Bonjour beau papa.
Comme j'aimerais pouvoir te parler à voix haute quand je suis allongée dans mon lit à écouter tes chansons préférées. Mais je n'y arrive pas, aucun son ne sort, tout comme aucun son n'est sorti quand je suis venue te voir en réanimation. C'est tellement plus facile d'écrire. Je n'ai jamais cru en Dieu, jamais. Mais tu es parti il y a 8 jours, et j'ai l'impression que tu n'es pas loin et que tu nous vois, et que tu nous entends. Et j'espère que tu pourras lire ces mots de là où tu es.
Je voulais te raconter ce qu'il s'est passé mardi, ce jour où on s'est tous réunis pour t'accompagner vers un monde meilleur. Je ne m'attendais pas à voir tant de monde. Peut-être plus de cinquante personnes. Toute ma famille est venue. On était tous là, en bloc, autour de ma maman. United family, comme on disait. Et elle était heureuse qu'on soit tous là, ma maman. Peu importe les regards méprisants de ton ex-femme et de sa famille. Comme a dit ma tata : "Nous sommes légitimes. Il faisait partie de notre famille, de notre vie, et on l'aimera toujours, chacun d'entre nous".
Ma maman avait tout prévu pour la musique, elle s'est beaucoup angoissée par rapport à ça. On est rentrés dans le crématorium et il y avait ce cercueil au milieu. J'ai réalisé, au bout de quelques secondes, que ton corps inerte était à l'intérieur. Mon coeur s'est arrêté de battre. On s'est tous assis où on pouvait, et j'étais au premier rang, aux côtés de ma maman, de tes deux soeurs et de ton fils. Le maître de cérémonie a lancé la première chanson, qui est la musique du Dernier des Mohican, ton film préféré. Ma maman a commencé à trembler, je lui ai attrapé la main. Le maître de cérémonie a dit quelque chose comme : "Les Amérindiens disaient qu'un homme n'est jamais mort tant qu'il reste quelqu'un pour penser à lui". Et puis nous avons écouté les chansons irlandaises chères à ton coeur.
Ta grande soeur s'est levée pour lire un texte. Elle a mis une vingtaine de secondes à commencer à parler, devant le micro. Elle tapait son talon au sol, inspirait, expirait, détournait le regard. Et puis elle a réussi.
Ma maman a commencé à pleurer à chaudes larmes. Je lui serrais la main de plus en plus fort. Ma gorge était nouée et j'ai lutté tellement fort pour remiser mes émotions. Il ne fallait pas que je pleure, pour elle. Je devais être son roc et son pilier, comme je le suis depuis qu'elle a perdu l'homme de sa vie.
Puis le mari de ta soeur est venu au micro pour chanter Perfect Day de Lou Reed. C'était beau et apaisant. Ma maman a souri, pour la première fois. Puis ce fut son tour de lire ce poème sénégalais qu'elle avait trouvé pour toi. Elle tremblait comme une feuille mais elle a réussi, elle était tellement forte. Je suis fière d'elle. Tu lui as transmis tellement de bonnes choses autour de toi. Les pleurs ont été nombreux. On est ensuite tous venus déposer une fleur sur ton cercueil, chacun son tour. J'ai posé mes doigts sur mes lèvres, puis sur ton cercueil. Je t'ai dit de reposer en paix et d'attendre ma maman.
Certains sont partis tout de suite après. Nous sommes restés encore une heure, à l'extérieur. Nous avons parlé de toi, nous avons évoqué nos souvenirs. Certaines personnes qu'on ne connaissait pas ont dit que c'était la cérémonie la plus belle, émouvante et sincère à laquelle ils avaient assisté.
Ma tante m'a dit plus tard que, quand sa maman est morte, voir le cercueil à l'enterrement ne lui avait pas fait grand chose. Parce qu'elle estimait que l'âme s'envolait au moment du décès, et qu'il ne restait plus que l'enveloppe corporelle, et qu'on aime une personne pour ce qu'elle est, et non pour son enveloppe corporelle.
Alors dis-moi, est-ce que ma maman est morte ? Je ne vois plus rien en elle. Ni joie, ni projet, ni chaleur. Aucune envie, aucun sourire.
Promets moi qu'elle revivra à nouveau. Promets moi que tu seras fière d'elle. Et de nous.
On t'aime tellement fort et la douleur est si vive. Tu laisses une empreinte brûlante, comme une marque au fer chauffé à blanc. Ce monde était trop mauvais pour toi, tu méritais les étoiles. J'espère que, là où tu es, il y a de la musique irlandaise, la nature, les animaux, beaucoup de choses à manger et une pensée pour ma maman, ta famille, et pour tous ceux qui t'ont aimé et t'aimeront jusqu'à la fin.