Moi j'ai une autre question par rapport à ça. Vous dites que ce genre de caricatures sert à dénoncer l'intégrisme musulman, voire à lutter contre. Et j'aimerais savoir : en quoi ? Comment ?
Mais justement, s'il y a une chose que les événements de cette semaine ont démontré, c'est la puissance de la dérision. Que des hommes soient prêts à prendre les armes pour massacrer les auteurs de simples coups de crayons prouve la puissance de ces dessins. Les enjeux ne sont pas de convaincre les fondamentalistes que ce qu'ils font n'est pas bien, les enjeux sont de ridiculiser la cause pour laquelle ils se battent, de désacraliser leurs valeurs, de leur montrer qu'ils ne sont que des Don Quichotte face à des moulins à vent. Les pires meurtriers ne sont pas ceux qui tuent de sang-froid pour satisfaire une pulsion. Les pires meurtriers sont à mon sens ceux qui, animés d'un idéal, estiment faire le bien en perpétrant la mort et la violence, parce que la conviction de servir une cause noble, juste et indispensable démultiplie leurs forces et l'énergie qu'ils vont employer à mobiliser alliés, ressources matérielles, financières, etc. Et c'est là que l'humour et la dérision interviennent, pour désacraliser les choses, briser les manichéismes, montrer que rien n'est sérieux, que tout peut être moqué et tourné en ridicule, peu importe le degré de foi que les gens placent dans leurs croyances et leurs valeurs. Edit : Et finalement, l'ampleur de la riposte est la mesure du crédit qu'accordent ces fondamentalistes à ce qui n'était au départ que de vulgaires petits gribouillis satiriques.
J'ai l'impression qu'avec Charlie Hebdo, le problème c'est de voir des messages là où il n'y en a pas, au lieu de les voir là où ils sont. Je crois qu'il est inutile de chercher du sens aux caricatures de Cabu, Riss, Luz et consorts, il ne s'agit que de blagues pondues selon l'inspiration du moment, sans autres arrières-pensées que celles de faire rire (même si ça ne marche pas à tous les coups). L'humour en lui-même ne vise pas nécessairement à dénoncer quoi que se soit, il peut aussi être sa propre fin même si on a parfois tendance à l'oublier. Finalement, si Charlie Hebdo a un positionnement, il n'est à mon sens pas à rechercher dans le fond de ses dessins, mais dans l'humour comme parti pris éditorial, et comme je le disais, dans la volonté de démontrer que rien n'est sacré pour couper court aux manichéismes et rassembler tout le monde dans le même panier.
Alors après, j'entends bien aussi les remarques sur le contexte propice à l'islamophobie dans lesquelles ces dessins paraissent et sur le fait que certaines catégories de population se sentent malmenées et exclues par cet humour, donc ça n'est peut-être pas la meilleure stratégie qui existe, et elle mérite d'être questionnée comme c'est le cas ici. Mais même si je ne me compte pas au nombre de leurs fidèles lecteurs, j'avais aussi envie de livrer mon interprétation de la démarche de Charlie Hebdo. Pas forcément pour la justifier, mais parce que je trouve qu'elle mérite plus que d'être réduite à quelque chose de simplement bête, méchant, égoïste et aveugle aux clivages du monde qui l'entoure.