Si jamais tu mets le doigt sur ce que tu as l'impression qu'il manque, mentionne moi, ça m'intéresse
(Ah oui bien sûr ! C'était juste pour souligner qu'on va souvent qualifier les œuvres populaires de "sous-littérature" parce qu'artistiquement et intellectuellement c'est très faible, en oubliant que dans certains milieux ce qui compte c'est avant tout le divertissement, la détente et la facilité, et que de toute façon on n'a pas les références artistiques pour se permettre de juger sur ce point là. Un peu comme si quelqu'un disait que les mangakas ne savent pas dessiner parce que les proportions ne sont pas respectées, sans se poser la question de la culture dans laquelle ils ont été créés. Tu vois ce que je veux dire ?
)
Disons que pour moi c'est un des principaux sujets sur lesquels on peut agir individuellement et au quotidien, mais qui est largement sous-estimé. De la façon où je comprends le mot, le classisme c'est le fait que ta CSP (plus précis que classe sociale) détermine ta liberté d'action et ton identité ou du moins la façon dont elle est perçue. Pour lutter contre ça, il faut évidemment rééquilibrer les capitaux économiques, mais c'est quelque chose qui se joue au niveau du système en lui-même et des pouvoirs politiques en place. Alors que lutter contre les stéréotypes ou la dévalorisation de certaines cultures c'est un peu à tout le monde de le faire !
Pour faire un parallèle avec la lutte contre le sexisme, certains vont te dire que l'égalité des salaires c'est suffisant, que le reste relève des individus et que libre à toi de dépasser les stéréotypes de genre si t'es assez malin. A mes yeux, les deux relèvent du féminisme et l'un n'est pas plus important que l'autre. J'ai même tendance à penser que quand les mentalités auront changé, les différences économiques se règleront en un claquement de doigt.
Je crois que ce qui me chiffonne est récurrent lorsque je suis confrontée à la sociologie : d'une part ce sont des concepts éclairants, d'autre part, ben je trouve qu'ils réduisent toujours la réalité. Alors oui, je sais une typologie c'est par définition un peu réducteur... mais bref. Je vais illustrer pourquoi ça me pose souci ici.
Je reprends le contexte de mon père parce que je le connais de près. C'était clairement une famille très très modeste - père ouvrier, un seul salaire... - à part le petit dernier qui a étudié un peu, toute la fratrie a été rapidement au travail. (Cela dit, pour l'un d'eux, ça a très bien marché économiquement : il a pu monter son affaire qui marche bien...)
Bref "capital culturel pauvre", parents sans diplôme, etc. MAIS le papa jouait de l'accordéon, encourageait ses enfants à faire de la musique et plusieurs en ont fait : flûte à bec, guitare, chant choral... Alors modestement, forcément. Il n'y aurait pas pu avoir de harpe à la maison.
Autre exemple, le mouvement féministe auquel je participe travaille avec les milieux populaires (entre autres). Il y a des ateliers créatifs et j'ai vu leurs créations (plastiques et théâtrale). Alors certes il y en a qui sont chouettes simplement parce que c'est l'expression de qqch, mais il y en aussi qui sont carrément géniales.
Bref, avec ces deux exemples, je veux dire qu'il y a un
art populaire, une
culture populaire.
Du coup parler de capital culturel pauvre, j'ai l'impression que c'est "pauvre" d'un point de vue "bourgeois" précisément. Parce que justement, la culture ce n'est pas connaître Husserl. C'est plein plein plein de possibilités. Et ce n'est pas parce qu'il n'y a pas la reconnaissance "bourgeoise" que ça n'est pas réel. Et ce n'est pas parce que c'est divertissant que ça n'est pas aussi culturel.
Par contre, la main mise du
marché sur la "culture populaire", ça c'est un autre problème. La TV (et je parle de celle qui, au-delà de divertir, formate les goûts, diffuse des idées stéréotypées malsaines - dont la consommation comme vecteur de bonheur) qui remplace l'accordéon de mon grand-père ou autre expression culturelle populaire, ça c'est un souci. Et c'est là, toujours pour en revenir à la pièce que j'ai vue, que ça mériterait d'être développé !
Et dire il y a des problèmes dans les classes (collège/lycée) parce qu'ils sont pauvres et qu'ils ne lisent pas Balzac... euh, non.
Je pense qu'une meilleure hypothèse (elle est toute fraîche dans ma tête et vaut ce qu'elle vaut) c'est qu'il y a une
conscience-inconsciente du fait que l'ascenseur social est franchement HS (je suis plus dure que
@Denderah sur le diagnostic de l’ascenseur). J'imagine ce qui se passe - toujours de manière relativement pas/peu consciente - dans la tête des ados : ouais bon, t'es gentil avec ta géo, ta trigo, ton Shakespeare et autre Hugo, mais on sait très bien que ça ne va pas nous sortir de la précarité. Je l'imagine bien parce que comme je ne trouve pas de travail, avec mon joli master, je suis allée faire une formation que je pensais plus pragmatique - en fait non, c'était beaucoup de blabla et de remplissage - "que" 6 semaines, heureusement. J'ai vite percuté que ça ne serait pas très efficace. Qu'on fait genre on forme les chômeurs. Alors bon : si je ne venais pas, je risquais précisément des ennuis avec le contrôle des chômeurs. Alors je suis venue. Je respecte les gens, donc je n'ai pas chahuté. Mais j'ai dessiné pendant toute la formation. (Comme l'examen était très facile et que mon cerveau enregistre un peu pendant que je dessine, j'ai quand même eu mon papier
.)
ça n'était
que 6 semaines. J'imagine les ados, avec ce manque d'enthousiasme, cette impossibilité d'y croire,
toute l'année.
Chaque année. Je ne les justifie pas. J'ai pas aimé être face à une classe.
Je voudrais que tout le système d'enseignement soit radicalement différent, ne soit pas une préparation au marché. Mais pour moi, ce qui est central c'est le capital économique. La précarité touche presque toutes les professions. Par contre, si 'papa-maman' ont une entreprise, un capital, un héritage familial, etc., qui permettra d'élaborer quelque chose, qui sert de filet, ou même d'avoir un accès facile au logement, alors "il y a de l'espoir" - plus que dans les autres situations.
Je sais que je suis un peu schématique (ce que je reproche justement à la socio
). Et j'ose croire qu'on (on = toutes les personnes qui ont des compétences
en tout genre mais pas de boulot ou un boulot précaire) va pouvoir créer quelque chose - je sais pas encore comment, ni avec quels moyens. Mais c'est la galère et le pouvoir du "capital culturel" (considéré comme tel), euh, j'ai des doutes. (Ce qui ne veut pas dire qu'il faut y renoncer, mais il ne permet pas de sortir de la précarité.)
Bon voilà, pensées nocturnes de mon cerveau qui pense en dormant et me réveille
. A voir à la lumière du jour si c'est clair
.