalement qui on est, même si ça peut changer beaucoup de choses à propos de qui on est: mince ou grosse, handicapée ou valide, je suis et je reste Jolene - je ne peux pas en dire autant à propos de mon identité de genre: je ne suis pas la même personne si cette donnée change.
Le racisme et la race fonctionnent de manière similaire (mais pas identique) dans le sens où ils n'existent que comme oppression. Qu'une personne soit définie comme noire, ou arabe, ou racisée de manière générale, ça permet de la catégoriser, et cette catégorisation permet de la classer dans une hiérarchie sociale. Par contre, son origine, son prénom, tout ça porte un héritage culturel et construit l'identité d'une personne - mais rien de tout cela n'implique la catégorisation et la hiérarchisation sociale du racisme. Et encore une fois, le racisme construit un vécu, une expérience, mais ne constribue pas à définir la personne en tant que telle: le racisme, ça ne dit rien sur qui elle est, mais ça en dit long sur comment on la voit. On ne peut donc pas avoir de "transrace" parce que les races n'existent pas; on ne peut pas non plus avoir de "transculture" parce que la culture est quelque chose de donné; par contre on peut avoir le désir d'appartenir à une autre culture, et de travailler à s'y intégrer lorsque c'est possible.
Le genre, le corps, et la race ne fonctionnent pas de la même façon dans la construction de l'identité d'une personne. Et parler de transidentité pour autre chose que le genre, c'est appliquer de façon erronée à une identité quelque chose qui est propre au seul phénomène du genre.