Ah ben sur la robe de Nathalie Portman, voilà qu'elle est carrément
considérée comme "offensante" par Rose McGowan...
Le cas de Rose McGowan me rend un peu triste à vrai dire et c'est un peu délicat à commenter, parce que clairement, c'est une femme qui a vécu des choses très dures et en a beaucoup souffert, mais en même temps, je ne suis pas fan de sa démarche.
C'est justement pour moi un des exemples des côtés "sombres" que peut avoir le militantisme sur nos vies en tant que militants. Elle-même a mis 20 ans à prendre la parole publiquement sur le viol dans elle a été victime (a priori, elle l'avait fait à son niveau à l'époque du viol, mais pas publiquement), et elle affirme que ça a ralenti sa carrière. Je ne comprends pas pourquoi maintenant, elle passe son temps à reprocher aux autres actrices de ne pas lever plus la voix et les bashe limite plus désormais par média interposé que les hommes de l'industrie en déclarant partout que ces femmes sont des hypocrites et qu'elle ne devrait pas s'exprimer. Elle devrait être l'une des premières à savoir à quel point c'est compliqué de parler et à quel point ça peut être difficile d'accepter une situation de discrimination/violence sexiste, à quel point ça peut prendre du temps d'exprimer les choses comme on le veut, et elle devrait aussi se douter que de nombreuses actrices ont sûrement vécu des choses similaires mais qu'elle ne le sait tout simplement pas (Nathalie Portman a raconté qu'elle avait tout fait pour se donner une image de fille coincée parce qu'elle a senti alors qu'elle n'était qu'une préado qu'elle était en danger sur les plateaux, parce qu'on la sexualisait en permanence alors qu'elle n'avait que 13 ans, que sa première lettre de fan reçu à cet âge c'était un homme adulte qui lui racontait son fantasme de viol, que ça a orienté une grande partie de ses choix de rôle et de son image dans les médias, je ne crois pas qu'elle ait besoin de faire des trucs hyper radicaux pour avoir le droit de se sentir concernée par la lutte contre le sexisme à Hollywood).
Rose McGowan est restée dans l'industrie et à même tourné pour un film Weinstein (même si Rodriguez, le réalisateur, un mec, vend le truc comme si c'était pour "venger Rose" de la caster dans un film financé par Weinstein alors que ce dernier la blacklistait, ce que je trouve perso bien plus hypocrite de la part de ce gars que la robe de Nathalie Portman, surtout qu'il a ensuite continué à tourner pour Weinstein après mais bref). J'aurais cru que McGowan serait l'une des mieux placées pour comprendre les paradoxes psychologiques dans lesquels se trouvent les autres actrices. Parce que là, Nathalie Portman, ce n'est même pas une de ses collègues qui a fermé les yeux quand elle est jeune et à qui elle en veut, c'est juste une meuf qui n'en fait pas assez à son goût, et je trouve ça dommage qu'elle s'en prenne à elle en disant que son attitude est une insulte et qu'elle est le problème.
En fait, je trouve que la colère est un moteur très précieux d'un point de vue militant, elle peut être hyper saine et nécessaire quand elle sert de moteur à l'action et qu'elle permet de briser le status quo, de secouer les esprits, de nous pousser à militer, lever la voix et réagir, de réaliser que nos limites sont dépassées, qu'on n'est pas obligé de tolérer ça, c'est un éveil. Mais le danger de la colère militante, c'est qu'on peut finir par s'identifier entièrement à elle et alors ce n'est plus vraiment constructif, juste une colère qui nous autodétruit et n'a rien de fertile, une colère sans laquelle on ne sait plus bien qui on est, on perd de vue ce qu'on cherche à atteindre vraiment.
Parfois aussi, c'est une façon de fuir nos propres traumas, ce qui n'est pas une critique, car on survit comme on peut, mais au bout d'un moment, s'enfermer dans sa colère parce que c'est trop dur de regarder en face la souffrance de ce que l'on vit au quotidien, ça peut nous faire beaucoup plus de mal que de bien.
Bref, brandir fièrement la colère contre tout et tout le monde, en toute circonstance, je trouve ça assez toxique et dangereux pour "la cause", et la culture cancel découle directement de cet aspect un peu toxique de la colère je trouve.
Sinon, voici une partie de la réponse de Portman (traduit et repris dans Le Figaro pour les non anglophones)
Je suis d’accord avec Mme McGowan, il est inexact de dire que je suis "courageuse" pour avoir porté une tenue avec des noms de femmes brodés dessus. "Courageuse" est un terme que j’associe bien plus aux actes des femmes qui ont témoigné contre Harvey Weinstein ces dernières semaines, et ce, alors que pesait sur elles une pression incroyable.
