Vous vous réveillez un matin. Vous êtes seuls, dans une pièce, sans possibilité d'en sortir. Il fait noir, vous n'entendez rien, vous ne sentez rien.
Que se passe-t-il ?
C'était juste un réveil comme un autre. C'est ce que je pensais, quand j'ai ouvert les yeux. En fait, je n'y pensais même pas. Personne ne se dit en se réveillant "tiens, je me réveille". Non, on lève les paupières timidement, on se racle la gorge encore encombrée de tabac, on se dit qu'on doit puer de la gueule et qu'on prendrait bien une douche, on se dit qu'il est trop tôt, trop tard, qu'on a besoin d'un café, que l'homme prend trop de place ou que le chien nous écrase les pieds. C'est ça, un réveil comme les autres. Celui-là ne l'était pas du tout. Il était même plutôt flippant.
D'abord, je n'ai pas vraiment fait attention. Je me suis retournée, étirée. J'ai baillé. Puis j'ai cherché mon radio-réveil, cette saloperie qui sonne beaucoup trop fort beaucoup trop tôt, je l'ai cherché du regard pour connaître l'heure. Pas de lumières rouges. En réalité, aucune lumière, nul part. Ni filtrant à travers mes volets, ni provenant de la porte à demi vitrée de la chambre. Je me suis dit que c'était encore la nuit, un vieux réveil nocturne pour pourrir le sommeil.
Mais ça collait pas. J'étais trop bien réveillée, et puis même la nuit ce fichu radio-réveil indique l'heure en petits bâtons. Là, que dalle.
Il n'y avait même pas de bruit. ça non plus, je ne l'ai pas remarqué tout de suite. Mais ça m'a frappé d'un seul coup, quand j'ai commencé à réfléchir. Les filles de la voisine ne braillait pas, les voitures ne circulaient pas. Calme plat. Je me suis assise, droite dans le noir total. J'ai passé la main sur mon visage et en bougeant j'ai senti que je portais des vêtements. Tout mes vêtements, en fait.
Sans être Maryline Monroe et sa goutte de Chanel, je ne dors tout de même pas entièrement habillée. Et puis il n'y avait pas mon chien sur le lit. Apparemment pas non plus à côté, en train de remuer la queue. Pas l'homme dans les parages, ou il était très silencieux. Comme le reste du monde, en réalité.
J'ai eu peur. Trop d'inconnues dans l'équation, rien auquel mon cerveau ne pouvait se rattacher pour rationaliser. Je me suis levée, j'ai trébuché dans le noir. Debout, dans le vide, l'obscurité totale. Étrangement nue malgré mes habits. Comme vulnérable. Si quelqu'un, quelque chose, voulait m'attaquer, il pouvait le faire, je n'avais aucune défense, rien pour me protéger. Et s'il y avait quelqu'un avec moi ?
Je me suis secouée un bon coup.
Et j'ai paniqué.
Je me suis mise à courir dans le noir, en hurlant, presque en pleurant. J'ai heurté un mur, puis un autre. Je me suis affalée par terre, dans un coin, en boule. Les nerfs à vif, l'esprit à sec. Qu'est-ce qui se passe ? Ou est-ce que je suis putain ? Je pensais m'être endormie chez moi, mais mon cerveau était nourri de tant d'émotions qu'il tournait à vide.
J'ai attendu, toujours repliée sur moi même. Le bruit n'est pas revenu, la lumière n'a pas pénétrée dans la pièce. Je pensais aux films d'horreur, aux héroïnes qui se font buter sans même remuer tellement elles sont paralysées par la trouille. Je me fiche d'elles à chaque fois. Et là, j'agis comme elles ? Ah ça non, pas question. Je ne suis pas une trouillarde. Je l'ai chuchoté, une fois. Puis je l'ai redit à haute voix. Entendre ma voix m'a donné de l'entrain. JE NE SUIS PAS UNE TROUILLARDE. Cette fois je l'avais gueulé, hurlé à l'adresse de qui m'entendrait, de qui voudrait m'écouter. Je me suis levée. Ai passé ma main sur le mur. Un mur comme tous les autres, il n'avait rien de particulier, évidemment. Mais il était la première étape de ma phase Mère Courage.
J'ai laissé ma main dessus et j'ai commencé à avancer. Doucement, en comptant mes pas. Je suis arrivée à une quinzaine de pas et au coin du mur. J'ai recommencé, en comptant les coins, les pas, imaginant des mètres. A part le lit, il n'y avait aucun obstacle. Le lit, et la porte. Fermée. Une poignée qui ne tournait pas. Fermée. J'étais donc enfermée. Dans le noir. Dans un endroit affreusement silencieux. Affreusement vide.
Je suis retournée au lit. Je me suis assise dessus, j'ai attendu. Je n'avais rien d'autre à faire qu'attendre. Je pensais avoir été enlevée, j'étais terrifiée. Les films d'horreur, toujours. J'attendais qu'un psychopathe se pointe. Me tue. Je sanglotais un peu, de temps en temps. Me pinçais régulièrement, pour savoir si c'était réel, si tout ça existait vraiment. Puis j'ai du m'assoupir. Ou m'évanouir.
C'est le bruit qui m'a tiré de ma torpeur. Une sirène, qui me paraissait atrocement stridente après tout ce silence. Puis des bruits de portes qui claquent. ça y était. C'était la fin, la brute sanguinaire qui allait venir me tuer, faire des abats-jours avec mes tripes, se tricoter des moufles avec mes cheveux et se branler dans les lambeaux de ma chair. J'ai respiré un grand coup. J'aurais bien voulu être digne et calme, accueillir l'horreur avec un rictus sardonique, mais en fait je tremblais de tout mes membres et j'avais envie de pisser dans mon pantalon.
Il y a eu du bruit dans la serrure. Une clé. Mes résolutions ont disparu, j'ai couru me mettre derrière la porte, un peu à tâtons, un peu n'importe comment. Elle s'est ouverte, la lumière et le bruit sont entrés violemment, m'étourdissant à demi. Une silhouette dans la blancheur.
- Alors, bien dormi ma belle ?
C'était l'homme. Avec lui, il y avait le chien. Se dandinant, remuant la queue en me tournant autour.
- Hé, mais tu as pleuré ? Tout va bien ?, s'enquit l'homme en s'approchant.
- Mais qu'est-ce qu'on fout là bordel ? Qu'est-ce qui se passe ?, je lui ai répondu en plissant les yeux. Je pigeais encore moins. Le tueur était mon chéri, mon compagnon ? C''était encore plus tordu que tout ce que j'avais imaginé.
- On attendais la fin de l'alerte ma douce. Tu vas bien, t'es sûre ?
Et là, tout m'est revenu. L'alerte. L'alerte au tremblement de terre. Celle qui nous avait fait partir en panique, descendre sous terre, nous confiner dans des bunkers dernière génération. L'alerte. Les bunkers. Il n'y avait plus de place alors ils m'ont casée dans une cellule individuelle. Et il y a une panne, quelque chose a foiré. Toutes les lumières se sont éteintes. Et je me suis endormie.
Avant de me réveiller, avec un goût de cigarette dans la bouche. C'était vraiment pas un réveil comme les autres. Maintenant, je peux le dire.