Ces dernières années ont vu fleurir des opportunités pour les réalisatrices grâce à l’effort collectif de beaucoup de gens, qui ont dénoncé le système en place. Des films incroyables en ont été la récompense. J’espère que ce qui ne se voulait qu’un simple geste de soutien envers elles n’en fera pas oublier leurs grandes réussites.
Durant ma longue carrière, j’ai seulement eu la chance de travailler une poignée de fois avec des femmes cinéastes - j’ai fait des courts-métrages, des publicités, des clips et des collaborations avec Marya Cohen, Mira Nair, Rebecca Zlotowski, Anna Rose Holmer, Sofia Coppola, Shirin Neshat et moi-même. Malheureusement, les films que j’ai essayé de faire et qui ne sont pas sortis sont tombés dans l’oubli.
Les films féminins rencontrent d'énormes barrières pour leurs financements ou leur distribution. Si leurs films finissent pas se faire, les femmes sont confrontées à d’énormes obstacles durant leur réalisation. J’ai plusieurs fois essayé de faire engager des réalisatrices pour des projets, mais elles en ont été chassées par leurs conditions de travail.»
Natalie Portman a ainsi blâmé les «barrières à tous les niveaux» qui empêchent les films réalisés par des femmes d’être «représentés dans les festivals». «Alors je veux pouvoir dire que j’ai essayé et que je continuerai d’essayer, a-t-elle affirmé. Si je n’ai pas encore réussi, je cultive l’espoir que nous entrions bientôt dans une nouvelle ère»
@MorganeGirly la conversation me fait réaliser que j'ai bien entendu parler de la fameuse cape, mais que je n'ai vu nul part la liste des réalisatrices listées dessus...
Oui, du coup, on passe plus de temps à vérifier si Portman est une vraie militante que de dénoncer le sexisme et promouvoir les femmes au final (surtout que les médias trouvent bien plus intéressant de raconter ce qu'ils voient comme un crêpage de chignons entre actrices et de remettre en cause la pertinence des actions d'une femme que de présenter le boulot de femmes réalisatrices).
Apparemment, voici quelques-uns des noms qui apparaissaient sur sa robe :
Lorene Scafaria (“Hustlers”), Lulu Wang (“The Farewell”), Greta Gerwig (“Little Women”), Marielle Heller (“A Beautiful Day in the Neighborhood”), Melina Matsoukas (“Queen & Slim”), Alma Har'el (“Honey Boy”), Céline Sciamma (“Portrait of a Lady on Fire”) et Mati Diop (“Atlantics”).
Si ce qu'elle dit dans sa réponse à McGowan est vrai, qu'elle a vraiment vu des projets de femmes échouer, je trouve personnellement que c'est une façon plutôt astucieuse d'utiliser l'un des outils les plus efficaces qu'elle a disposition en tant qu'actrice, l'importance que son corps et la manière dont elle est habillée prennent aux yeux des médias, pour attirer l'attention et faire la publicité d'autres femmes. Je trouve ça dommage qu'on se précipite pour critiquer son initiative au lieu de sauter sur l'occasion pour saluer ces femmes.
J'y vois une sorte d'envie d'être légitime dans le mouvement, en se montrant superieur à d'autres sans le vouloir, mais ça gangrene aussi beaucoup les milieux militants. Au lieu de mettre tant d'efforts à se tirer dans les pattes, c'est des efforts en moins contre le patriarcat, ce qui ravies les mascus d'ailleurs.
Oui c'est vrai que sur les réseaux sociaux, il y a un peu de ça. Les réseaux sociaux sont créés sur le principe de la popularité, et j'ai l'impression que c'est pas facile d'échapper à ce travers, même dans le domaine de la justice sociale. Si on utilise les réseaux pour une cause politique, il y a quand même bien cette tentation de vouloir plaire à la communauté dont on se sent proche, ce qui créé un cercle vicieux où tout le monde s'observe de manière pas très saine.
Le pire je trouve, et on voit quand même ça assez souvent sur les réseaux sociaux ce qui montre bien le côté un peu pervers du principe de "plaire au groupe", ce sont les gens pas concernés par une discrimination qui veulent prouver leur engagement aux militants de la cause en question et vont faire la morale de manière super agressive et violente à un public concerné par la discrimination mais pas engagé (par exemple, une féministe blanche qui va aller incendier une femme noire parce qu'elle n'est pas assez virulente contre le racisme, ou un hétéro qui va engueuler un mec homosexuel qui a dit "je suis pédé" en lui disant que c'est mal d'utiliser des termes homophobes).